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Auteur Honoré de Balzac
Œuvre La Peau de chagrin (1830-1845)
Comparaisons
Notice
Taille
Interlignage
Contraste
Style typographique
  1. descendit, par le Perron, dans le jardin
  2. . Il marcha lentement sous les tilleuls jaunes et chétifs de l’allée septentrionale, en
  3. les croisées des
  4. . Mais
  5. antres silencieux doivent s’ouvrir n’avait
  6. pas encore sonné, car il n’aperçut
  7. vitres, que les employés oisifs et
  8. dont les
  9. de mélancolie.¶ Sa marche indolente l’ayant conduit au jet d’eau,
  10. les mille facettes de l’eau qui frissonnait dans le bassin. Toute sa personne accusait une insouciance profonde des choses dont
  11. et dédaigneux
  12. Son extrême jeunesse donnait un intérêt pénible à l’expression de froide ironie fortement empreinte dans ses traits, et c
  13. étrange contre-sens dans un visage animé de brillantes couleurs, dans un visage resplendissant de vie, étincelant de blancheur, un
  14. de vingt-cinq ans.
  15. captivait l’attention. Il y avait
  16. front pâle
  17. secret génie. Les formes étaient
  18. rares et blonds. Un éclat inusité scintillait dans ses yeux, tout endormis qu’ils fussent par la maladie ou
  19. chagrin
  20. voir ce jeune homme
  21. ; les
  22. soupçonné quelque maladie de cœur ou de poitrine en remarquant la rougeur des joues
  23. respiration; les observateurs l’eussent admiré; les indifférens lui auraient marché sur le pied….¶ L’inconnu n’était ni bien ni mal mis. Ses vêtemens n’annonçaient pas un homme favorisé de
  24. , mais pour surprendre les
  25. d’une profonde misère, il fallait un physiologiste sagace, qui sût deviner pourquoi l’habit avait été fermé avec tant de soin!…¶ Le jeune homme alla s’appuyer
  26. sur
  27. , il regarda les bâtimens, le jet d’eau
  28. passans d’un air triste
  29. résigné. Il y avait dans ce regard, dans cet abandon,
  30. ; et,
  31. siégeait sur ce visage. – Aucune des curiosités
  32. ne tentait plus cette âme,
  33. tressaillit
  34. !! Il avait
  35. sorte de privilége
  36. , entendu sonner l’heure, ouvrir les portes, retentir les escaliers…. Il regarda
  37. la
  38. . Des têtes d’hommes allaient et venaient dans les salons…. Il se redressa et marcha sans empressement; il
  39. , et se trouva devant
  40. plus tôt
  41. qu’il ne l’
  42. voulu, tant
  43. aiment une plaidailleuse incertitude!…¶ L’assemblée n’était pas nombreuse. Il y avait
  44. blancs,
  45. restaient vides… Un
  46. étrangers, dont les figures méridionales brûlaient de désespoir et d’avidité, tranchaient auprès de ces vieux
  47. … – Les tailleurs et les banquiers immobiles jetaient sur les joueurs
  48. et
  49. … Les employés
  50. et
  51. comme
  52. va
  53. les uns les autres au moment où le jeune
  54. jeta
  55. ses yeux ardens allèrent
  56. à la pièce, de la pièce aux
  57. . Les
  58. n’aperçurent
  59. , pendant le
  60. ait été torturé.
  61. l
  62. eut perdu, et
  63. , il regarda le rateau saisir sa dernière pièce d’or,
  64. sur les figures glacées des
  65. Il
  66. ,
  67. ; puis
  68. avait
  69. pensée…
  70. rendre au
  71. ; et, s’y arrêtant
  72. plongea jusqu’
  73. ….¶ Henri B….¶
  1. , conformément à la loi qui protége
  2. , une passion essentiellement budgétifiante
  3. vint au Palais-Royal; et, sans trop hésiter, monta l’escalier du tripot établi au numéro 39.¶ – Monsieur!…. votre chapeau, s’il vous plaît?….. lui cria d’une voix sèche et grondeuse, un petit vieillard blême, accroupi dans l’ombre, protégé par une barricade, et qui, se
  4. , fit voir une figure moulée
  5. , la loi commence par vous dépouiller de votre chapeau.¶ Est-ce une parabole évangélique et providentielle?…..¶ Veut-on, par hasard, vous faciliter le plaisir de vous arracher
  6. , dans les momens de perte?…..¶ N’est-ce pas plutôt une manière de signer un contrat
  7. avec vous, en exigeant je ne sais quel gage?……¶ Serait-ce pour vous obliger à garder un maintien respectueux devant ceux qui gagneront votre argent?¶ Est-ce curiosité de la police, qui, fouillant tous les égouts sociaux, est intéressée à savoir le nom de votre chapelier, ou le vôtre, si vous l’avez inscrit sur la coiffe?¶ Est-ce, enfin, pour prendre la mesure de votre crâne et dresser une statistique instructive sur la capacité cérébrale des joueurs?….¶ Il y a
  8. point, silence complet chez l’administration.¶
  9. à peine avez-vous fait un pas vers
  10. que déjà votre chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez à vous-même. Vous êtes au jeu, vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau
  11. votre sortie, le JEU
  12. atroce épigramme en action, vous démontrera qu’il vous laisse encore quelque chose en vous rendant votre bagage… Mais, si, par malheur, vous venez avec une coiffure neuve, vous apprendrez, à vos dépens, qu’il faut avoir un costume de joueur, et surtout ne pas être sujet aux rhumes de cerveau.¶ L’étonnement, manifesté par l’étranger
  13. reçut une fiche numérotée en échange de son chapeau dont heureusement les bords étaient légèrement encroûtés, indiquait assez une âme encore innocente.¶ Le petit vieillard, ayant sans doute croupi dès son jeune âge dans les atroces plaisirs
  14. des joueurs, lui jeta un coup d’œil terne et sans chaleur, mais dans lequel un philosophe
  15. lu les misères de l’hôpital, les vagabondages des gens dépouillés, les procès-verbaux d’une foule d’asphyxies, les travaux forcés à perpétuité, les expatriations au Guazalco…..¶ Cet homme avait une longue face de carême dont les fibres ne s’entretenaient plus guères que par la soupe gélatineuse de M. d’Arcet. Il présentait une vivante image de la passion réduite à son terme
  16. simple. Dans ses rides, il y avait trace de vieilles tortures. Il devait jouer ses maigres appointemens, le jour même où il les recevait. Enfin, comme une rosse sur laquelle les coups de fouet n’ont plus de prise, il ne tressaillait plus aux sourds gémissemens, aux muettes imprécations, aux regards hébétés des
  17. , quand ils sortaient ruinés. C’était le Jeu incarné.¶ Si
  18. se serait-il dit:¶ – Il n’y a plus qu’un jeu de cartes dans ce cœur-là…..¶ Mais l’inconnu n’écouta pas cet avis en chair et en os, placé là
  19. par la providence, comme elle a mis le dégoût à la porte de tous les lieux mauvais… Non. Il entra, résolument, dans la salle d’où l’or faisait entendre une prestigieuse musique… Ce jeune homme était probablement poussé là par la plus logique de toutes les éloquentes phrases de J.-J. Rousseau, et dont voici, je crois, la triste pensée: – Oui, je conçois qu’un homme aille au Jeu; mais c’est lorsque entre lui et la mort, il ne voit plus que son dernier écu…..¶ ¶ II.¶ ¶ Le soir, les maisons de jeu n’ont qu’une poésie vulgaire
  20. dont l’effet est
  21. comme celui d’un mélodrame plein de sang. Les salles sont garnies de spectateurs et de joueurs, de vieillards indigens qui viennent s’y réchauffer, de faces agitées, d’orgies commencées dans le vin et près de finir dans
  22. . La passion y abonde; mais le trop grand nombre d’acteurs vous empêche de
  23. face à face le démon du jeu. La soirée est un véritable morceau d’ensemble où la troupe entière crie, où chaque instrument de l’orchestre module sa phrase….¶ Vous verriez beaucoup de gens honorables qui viennent chercher là des distractions,
  24. paient comme ils paieraient le plaisir du spectacle, de la gourmandise, ou comme ils iraient dans une mansarde acheter, à bas prix, des remords pour trois mois.¶ Mais comprenez-vous tout ce que doit avoir de délire et de vigueur dans l’âme un
  25. qui attend avec impatience l’ouverture d’un tripot?… Il existe, entre le
  26. fidèle à l’heure et le joueur
  27. , la différence qui distingue le mari nonchalant, de l’amant rôdant sous
  28. sa belle… Le matin seulement, arrivent la passion palpitante, le besoin dans sa franche horreur… En
  29. fouet de sa martingale; tant il souffrait, travaillé par le prurit d’un coup… Alors, seulement, vous rencontrerez
  30. calme effraie, des
  31. qui vous fascinent, des regards qui soulèvent les cartes, et les dévorent. Oui, les gens prêts à se brûler la cervelle, après être venus tenter le Sort une dernière fois, marchandent leurs souffrances avant le dîner! Passé huit heures,
  32. a plus que des rages accidentelles dues
  33. … la rouge ou la noire ont gagné dix fois de suite.¶ Aussi, les maisons de jeu ne sont-elles sublimes qu’à l’ouverture de leurs séances… Si l’Espagne a ses combats de taureaux, si Rome a eu ses gladiateurs, Paris s’enorgueillit de son Palais-Royal dont les agaçantes roulettes donnent le plaisir de voir couler le sang à flots, sans que les pieds du parterre risquent d’y glisser. Essayez de jeter
  34. furtif sur cette arène… Entrez!¶ Quelle nudité!.. Les murs, couverts d’un papier gras à hauteur
  35. homme, n’offrent pas une image qui puisse rafraîchir l’âme, pas même un clou pour faciliter le suicide… Le parquet est toujours malpropre. Une table ronde occupe le centre
  36. salle; et la simplicité
  37. de paille pressées autour de ce tapis usé par l’or, annonce une curieuse indifférence du luxe chez ces hommes qui viennent périr là pour
  38. et pour le luxe. Cette antithèse humaine est établie partout où l’âme réagit puissamment sur elle-même. L’amoureux veut mettre sa maîtresse dans la soie, la revêtir d’un moelleux cachemire, et, la plupart du temps, il la possède
  39. plaisir?… Singulier problème!… L’homme signe son impuissance dans tous les actes de sa vie! Il n’est jamais ni tout-à-fait heureux, ni complètement misérable…..¶ Au moment où le
  40. joueurs s’y trouvaient déjà…..¶ Trois
  41. ,
  42. du tapis vert. Leurs
  43. de plâtre, impassibles comme ceux des diplomates, révélaient des âmes blasées, des cœurs qui, depuis long-temps, avaient désappris de palpiter, en risquant même les biens paraphernaux d’une femme…¶ Un jeune Italien, aux cheveux noirs, au teint olivâtre, était accoudé tranquillement au bout
  44. qui crient fatalement à un joueur: – Oui… – Non…
  45. méridionale respirait l’or et le feu.¶
  46. debout,
  47. leur préparaient
  48. acteurs,
  49. , de l’autre, une épingle pour marquer les passes de la rouge ou de la noire. C
  50. de ces Tantales modernes qui vivent en marge de toutes les jouissances de leur siècle; un
  51. avares sans trésor qui jouent en idée une mise imaginaire; espèce de fou raisonnable, se consolant de ses misères en caressant une épouvantable chimère; agissant enfin, avec le vice et le danger, comme les jeunes prêtres avec Dieu, quand ils lui disent des messes blanches.¶ Puis, en face de la banque, un
  52. de ces fins spéculateurs,
  53. chances
  54. , étaient venus là pour hasarder trois coups et remporter immédiatement le gain probable dont ils vivaient.¶ Deux vieux garçons de salle
  55. croisés, regardant aux carreaux, par intervalles, comme pour montrer aux passans leurs plates
  56. en guise d’enseigne.¶ Le tailleur et le banquier venaient de jeter sur les ponteurs
  57. , et disaient d’
  58. …….¶ Alors le silence devint en quelque sorte plus profond, et les têtes se tournèrent vers le nouveau venu par curiosité.¶ Mais, chose inouie, les vieillards émoussés, les employés pétrifiés, les spectateurs, et même l’Italien fanatique, tous éprouvèrent, à l’aspect de l’inconnu, je ne sais quel sentiment épouvantable.¶ Ne faut-il pas être bien malheureux pour obtenir de la pitié, bien faible pour exciter une sympathie, ou bien sinistre pour faire frissonner les âmes
  59. où les
  60. doivent être muettes, la misère gaie, le désespoir décent?… Eh bien! il y avait de tout cela dans la sensation neuve qui remua tous ces cœurs glacés quand le jeune homme entra; mais les bourreaux n’ont-ils pas quelquefois pleuré sur les vierges caressantes dont la Révolution leur ordonnait de couper les blondes têtes…¶ Au premier coup d’œil les joueurs lurent sur le
  61. du novice quelque horrible mystère…¶ Ses jeunes traits étaient empreints d’une grâce nébuleuse. Dans
  62. , il y avait
  63. ! La morne
  64. donnait à son front une pâleur mate et maladive
  65. Il y avait sur toute sa physionomie une résignation qui faisait mal à voir.¶ Quelque secret génie scintillait
  66. ses yeux voilés par la fatigue d’une orgie; car la débauche marquait de son sale cachet cette noble figure, jadis pure et brillante, maintenant dégradée. Les
  67. attribué à des lésions au cœur ou à
  68. encadrait les paupières et la rougeur dont les joues étaient marbrées; tandis que les poëtes eussent voulu reconnaître, à ces signes, les ravages de la science, les traces de nuits passées à
  69. . Mais une passion plus mortelle que la maladie, une maladie plus impitoyable que l’étude et le génie, altéraient cette jeune tête, contractaient ces muscles vivaces, tordaient ce cœur, sur lesquels la débauche, l’étude et la maladie n’avaient que difficilement mordu.¶ Comme, lorsqu’un célèbre criminel arrive au bagne, les condamnés l’accueillent avec respect, ainsi, tous ces démons humains, experts en tortures, saluèrent une douleur inouie, une blessure dont ils soupçonnaient par instinct la profondeur; et reconnurent un de leurs princes, à la majesté de sa muette ironie, à l’élégante misère de ses vêtemens…
  70. avait bien un frac de bon goût; mais la jonction de son gilet et de sa cravate était trop savamment maintenue pour qu’on le supposât possesseur d’une chemise. Ses mains, jolies comme des mains de femme, étaient d’une douteuse propreté. Depuis deux jours, il ne portait plus de gants…. Ce diagnostic disait tout….¶ Si le tailleur et les garçons de salle eux-mêmes frissonnèrent, c’est que les enchantemens de l’innocence florissaient par vestiges dans ses formes
  71. dans ses
  72. blonds et rares, naturellement bouclés….. Cette figure avait encore vingt-cinq ans, et le vice paraissait y être un accident. La verte vie de la jeunesse y luttait encore avec les fatigues d’une orgie, avec les rages d’une impuissante lubricité. Les ténèbres et la lumière, le néant et l’existence s’y combattaient en produisant tout à la fois de la grâce et de l’horreur. Le jeune homme se présentait là comme un ange sans rayons, égaré dans sa route; aussi, tous ces professeurs émérites de vice et d’infamie, semblables à une vieille femme édentée, prise de pitié à l’aspect d’une ravissante fille qui s’offre à la corruption, avaient l’air de lui crier:¶ – Sortez!….¶ Il marcha droit à la table. Et, s’y tenant debout, il jeta sans calcul,
  73. ,
  74. , de chicanières incertitudes, il lança sur le tailleur un regard
  75. turbulent et calme.¶ L’intérêt de ce coup était si puissant, que les vieillards ne firent pas de mise; mais l’Italien, saisissant avec le fanatisme de la passion une idée qui lui souriait, ponta sa masse d’or en opposition au jeu de l’inconnu.¶ Le banquier oublia de dire ces phrases qui se sont à la longue converties en un cri rauque et inintelligible:¶ – Faites le jeu!…..¶ – Le jeu est fait!…¶ – Rien ne va plus….¶ Le tailleur étala les
  76. en paraissant souhaiter bonne chance au dernier venu, indifférent qu’il était à la perte ou au gain fait par les entrepreneurs de ces sombres plaisirs.¶ Tous les yeux, arrêtés sur les cartons fatidiques, étincelaient; car les
  77. voyaient un drame et la dernière scène d’une belle vie dans cette pièce d’or… Mais, malgré l’attention avec laquelle ils regardèrent
  78. le jeune homme et les cartes, ils ne purent apercevoir
  79. .¶ – Rouge perd!….. dit officiellement le tailleur.¶ Une espèce de râle sourd sortit de la poitrine de l’Italien lorsqu’il vit tomber le paquet de billets que lui jeta le banquier. Quant au jeune homme, il ne comprit sa ruine qu’au
  80. où le râteau s’allongea pour ramasser son dernier napoléon. L’ivoire fit rendre un bruit sec à la pièce, qui,
  81. doucement,
  82. ; il
  83. par un de ces regards déchirans que les joueurs au désespoir lancent assez souvent sur la galerie taciturne dont ils sont entourés.¶ Que d’événemens se pressent dans l’espace d’une seconde, et quel abîme est donc la cervelle humaine!…..¶ – Voilà pourtant toute une destinée!… dit en souriant le croupier, après un moment de silence, en tenant cette pièce d’or entre le pouce et l’index, et la montrant aux
  84. – C’est un cerveau brûlé qui va se jeter à l’eau!….. répondit un habitué; car tous les joueurs se connaissaient.¶ – Bah! s’écria le garçon de bureau, en prenant une prise de tabac.¶ – Si nous avions imité monsieur?…. dit un des vieillards à ses collègues, en désignant l’Italien; hein?…..¶ Tout le monde regarda l’heureux joueur dont les mains tremblaient en comptant ses billets de banque.¶ – J’ai entendu, dit-il, une voix qui me criait dans l’oreille: Le Jeu aura raison contre le désespoir de ce jeune homme!…….¶ – Ce n’est pas un joueur!….. reprit le banquier. Autrement il aurait fait trois coups de son argent pour se donner plus de chances!…¶ ¶ III.¶ ¶ Le jeune homme passait sans réclamer son chapeau; mais le vieux molosse, ayant remarqué le mauvais état de cette guenille, la lui rendit sans proférer une parole, et le joueur restitua la fiche
  85. machinal. Puis, il
  86. à peine lui-même
  87. délicieuses, et il se trouva bientôt sous les galeries
  88. . Dirigé par une dernière pensée, il alla jusqu’à la rue Saint-Honoré et prit le chemin des
  89. dont il traversa le jardin
  90. coudoyé par des hommes qu’il ne voyait pas;
  91. clameurs populaires,
  92. seule
  93. engourdissante
  94. charrette conduisait du Palais à la Grève, vers cet échafaud, rouge de tout le sang versé depuis 1793
  95. blesser; mais quand un homme se brise, il doit venir de bien haut, s’être élevé dans les cieux, avoir entrevu quelque paradis inaccessible. Implacables doivent être les ouragans qui nous forcent à demander la paix de l’âme à la bouche d’un pistolet.¶ Il existe beaucoup de jeunes talens qui s’étiolent confinés dans une mansarde, et qui périssent faute d’un ami, faute d’une femme consolatrice, au sein d’un million d’êtres, en présence d’une foule lassée d’or et qui s’ennuie….¶ À cette pensée, le suicide prend des proportions gigantesques.¶ Entre une mort volontaire et la féconde espérance dont la voix appelle un jeune homme à Paris, Dieu seul sait combien il y a de chefs-d’œuvre avortés; de conceptions, de poésie dépensées; de désespoir, de cris étouffés; de vaines tentatives!…. Chaque suicide est un poëme sublime de mélancolie: où trouverez-vous, dans l’océan des littératures, un livre surnageant qui puisse lutter de génie avec ces trois lignes?¶ Hier, à quatre heures, une jeune femme s’est jetée dans la Seine du haut du Pont-des-Arts.¶ Cette phrase, grosse de tant de maux, est, la plupart du temps, insérée entre l’annonce d’un nouveau spectacle et le récit d’une somptueuse fête donnée pour soulager les indigens….. Nous sommes pleins de pitié pour les maux physiques.¶ Devant ce laconisme parisien, les drames, les romans tout pâlit, même ce vieux frontispice:¶ Les lamentations du glorieux roi de Kaërnavan, mis en prison par ses enfans…..¶ Dernier fragment d’un livre perdu, dont la seule lecture faisait pleurer ce Sterne, qui lui-même délaissait sa femme et ses enfans.¶ L’inconnu fut assailli par mille pensées semblables qui passaient en lambeaux dans son âme comme des drapeaux déchirés voltigeant au milieu d’une bataille. – Puis, il déposait pendant un moment le fardeau de son intelligence et de ses souvenirs, pour s’arrêter devant quelques fleurs dont il admirait les têtes mollement balancées par la brise parmi les massifs de verdure.¶ Mais, saisi par une convulsion de la vie qui regimbait encore sous la pesante idée du suicide, il levait les yeux au ciel; et des nuages gris, des bouffées de vent chargées de tristesse, une atmosphère lourde lui conseillaient de mourir….¶ Alors,
  96. le
  97. en songeant aux dernières fantaisies de ses prédécesseurs…. Il souriait en se rappelant que lord Castelreagh avait satisfait le plus humble de nos besoins avant de se couper la gorge, et que M. Auger l’académicien avait été chercher sa tabatière pour priser tout en marchant à la mort….¶ Il analysait ces bizarreries et s’interrogeait lui-même, quand, en se serrant contre le parapet du pont, pour laisser passer un fort de la halle, ce dernier lui ayant légèrement blanchi la manche de son habit, il se surprit à en secouer soigneusement la poussière.¶ Arrivé
  1. les trois heures → la fin du mois d’octobre dernier
  2. la tête de → , quelque
  3. en temps pour interroger par → après
  4. les fatales portes → s’ouvrent les
  5. toutes stéréotipées → maisons de jeu
  6. modèle → type
  7. et sinistre, ressemblaient à des larves attendant leur proie. Alors, → .¶ Quand vous entrez dans une
  8. ramena ses yeux vers la terre, → avait contemplé ce triste cerbère
  9. soleil illuminait en → , peut-être
  10. les gerbes gracieuses, il en fit le tour, sans → , vous pourrez
  11. les jeux colorés de la lumière, sans même → un véritable joueur, un joueur qui n’a pas mangé, dormi, vécu, pensé, tant
  12. entouré → rudement flagellé
  13. homme, les poètes auraient cru à de longues études, → des yeux
  14. nuits passées sous → hasards de
  15. cernait les yeux, la rapidité → cartes
  16. des treillages en fer qui entourent les massifs; et, se croisant → grabat. L’ambitieux rêve de demeurer au faîte du pouvoir, en s’aplatissant
  17. contraction des bras, un bien puissant courage. L’ → boue d’une révérence. Le marchand vit dans une boutique humide et malsaine, en se construisant un hôtel …
  18. turbulente et calme. – Le → maison de
  19. l’allée sans fausse pudeur monta, les escaliers, franchit → le salon,
  20. chenues, à → chauves, étaient nonchalamment
  21. mais bien → et paraissait écouter ces pressentimens
  22. . → secrets
  23. autour de la table → de manière à former une galerie
  24. or allaient leur donner → argent et des râteaux
  25. … Ils venaient → , comme est
  26. . Il se regardèrent → , quand le bourreau tranche une tête.¶ Un grand
  27. prit place devant une chaise sans s’y asseoir.¶ – Faites le jeu!… dit → sec, en habit râpé, tenait un registre d’une
  28. .¶ Chaque → :¶ – Faites le jeu!…¶ Quand le jeune homme ouvrit
  29. ponta. → la porte
  30. tenait dans sa → avait dans la main; puis, abhorrant, comme
  31. des → les âmes fortes
  32. cette → sa
  33. que dura le plus violent combat, par les angoisses duquel un cœur → comme une flèche, alla se réunir au tas d’or étalé devant la caisse. L
  34. , ses lèvres reprirent leur → ; sa bouche reprit une
  35. un air d’insouciance → l’air d’un Anglais pour qui la vie n’a plus de mystères;
  36. avoir cherché la moindre → mendier une
  37. Di → di
  38. , si bas, si faiblement, que lui seul → d’un souffle si faible qu’il
  39. les → du Palais-Royal
  40. , ne voyant ni les maisons, ni les passans, marchant → . Il marchait
  41. du → d’un
  42. – la voix → celle
  43. , – et → ; enfin
  44. confuse, où → , semblable à celle dont jadis étaient saisis les criminels
  45. traversa le jardin des Tuileries, et suivant le plus court chemin → y a je ne sais quoi de grand et d’épouvantable dans le suicide. Les chutes d’une multitude de gens so…
  46. des voûtes, → de la voûte, il regarda l’eau d’un air sinistre.¶
Table des matières
53LE DERNIER NAPOLÉON.

Vers
les trois heuresdescendit, par le Perron, dans le jardin. Il marcha lentement sous les tilleuls jaunes et chétifs de l’allée septentrionale, en la tête de temps en temps pour interroger parles croisées des. Mais l’heure à laquelle les fatales portesantres silencieux doivent s’ouvrir n’avaitpas encore 54sonné, car il n’aperçutvitres, que les employés oisifs etdont lestoutes stéréotipées d’après un modèle ignoble et sinistre, ressemblaient à des larves attendant leur proie. Alors, le jeune homme ramena ses yeux vers la terre,de mélancolie.
Sa marche indolente l’ayant conduit au jet d’eau,
soleil illuminait en ce moment les gerbes gracieuses, il en fit le tour, sans admirer les jeux colorés de la lumière, sans mêmeles mille facettes de l’eau qui frissonnait dans le bassin. Toute sa personne accusait une insouciance profonde des choses dont il était entouré et dédaigneuxSon extrême jeunesse donnait un intérêt pénible à l’expression de froide ironie fortement empreinte dans ses traits, et cétrange contre-sens dans un visage animé de brillantes couleurs, dans un visage resplendissant de vie, étincelant de blancheur, unde vingt-cinq ans. captivait l’attention. Il y avaitfront pâle secret génie. Les formes étaient rares et blonds. Un éclat inusité scintillait dans ses yeux, tout endormis qu’ils fussent par la maladie ou par le chagrinvoir ce jeune homme, les poètes auraient cru à de longues études, à des nuits passées sous; lessoupçonné quelque maladie de cœur ou de poitrine en remarquant la rougeur des jouescernait les yeux, la rapidité de la respiration; les observateurs l’eussent admiré; les indifférens lui auraient marché sur le pied….
L’inconnu n’était ni bien ni mal mis. Ses vêtemens n’annonçaient pas un homme favorisé de
la fortune, mais pour surprendre lesd’une profonde misère, il fallait un physiologiste sagace, qui sût deviner pourquoi l’habit avait été fermé avec tant de soin!…
Le jeune homme alla s’appuyer
sur un des treillages en fer qui entourent les massifs; et, se croisantsur, il regarda les bâtimens, le jet d’eaupassans d’un air tristerésigné. Il y avait dans ce regard, dans cet abandon,; et, dans la contraction des bras, un bien puissant courage. L’siégeait sur ce visage. – Aucune des curiositésne tentait plus cette âme,turbulente et calme. – Le jeune homme tressaillit!! Il avaitsorte de privilége, entendu sonner l’heure, ouvrir les portes, retentir les escaliers…. Il regardalajeu. Des têtes d’hommes allaient et venaient dans les salons…. Il se redressa et marcha sans empressement; il entra dans l’allée sans fausse pudeur monta, les escaliers, franchit, et se trouva devantplus tôt qu’il ne l’voulu, tant aiment une plaidailleuse incertitude!…
L’assemblée n’était pas nombreuse. Il y avait
quelques vieillards à têtes chenues, àblancs, assis autour de la table, mais bienrestaient vides… Unétrangers, dont les figures méridionales brûlaient de désespoir et d’avidité, tranchaient auprès de ces vieux… – Les tailleurs et les banquiers immobiles jetaient sur les joueurset… Les employés. Sept ou huit spectateurs, rangés autour de la table, attendaient les scènes que les coups du sort, les figures des et le mouvement de l’or allaient leur donner. Ces désœuvrés étaient là, silencieux, attentifs… Ils venaientcomme le peuple va à la Grève. Il se regardèrentles uns les autres au moment où le jeune homme prit place devant une chaise sans s’y asseoir.
– Faites le jeu!… dit
une voix grêle.
Chaque
ponta.
Le jeune homme
jeta sur le tapis une pièce d’or qu’il tenait dans sa ses yeux ardens allèrentdes cartes à la pièce, de la pièce aux. Les spectateurs n’aperçurent aucun symptôme d’émotion sur cette figure froide et résignée, pendant le moment ra55pide que dura le plus violent combat, par les angoisses duquel un cœur ait été torturé. l’inconnu ferma les yeux eut perdu, et ses lèvres blanchirent; mais il releva bientôt ses paupières, ses lèvres reprirent leur rougeur de corail, il regarda le rateau saisir sa dernière pièce d’or, affecta un air d’insouciance et disparut sans avoir cherché la moindre consolation sur les figures glacées des assistans.
Il descendit les escaliers en sifflant le Di tanti palpiti, si bas, si faiblement, que lui seul, en entendait les notes; puisles Tuileries d’un pas lent, irrésolu, ne voyant ni les maisons, ni les passans, marchant comme au milieu du désert, n’écoutant qu’une voix, – la voix de la Mort, – et, perdu dans une méditation confuse, oùavait qu’une pensée….
Il
traversa le jardin des Tuileries, et suivant le plus court chemin pour se rendre au Pont-Royal; et, s’y arrêtant au point culminant des voûtes, plongea jusqu’….
Henri B….
35PREMIÈRE PARTIE.

LA PEAU DE CHAGRIN

I
.

Vers
la fin du mois d’octobre dernier, quelque temps après l’heure à laquelle s’ouvrent les maisons de jeu, conformément à la loi qui protége, à Paris, une passion essentiellement budgétifiante, un jeune homme vint au Palais-Royal; et, sans trop 36hésiter, monta l’escalier du tripot établi au numéro 39.
– Monsieur!…. votre chapeau, s’il vous plaît?….. lui cria d’une voix sèche et grondeuse, un petit vieillard blême, accroupi dans l’ombre, protégé par une barricade, et qui, se
levant soudain, fit voir une figure moulée d’après un type ignoble.
Quand vous entrez dans une
maison de jeu, la loi commence par vous dépouiller de votre chapeau.
Est-ce une parabole évangélique et providentielle?…..
Veut-on, par hasard, vous faciliter le plaisir de vous arracher
les cheveux, dans les momens de perte?…..
N’est-ce pas plutôt une manière de signer un contrat
infernal avec vous, en exigeant je ne sais quel gage?……
Serait-ce pour vous obliger à garder un maintien respectueux devant ceux qui gagneront votre argent?
37Est-ce curiosité de la police, qui, fouillant tous les égouts sociaux, est intéressée à savoir le nom de votre chapelier, ou le vôtre, si vous l’avez inscrit sur la coiffe?
Est-ce, enfin, pour prendre la mesure de votre crâne et dresser une statistique instructive sur la capacité cérébrale des joueurs?….
Il y a
, sur ce point, silence complet chez l’administration.
Seulement, à peine avez-vous fait un pas vers le tapis vert, que déjà votre chapeau ne vous appartient pas plus que vous ne vous appartenez à vous-même. Vous êtes au jeu, vous, votre fortune, votre coiffe, votre canne et votre manteau.
À
votre sortie, le JEU, par une atroce épigramme en action, vous démontrera qu’il vous laisse encore quelque chose en vous rendant votre bagage… Mais, si, par malheur, vous venez avec une coiffure 38neuve, vous apprendrez, à vos dépens, qu’il faut avoir un costume de joueur, et surtout ne pas être sujet aux rhumes de cerveau.
L’étonnement, manifesté par l’étranger
quand il reçut une fiche numérotée en échange de son chapeau dont heureusement les bords étaient légèrement encroûtés, indiquait assez une âme encore innocente.
Le petit vieillard, ayant sans doute croupi dès son jeune âge dans les atroces plaisirs
de la vie des joueurs, lui jeta un coup d’œil terne et sans chaleur, mais dans lequel un philosophe aurait lu les misères de l’hôpital, les vagabondages des gens dépouillés, les procès-verbaux d’une foule d’asphyxies, les travaux forcés à perpétuité, les expatriations au Guazalco…..
Cet homme avait une longue face de carême dont les fibres ne s’entretenaient plus guères que par la soupe gélatineuse de M. d’Arcet. Il présentait une vivante image 39de la passion réduite à son terme
le plus simple. Dans ses rides, il y avait trace de vieilles tortures. Il devait jouer ses maigres appointemens, le jour même où il les recevait. Enfin, comme une rosse sur laquelle les coups de fouet n’ont plus de prise, il ne tressaillait plus aux sourds gémissemens, aux muettes imprécations, aux regards hébétés des joueurs, quand ils sortaient ruinés. C’était le Jeu incarné.
Si
le jeune homme avait contemplé ce triste cerbère, peut-être se serait-il dit:
– Il n’y a plus qu’un jeu de cartes dans ce cœur-là…..
Mais l’inconnu n’écouta pas cet avis en chair et en os, placé là
sans doute par la providence, comme elle a mis le dégoût à la porte de tous les lieux mauvais… Non. Il entra, résolument, dans la salle d’où l’or faisait entendre une prestigieuse musique… Ce jeune homme était probablement poussé là par la plus logique de toutes les éloquentes phrases 40de J.-J. Rousseau, et dont voici, je crois, la triste pensée: – Oui, je conçois qu’un homme aille au Jeu; mais c’est lorsque entre lui et la mort, il ne voit plus que son dernier écu…..

41II.

Le soir, les maisons de jeu n’ont qu’une poésie vulgaire
, mais dont l’effet est assuré comme celui d’un mélodrame plein de sang. Les salles sont garnies de spectateurs et de joueurs, de vieillards indigens qui viennent s’y réchauffer, de faces agitées, d’orgies commencées dans le vin et près de finir dans la Seine. La passion y abonde; mais le trop grand nombre d’acteurs vous empêche de 42contempler face à face le démon du jeu. La soirée est un véritable morceau d’ensemble où la troupe entière crie, où chaque instrument de l’orchestre module sa phrase….
Vous verriez beaucoup de gens honorables qui viennent chercher là des distractions,
et les paient comme ils paieraient le plaisir du spectacle, de la gourmandise, ou comme ils iraient dans une mansarde acheter, à bas prix, des remords pour trois mois.
Mais comprenez-vous tout ce que doit avoir de délire et de vigueur dans l’âme un
homme qui attend avec impatience l’ouverture d’un tripot?… Il existe, entre le joueur fidèle à l’heure et le joueur du soir, la différence qui distingue le mari nonchalant, de l’amant rôdant sous les fenêtres de sa belle… Le matin seulement, arrivent la passion palpitante, le besoin dans sa franche horreur… En ce moment, vous pourrez admirer un véritable joueur, un joueur qui n’a pas mangé, 43dormi, vécu, pensé, tant il était rudement flagellé par le fouet de sa martingale; tant il souffrait, travaillé par le prurit d’un coup… Alors, seulement, vous rencontrerez des yeux dont le calme effraie, des visages qui vous fascinent, des regards qui soulèvent les cartes, et les dévorent. Oui, les gens prêts à se brûler la cervelle, après être venus tenter le Sort une dernière fois, marchandent leurs souffrances avant le dîner! Passé huit heures, il n’y a plus que des rages accidentelles dues à des hasards de cartes… la rouge ou la noire ont gagné dix fois de suite.
Aussi, les maisons de jeu ne sont-elles sublimes qu’à l’ouverture de leurs séances… Si l’Espagne a ses combats de taureaux, si Rome a eu ses gladiateurs, Paris s’enorgueillit de son Palais-Royal dont les agaçantes roulettes donnent le plaisir de voir couler le sang à flots, sans que les pieds du parterre risquent d’y glisser. Essayez de jeter
un regard furtif sur cette arène… Entrez!
44Quelle nudité!.. Les murs, couverts d’un papier gras à hauteur
d’homme, n’offrent pas une image qui puisse rafraîchir l’âme, pas même un clou pour faciliter le suicide… Le parquet est toujours malpropre. Une table ronde occupe le centre de la salle; et la simplicité des chaises de paille pressées autour de ce tapis usé par l’or, annonce une curieuse indifférence du luxe chez ces hommes qui viennent périr là pour la fortune et pour le luxe. Cette antithèse humaine est établie partout où l’âme réagit puissamment sur elle-même. L’amoureux veut mettre sa maîtresse dans la soie, la revêtir d’un moelleux cachemire, et, la plupart du temps, il la possède sur un grabat. L’ambitieux rêve de demeurer au faîte du pouvoir, en s’aplatissant dans la boue d’une révérence. Le marchand vit dans une boutique humide et malsaine, en se construisant un hôtel où il ne restera pas un an…. Y a-t-il enfin, excepté la vue des cuisines et 45l’odeur des cabarets, chose plus déplaisante qu’une maison de plaisir?… Singulier problème!… L’homme signe son impuissance dans tous les actes de sa vie! Il n’est jamais ni tout-à-fait heureux, ni complètement misérable…..
Au moment où le
jeune homme entra dans le salon, quelques joueurs s’y trouvaient déjà…..
Trois
vieillards, à têtes chauves, étaient nonchalamment assis autour du tapis vert. Leurs visages de plâtre, impassibles comme ceux des diplomates, révélaient des âmes blasées, des cœurs qui, depuis long-temps, avaient désappris de palpiter, en risquant même les biens paraphernaux d’une femme…
Un jeune Italien, aux cheveux noirs, au teint olivâtre, était accoudé tranquillement au bout
de la table, et paraissait écouter ces pressentimens secrets qui crient fatalement à un joueur: – Oui… – Non… Cette tête méridionale respirait l’or et le feu.
46Sept ou huit spectateurs, debout, rangés de manière à former une galerie, attendaient les scènes que leur préparaient les coups du sort, les figures des acteurs, le mouvement de l’argent et des râteaux. Ces désœuvrés étaient là, silencieux, immobiles, attentifs, comme est le peuple à la Grève, quand le bourreau tranche une tête.
Un grand
homme sec, en habit râpé, tenait un registre d’une main, et, de l’autre, une épingle pour marquer les passes de la rouge ou de la noire. C’était un de ces Tantales modernes qui vivent en marge de toutes les jouissances de leur siècle; un de ces avares sans trésor qui jouent en idée une mise imaginaire; espèce de fou raisonnable, se consolant de ses misères en caressant une épouvantable chimère; agissant enfin, avec le vice et le danger, comme les jeunes prêtres avec Dieu, quand ils lui disent des messes blanches.
47Puis, en face de la banque, un
ou deux de ces fins spéculateurs, experts des chances du jeu, et semblables à d’anciens forçats qui ne s’effraient plus des galères, étaient venus là pour hasarder trois coups et remporter immédiatement le gain probable dont ils vivaient.
Deux vieux garçons de salle
se promenaient nonchalamment les bras croisés, regardant aux carreaux, par intervalles, comme pour montrer aux passans leurs plates figures, en guise d’enseigne.
Le tailleur et le banquier venaient de jeter sur les ponteurs
ce regard blême qui les tue, et disaient d’une voix grêle:
– Faites le jeu!…
Quand le jeune homme ouvrit
la porte…….
Alors le silence devint en quelque sorte plus profond, et les têtes se tournèrent vers le nouveau venu par curiosité.
Mais, chose inouie, les vieillards émoussés, les employés pétrifiés, les spectateurs, 48et même l’Italien fanatique, tous éprouvèrent, à l’aspect de l’inconnu, je ne sais quel sentiment épouvantable.
Ne faut-il pas être bien malheureux pour obtenir de la pitié, bien faible pour exciter une sympathie, ou bien sinistre pour faire frissonner les âmes
dans cette salle où les douleurs doivent être muettes, la misère gaie, le désespoir décent?… Eh bien! il y avait de tout cela dans la sensation neuve qui remua tous ces cœurs glacés quand le jeune homme entra; mais les bourreaux n’ont-ils pas quelquefois pleuré sur les vierges caressantes dont la Révolution leur ordonnait de couper les blondes têtes…
Au premier coup d’œil les joueurs lurent sur le
visage du novice quelque horrible mystère…
Ses jeunes traits étaient empreints d’une grâce nébuleuse. Dans
son regard, il y avait bien des efforts trahis, bien des espé49rances trompées! La morne impassibilité du suicide donnait à son front une pâleur mate et maladive. Un sourire amer dessinait de légers plis dans les coins de sa bouche. Il y avait sur toute sa physionomie une résignation qui faisait mal à voir.
Quelque secret génie scintillait
au fond de ses yeux voilés par la fatigue d’une orgie; car la débauche marquait de son sale cachet cette noble figure, jadis pure et brillante, maintenant dégradée. Les médecins auraient peut-être attribué à des lésions au cœur ou à la poitrine, le cercle jaune qui encadrait les paupières et la rougeur dont les joues étaient marbrées; tandis que les poëtes eussent voulu reconnaître, à ces signes, les ravages de la science, les traces de nuits passées à la lueur d’une lampe studieuse. Mais une passion plus mortelle que la maladie, une maladie plus impitoyable que l’étude et le génie, altéraient cette jeune tête, contractaient ces muscles vivaces, tordaient ce 50cœur, sur lesquels la débauche, l’étude et la maladie n’avaient que difficilement mordu.
Comme, lorsqu’un célèbre criminel arrive au bagne, les condamnés l’accueillent avec respect, ainsi, tous ces démons humains, experts en tortures, saluèrent une douleur inouie, une blessure dont ils soupçonnaient par instinct la profondeur; et reconnurent un de leurs princes, à la majesté de sa muette ironie, à l’élégante misère de ses vêtemens…

Le jeune homme
avait bien un frac de bon goût; mais la jonction de son gilet et de sa cravate était trop savamment maintenue pour qu’on le supposât possesseur d’une chemise. Ses mains, jolies comme des mains de femme, étaient d’une douteuse propreté. Depuis deux jours, il ne portait plus de gants…. Ce diagnostic disait tout….
Si le tailleur et les garçons de salle eux-mêmes frissonnèrent, c’est que les enchan51temens de l’innocence florissaient par vestiges dans ses formes
grêles et fines, dans ses cheveux blonds et rares, naturellement bouclés….. Cette figure avait encore vingt-cinq ans, et le vice paraissait y être un accident. La verte vie de la jeunesse y luttait encore avec les fatigues d’une orgie, avec les rages d’une impuissante lubricité. Les ténèbres et la lumière, le néant et l’existence s’y combattaient en produisant tout à la fois de la grâce et de l’horreur. Le jeune homme se présentait là comme un ange sans rayons, égaré dans sa route; aussi, tous ces professeurs émérites de vice et d’infamie, semblables à une vieille femme édentée, prise de pitié à l’aspect d’une ravissante fille qui s’offre à la corruption, avaient l’air de lui crier:
– Sortez!….
Il marcha droit à la table. Et, s’y tenant debout, il jeta sans calcul,
sur le tapis, une pièce d’or qu’il avait dans la main; puis, 52abhorrant, comme les âmes fortes, de chicanières incertitudes, il lança sur le tailleur un regard tout à la fois turbulent et calme.
L’intérêt de ce coup était si puissant, que les vieillards ne firent pas de mise; mais l’Italien, saisissant avec le fanatisme de la passion une idée qui lui souriait, ponta sa masse d’or en opposition au jeu de l’inconnu.
Le banquier oublia de dire ces phrases qui se sont à la longue converties en un cri rauque et inintelligible:
– Faites le jeu!…..
– Le jeu est fait!…
– Rien ne va plus….
Le tailleur étala les
cartes en paraissant souhaiter bonne chance au dernier venu, indifférent qu’il était à la perte ou au gain fait par les entrepreneurs de ces sombres plaisirs.
Tous les yeux, arrêtés sur les cartons fatidiques, étincelaient; car les
spectateurs 53voyaient un drame et la dernière scène d’une belle vie dans cette pièce d’or… Mais, malgré l’attention avec laquelle ils regardèrent alternativement le jeune homme et les cartes, ils ne purent apercevoir aucun symptôme d’émotion sur sa figure froide et résignée.
– Rouge perd!….. dit officiellement le tailleur.
Une espèce de râle sourd sortit de la poitrine de l’Italien lorsqu’il vit tomber le paquet de billets que lui jeta le banquier. Quant au jeune homme, il ne comprit sa ruine qu’au
moment où le râteau s’allongea pour ramasser son dernier napoléon. L’ivoire fit rendre un bruit sec à la pièce, qui, rapide comme une flèche, alla se réunir au tas d’or étalé devant la caisse. L’inconnu ferma les yeux doucement, ses lèvres blanchirent; mais il releva bientôt ses paupières; sa bouche reprit une rougeur de corail; il affecta l’air d’un Anglais pour qui la vie n’a plus de 54mystères; et disparut sans mendier une consolation par un de ces regards déchirans que les joueurs au désespoir lancent assez souvent sur la galerie taciturne dont ils sont entourés.
Que d’événemens se pressent dans l’espace d’une seconde, et quel abîme est donc la cervelle humaine!…..
– Voilà pourtant toute une destinée!… dit en souriant le croupier, après un moment de silence, en tenant cette pièce d’or entre le pouce et l’index, et la montrant aux
assistans.
– C’est un cerveau brûlé qui va se jeter à l’eau!….. répondit un habitué; car tous les joueurs se connaissaient.
– Bah! s’écria le garçon de bureau, en prenant une prise de tabac.
– Si nous avions imité monsieur?…. dit un des vieillards à ses collègues, en désignant l’Italien; hein?…..
Tout le monde regarda l’heureux joueur 55dont les mains tremblaient en comptant ses billets de banque.
– J’ai entendu, dit-il, une voix qui me criait dans l’oreille: Le Jeu aura raison contre le désespoir de ce jeune homme!…….
– Ce n’est pas un joueur!….. reprit le banquier. Autrement il aurait fait trois coups de son argent pour se donner plus de chances!…

56III.

Le jeune homme passait sans réclamer son chapeau; mais le vieux molosse, ayant remarqué le mauvais état de cette guenille, la lui rendit sans proférer une parole, et le joueur restitua la fiche
par un mouvement machinal. Puis, il descendit les escaliers en sifflant le di tanti palpiti d’un souffle si faible qu’il en entendait à peine lui-même les notes délicieuses, et il se trouva bien57tôt sous les galeries du Palais-Royal. Dirigé par une dernière pensée, il alla jusqu’à la rue Saint-Honoré et prit le chemin des Tuileries dont il traversa le jardin d’un pas lent, irrésolu. Il marchait comme au milieu d’un désert, coudoyé par des hommes qu’il ne voyait pas; n’écoutant, à travers les clameurs populaires, qu’une seule voix, celle de la Mort; enfin, perdu dans une engourdissante méditation, semblable à celle dont jadis étaient saisis les criminels qu’une charrette conduisait du Palais à la Grève, vers cet échafaud, rouge de tout le sang versé depuis 1793.
Il
y a je ne sais quoi de grand et d’épouvantable dans le suicide. Les chutes d’une multitude de gens sont sans danger comme celles des enfans qui tombent de trop bas pour se blesser; mais quand un homme se brise, il doit venir de bien haut, s’être élevé dans les cieux, avoir entrevu quelque paradis inaccessible. Implacables doivent 58être les ouragans qui nous forcent à demander la paix de l’âme à la bouche d’un pistolet.
Il existe beaucoup de jeunes talens qui s’étiolent confinés dans une mansarde, et qui périssent faute d’un ami, faute d’une femme consolatrice, au sein d’un million d’êtres, en présence d’une foule lassée d’or et qui s’ennuie….
À cette pensée, le suicide prend des proportions gigantesques.
Entre une mort volontaire et la féconde espérance dont la voix appelle un jeune homme à Paris, Dieu seul sait combien il y a de chefs-d’œuvre avortés; de conceptions, de poésie dépensées; de désespoir, de cris étouffés; de vaines tentatives!…. Chaque suicide est un poëme sublime de mélancolie: où trouverez-vous, dans l’océan des littératures, un livre surnageant qui puisse lutter de génie avec ces trois lignes?
59Hier, à quatre heures, une jeune femme s’est jetée dans la Seine du haut du Pont-des-Arts.
Cette phrase, grosse de tant de maux, est, la plupart du temps, insérée entre l’annonce d’un nouveau spectacle et le récit d’une somptueuse fête donnée pour soulager les indigens….. Nous sommes pleins de pitié pour les maux physiques.
Devant ce laconisme parisien, les drames, les romans tout pâlit, même ce vieux frontispice:
Les lamentations du glorieux roi de Kaërnavan, mis en prison par ses enfans…..
Dernier fragment d’un livre perdu, dont la seule lecture faisait pleurer ce Sterne, qui lui-même délaissait sa femme et ses enfans.
L’inconnu fut assailli par mille pensées semblables qui passaient en lambeaux dans son âme comme des drapeaux déchirés voltigeant au milieu d’une bataille. – Puis, il 60déposait pendant un moment le fardeau de son intelligence et de ses souvenirs, pour s’arrêter devant quelques fleurs dont il admirait les têtes mollement balancées par la brise parmi les massifs de verdure.
Mais, saisi par une convulsion de la vie qui regimbait encore sous la pesante idée du suicide, il levait les yeux au ciel; et des nuages gris, des bouffées de vent chargées de tristesse, une atmosphère lourde lui conseillaient de mourir….
Alors,
il s’achemina vers le Pont-Royal en songeant aux dernières fantaisies de ses prédécesseurs…. Il souriait en se rappelant que lord Castelreagh avait satisfait le plus humble de nos besoins avant de se couper la gorge, et que M. Auger l’académicien avait été chercher sa tabatière pour priser tout en marchant à la mort….
Il analysait ces bizarreries et s’interrogeait lui-même, quand, en se serrant contre le parapet du pont, pour laisser passer un 61fort de la halle, ce dernier lui ayant légèrement blanchi la manche de son habit, il se surprit à en secouer soigneusement la poussière.
Arrivé
au point culminant de la voûte, il regarda l’eau d’un air sinistre.
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