Désolé, l'interface de Variance a été conçue pour une résolution minimum de 1200 pixels.

Auteur Émile Zola
Œuvre L'Assommoir (1876-1877)
Comparaisons
Notice
Taille
Interlignage
Contraste
Style typographique
  1. Étude de mœurs parisiennes¶ ¶ Feuilleton du BIEN PUBLIC¶ DU 13 AVRIL 1876
  2. il la plantait là sur le trottoir de la rue des Poissonniers;
  3. à demi-
  4. un peu
  5. toute
  6. , les regards fixes
  7. compacte et
  8. . Des boulevards extérieurs, de la rue des Poissonniers, de toutes les rues voisines, débouchaient des groupes, de ce pas régulier et alourdi des travailleurs
  9. ,
  10. . Ce défilé muet, se bousculant sur les pavés
  11. , faisait songer à une armée en marche, allant à quelque bataille dont pas un des soldats ne devait revenir
  12. peu à peu
  13. ¶ ¶ 14 AVRIL 1876¶ ¶ I¶ – Suite –¶
  14. toujours
  15. , en face les uns des autres
  16. qui était
  17. -
  18. en
  19. ,
  20. légèrement
  21. toujours
  22. ¶ ¶ 15 AVRIL 1876¶ ¶ I¶ – Suite –¶
  23. . Les enfants pourraient toujours manger un morceau
  24. ,
  25. ,
  26. -là
  27. , la même décision entêtée
  28. petit
  29. de la rue
  30. d’eau
  31. ,
  32. , dans la vapeur d’eau
  33. toute
  34. et
  35. ¶ ¶ 16 AVRIL 1876¶ ¶ I¶ – Suite –¶
  36. ce matin
  37. deux
  38. Et
  39. çà et là
  40. avec une violence brusque de tempête
  41. , les lèvres tremblantes
  42. bleu
  43. les jetait,
  44. quand même
  45. tout d’un coup
  46. ¶ 18 AVRIL 1876¶ ¶ I¶ – Suite –¶ ¶
  47. ,
  48. .
  49. .
  50. battit des paupières,
  51. . Il ne se rappelait pas s’il y avait une dame
  52. pas
  53. cette nuit
  54. se moquant,
  55. ,
  56. :
  57. avec son seau
  58. .
  59. venir
  60. , ayant le besoin de gueuler encore
  61. …¶
  62. hurla
  63. ,
  64. ¶ ¶ 19 AVRIL 1876¶ ¶ I¶ – Suite –¶
  65. ,
  66. , coup sur coup,
  67. ,
  68. ,
  69. .
  70. qui pendait
  71. elle eut aussi le dos criblé de coups d’ongle, des taches roses dans le duvet doré de sa nuque; et
  72. ; elle lui avait à trois reprises labouré les tempes
  73. . Virginie eut une plainte sourde, se baissa, la serra aux cuisses, lui mangea les genoux à travers sa jupe. Mais Gervaise la tenait de nouveau par la queue de son chignon, elle l’attirait à elle, enfonçait sa bouche dans ses cheveux, lui mordait le crâne. Toutes deux, par terre, se dévoraient, avec des grognements
  74. rouges,
  75. Elles avaient un soupir, une plainte involontaire, et c’était tout, elles s’acharnaient, ne sentant pas les meurtrissures. D’ailleurs, jusque là, elles ne s’étaient fait aucune blessure grave.
  76. large
  77. assez!
  78. jupes pendantes, les mains sous leurs
  79. ¶ ¶ 20 AVRIL 1876¶ ¶ I¶ – Suite –¶
  80. «
  81. »
  82. longues
  83. encore
  84. ,
  85. à l’eau-de-vie
  86. , rue des Poissonniers
  87. noirs
  88. même
  89. .¶ ¶ 22 AVRIL 1876¶ ¶ II¶ – Suite –¶
  90. , des faces tendues
  91. ,
  92. , toujours
  93. -
  94. ,
  95. ,
  96. tout d’un coup
  97. et
  98. -là
  99. ¶ ¶ 23 AVRIL 1876¶ ¶ II¶ – Suite –¶
  100. ,
  101. ..
  102. ..
  103. bien
  104. de la nichée
  105. et quatre mois
  106. ,
  107. vous
  108. large
  109. Mais
  110. . Chaque côté offrait un développement de dix fenêtres
  111. longues
  112. rougeâtre
  113. une mare d’
  114. de grosses lettres
  115. ; la lettre A, les jambages effacés, n’était plus qu’un mince accent circonflexe. À droite, à gauche, en face, les
  116. ¶ ¶ 24 AVRIL 1876¶ ¶ II¶ – Suite –¶ ¶ La cour, salie
  117. large
  118. , à l’endroit où le soleil ne venait jamais
  119. ,
  120. ,
  121. , dont elle écoutait le jeu puissant des membres au travail
  122. dans la cour
  123. ; il lui fallait se roidir à deux bras pour ne pas glisser.¶ Toujours elle montrait une grande peur de la tentation, répétant que si jamais elle tournait mal, ce serait la faute des autres. Elle rêvait
  124. ,
  125. ,
  126. ¶ ¶ 25 AVRIL 1876¶ ¶ II¶ – Suite –¶ ¶
  127. ..
  128. tout
  129. ,
  130. ¶ ¶ 28 AVRIL 1876¶ ¶ II¶ – Suite –¶
  131. ,
  132. Mais
  133. un peu
  134. de son établi
  135. ,
  136. regarder à peine, semblaient la
  137. ,
  138. ,
  139. ; on le savait l’amant de cœur de la grande bringue du second, une souillon à ne pas prendre du bout des pincettes; l
  140. .
  141. pas
  142. ¶ ¶ 29 AVRIL 1876¶ ¶ II¶ – Suite –¶
  143. -
  144. je le pensais:
  145. ,
  146. me
  147. la
  148. , aux quatre bords, les larges baies des
  149. , à gauche
  150. -
  151. ¶ ¶ 30 AVRIL 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶ ¶
  152. courir et à
  153. à pied,
  154. , Mme Lorilleux et Mme Lerat,
  155. ,
  156. ,
  157. près de là,
  158. ¶ ¶ 2 MAI 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶
  159. de trente-six ans
  160. ..
  161. à peine
  162. -
  163. ,
  164. ,
  165. même
  166. Tout à l’heure, vous avez vu, j’étais sortie des gonds. Mais, vraiment, c’est à se casser la tête contre un mur…
  167. ¶ ¶ 3 MAI 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶
  168. , à l’avenir
  169. bien
  170. tout
  171. de prendre garde
  172. à
  173. et de génie
  174. ,
  175. ¶ ¶ 4 MAI 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶ ¶
  176. de nouveau
  177. et de la première pile
  178. le deuil
  179. .
  180. -
  181. finir
  182. pour sûr
  183. dans un brasier,
  184. ,
  185. et
  186. s’assit à la droite de
  187. , en priant
  188. de se mettre à sa gauche; de l’autre côté,
  189. , et à sa gauche Mme
  190. leur
  191. ¶ ¶ 5 MAI 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶
  192. ,
  193. , d’une pureté éclatante
  194. ,
  195. ,
  196. .
  197. en somme;
  198. ,
  199. !
  200. ;
  201. ¶ 7 MAI 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶ ¶ Alors
  202. , dans le bastringue
  203. la
  204. ¶ 9 MAI 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶ ¶
  205. ,
  206. tout de même
  207. !
  208. ,
  209. .
  210. francs
  211. frappé
  212. ,
  213. , qu’ils coudoyaient
  214. À
  215. pas
  216. ¶ ¶ 10 MAI 1876¶ ¶ III¶ – Suite –¶
  217. y
  218. ,
  219. un peu
  220. jeune
  221. ,
  222. ,
  223. ,
  224. ,
  225. .
  226. ,
  227. ,
  228. ,
  229. ¶ ¶ 12 MAI 1876¶ ¶ IV¶ – Suite –¶
  230. ,
  231. , vers six heures
  232. ,
  233. souvent
  234. à eux deux,
  235. ,
  236. ¶ ¶ 13 MAI 1876¶ ¶ IV¶ – Suite –¶ ¶
  237. d’un tiroir
  238. à la campagne,
  239. à sa toilette,
  240. ,
  241. ,
  242. ,
  243. à la main
  244. ,
  245. à Coupeau.
  246. dans
  247. -
  248. ¶ ¶ 14 MAI 1876¶ ¶ IV¶ – Suite –¶
  249. là,
  250. -
  251. , n’est-ce pas?
  252. , le voyant loin du bord
  253. ,
  254. ,
  255. ¶ ¶ 16 MAI 1876¶ ¶ IV¶ – Suite –¶
  256. elle-même
  257. . Elle ne pleurait même plus
  258. ils
  259. elle est toujours à louer,
  260. lit du
  261. , comme un enfant
  262. ,
  263. et
  264. , ne savait pas souffrir, se fâchait pour le moindre bobo
  265. autour de lui
  266. ¶ 17 MAI 1876¶ ¶ IV¶ – Suite –¶ ¶ Et
  267. peu à peu
  268. lui faisait
  269. , il avait tort de ne pas mieux veiller à son ménage.
  270. afin de tuer une heure ou deux
  271. ,
  272. encore
  273. grande
  274. surtout
  275. ¶ 18 MAI 1876
  276. gros
  277. vague
  278. Mais, vis-à-vis du monde, ils gardaient plus de dignité et plus de majesté que lui. Mme
  279. ,
  280. lui
  281. , le bail se trouvait signé
  282. à droite et à gauche
  283. , là
  284. ¶ ¶ 20 MAI 1876¶
  285. les étagères, à droite et à gauche, étaient tapissées comme les planches de l’étalage; l
  286. ,
  287. ,
  288. Si on avait fouillé dans le cœur de la blanchisseuse, on n’aurait amené que de la boue; et elle semblait fouiller de la main, retirer du vide des pelletées d’ordures.¶
  289. ¶ ¶ 21 MAI 1876¶ ¶ V¶ – Suite –¶ ¶
  290. la
  291. toute
  292. ¶ ¶ 23 MAI 1876¶ ¶ V¶ – Suite –¶
  293. ,
  294. ,
  295. ,
  296. ¶ Mme
  297. sortit d’une profonde réflexion, il s
  298. lui
  299. ,
  300. ¶ 25 MAI 1876¶ ¶ V¶ – Suite –¶ ¶
  301. À l’un des bouts
  302. un
  303. pleine d’eau
  304. ;
  305. ou six
  306. à ce louchon d’Augustine
  307. . Coupeau continua à plaisanter
  308. ,
  309. !
  310. sexe
  311. naturellement
  312. ¶ ¶ 26 MAI 1876¶ ¶ V¶ – Suite –¶
  313. à elle
  314. ,
  315. ,
  316. ou quinze
  317. ,
  318. lui
  319. ,
  320. ,
  321. moins âgée d’un an,
  322. Fauconnier
  323. ¶ ¶ 27 MAI 1876¶ ¶ V¶ – Suite –¶ ¶
  324. ,
  325. sans s’arrêter
  326. s’en mêla,
  327. , en ne plus rien leur donnant
  328. ,
  329. ¶ ¶ 28 MAI 1876¶ ¶ V¶ – Suite –¶ ¶
  330. , au fond de leur trou
  331. -
  332. déjà
  333. ouverte
  334. ,
  335. ,
  336. charpentes, de
  337. ,
  338. ,
  339. ¶ ¶ 29 MAI 1876¶ ¶ VI¶ – Suite –¶
  340. de la forge
  341. ;
  342. ¶ ¶ 31 MAI 1876¶ ¶ VI¶ – Suite –¶
  343. , bien plaisir
  344. Il l’emmena pour l’accompagner, dit-il.
  345. entre toutes ces roues en mouvement;
  346. ¶ ¶ 1er JUIN 1876¶ ¶ VI¶ – Suite –¶ ¶
  347. ,
  348. .
  349. ¶ ¶ 3 JUIN 1876¶ ¶ VI¶ – Suite –¶
  350. tout
  351. ¶ ¶ 4 JUIN 1876¶ ¶ VI¶ – Suite –¶
  352. seulement
  353. .
  354. Ce
  355. ¶ ¶ 6 JUIN 1876¶ ¶ VI¶ – Suite –¶
  356. à ces choses
  357. , au fond
  358. de la blanchisseuse
  359. ;
  360. ,
  361. à
  362. réfléchir
  363. à chaque minute
  364. ¶ ¶ 7 JUIN 1876¶ ¶ VI¶ – Suite –¶
  365. elle se montrait d’une exactitude exemplaire,
  366. à l’aise,
  367. à la forge
  368. à la porte
  369. qui venait d’être
  370. à sa boutique
  371. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.¶ ¶ ¶ LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES¶ ¶ 9 juillet 1876¶ ¶ L’ASSOMMOIR¶ ¶ (DEUXIÈME PARTIE)¶ ¶ I
  372. ;
  373. . Il était trop sur la boisson, elle pouvait bien être un peu sur la nourriture
  374. ,
  375. déjà
  376. ; voilà ce qui est embarrassant….
  377. ….
  378. ça,
  379. .
  380. comme ça
  381. de la rue, debout sur le
  382. ; elle expliqua longuement comment elle l’avait reconnu, à la manière dont il frisait ses moustaches
  383. ; voilà comment se font les crimes
  384. .
  385. et qu’on savait faire les choses
  386. à boire un verre de vin
  387. .
  388. -
  389. ¶ ¶ 16 juillet 1876¶ ¶ I.–Suite.¶ ¶
  390. : Lorilleux à sa droite, puis madame Putois; Poisson à sa gauche, puis madame Boche; de l’autre côté, à la droite de Coupeau, madame Lorilleux, et à la gauche Virginie, puis Goujet; enfin, maman Coupeau et madame Lerat à l’un des bouts de la table carrée, Boche et Clémence à l’autre bout
  391. ,
  392. , s’adressant à la société
  393. – J’aime mieux la recevoir dans la bouche que sur la tête, fit remarquer madame Putois.¶ Mais coupeau en lâcha une plus raide.¶ – Moi, c’est comme ça que je préfère les oies et les femmes, grasses et chaudes.¶
  394. ..
  395. ..
  396. , très-flatté
  397. D
  398. Goujet la trouvait très-bien, et
  399. , Cinq ou six morceaux d’oie traînaient encore sur le plat, on ne pouvait plus aller, on rotait dessus; mais Gervaise regardait ça comme un affront, elle les partagea, les mit dans les assiettes. L’oie était enferrée
  400. , tout à fait lancée,
  401. toute
  402. Coupeau
  403. ¶ ¶ 23 juillet 1876¶ ¶ I.–Suite.
  404. ;
  405. Le vacarme grandissait encore.
  406. -
  407. adorait tripoter le monde, elle lui enlevait sa cravate,
  408. ,¶ Par des moyens qu’ils font fièr’ment fameux.¶ N’a pas d’ danger que j’en trouv’ de cruelles,¶ J’les vois toujours correspondre à mes feux.
  409. discrète
  410. ,
  411. ,
  412. Bien vrai, ce n’est pas pour vous tranquiliser.
  413. ,
  414. et
  415. en
  416. , en retirant lentement les mains de ses poches
  417. -
  418. ..
  419. ¶ ¶ 30 juillet 1876¶ ¶ I.–Suite.
  420. ,
  421. -
  422. ,
  423. ,
  424. ,
  425. , le défendaient violemment
  426. ,
  427. de lui
  428. ,
  429. , elle devenait toute froide
  430. du reste,
  431. ¶ ¶ 6 août 1876¶ ¶ II.–Suite.
  432. ,
  433. ,
  434. ,
  435. ancienne
  436. , elle s’était assise
  437. ,
  438. ; il possédait également
  439. ,
  440. .
  441. peu à peu,
  442. au
  443. , Vigouroux
  444. ,
  445. même
  446. ¶ ¶ 13 août 1876¶ ¶ II. – Suite.
  447. , sans échanger un mot
  448. un peu
  449. ,
  450. s’était
  451. .
  452. .
  453. .
  454. .
  455. .
  456. .
  457. , sans se l’avouer à elle-même,
  458. semblait heureuse, elle
  459. ,
  460. ,
  461. dans sa célébrité
  462. était pressé,
  463. quatre ou
  464. ,
  465. aujourd’hui
  466. , avant de se séparer
  467. pour atteindre son verre
  468. , ce serait toujours assez tôt
  469. au milieu de l’avenue,
  470. du marchand de vin
  471. .
  472. ¶ ¶ 20 août 1876¶ ¶ II. – Suite.
  473. . Mon Dieu,
  474. Quand le besoin d’une bordée prenait Coupeau, personne au monde n’aurait pu l’arrêter; ça durait ce que ça devait durer; et il gagnait à ce métier-là quinze jours de sagesse. Même
  475. d’
  476. au moins
  477. ,
  478. dépoli
  479. ,
  480. avec elles, sans doute
  481. restée
  482. ignoble
  483. ,
  484. ,
  485. .
  486. .
  487. .
  488. .
  489. ,
  490. ..
  491. , venait
  492. .
  493. sûrement
  494. à la main
  495. ,
  496. ¶ ¶ 27 août 1876¶ ¶ III. – Suite.
  497. y
  498. à Gervaise,
  499. ,
  500. – Ah! malheureuse! malheureuse! dit-elle simplement, en se penchant au-dessus de la vieille femme, soufflant sous sa couverture.¶ Et, très
  501. petits
  502. Maintenant, on
  503. , autrefois,
  504. ,
  505. séchés
  506. , embarrassée de ses membres
  507. qu’elle prenait
  508. , elle s’abandonnait davantage
  509. ,
  510. y
  511. en
  512. ,
  513. , maintenant
  514. ¶ ¶ 3 septembre 1876¶ ¶ III. – Suite.
  515. , elle aurait mangé son pain blanc
  516. , plus assommant
  517. d’ailleurs
  518. ,
  519. : son mari lui enseignait une jolie langue, et son amant une belle ordure! Les mots et la chose, une éducation complète, un train express pour le ruisseau. Ça
  520. . Sa seule faute était de s’endormir dans ces saletés, au lieu de se tirer de la crotte en femme solide qui envoie dinguer le monde; mais chacun a son caractère, elle ne voulait faire de la peine à personne, elle cédait sur tout, elle n’avait pas dix ans pour la volonté
  521. de les avoir vidés trop vite; il leur gardait
  522. ainsi
  523. , c
  524. toute
  525. ¶ Vraiment, ça devenait de moins en moins gai.
  526. qu’elle
  527. ,
  528. , comme si la maison brûlait
  529. leurs
  530. rien
  531. peut-être
  532. -
  533. ¶ ¶ 10 septembre 1876¶ ¶ III. – Suite.
  534. ,
  535. jamais
  536. petite
  537. , puis les prix
  538. ,
  539. . Il leur semblait que ça durerait pendant des semaines, et ça ne les contrariait pas encore; ils s’abandonnaient à un état de chagrin assez doux
  540. et
  541. seules
  542. à se mettre;
  543. et gueuler encore une fois
  544. ,
  545. ,
  546. ,
  547. un
  548. .¶ ¶ 17 septembre 1876¶ ¶ III. – Suite.
  549. s’élevaient
  550. au milieu du silence
  551. par terre
  552. dans la voiture. On partait, mais le
  553. ,
  554. en arrière
  555. à
  556. ,
  557. -
  558. petit
  559. ,
  560. -
  561. et qui ne sentent pas bon
  562. -t
  563. gobé par
  564. parfois
  565. ,
  566. ¶ ¶ 24 septembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  567. , elle n’entendait pas qu’une amie lui prît tout, sa boutique, sa considération, son amoureux
  568. en riant
  569. . Si jamais elle était bien sûre de la perfidie de Virginie, car ce sont des choses dans lesquelles il faut mettre le nez pour en être sûre, eh bien! elle ferait payer à Virginie le tout en une fois
  570. , à aider les Lorilleux dans leurs méchancetés!
  571. à lui,
  572. se voyaient et
  573. ,
  574. semblait se reposer dans son triomphe. Parfois, il laissait échapper un sourire, comme pour se féliciter de la façon roublarde dont il avait conduit sa barque. Ce n’était pas un petit tour de force, d’avoir gardé sa chambre, après la débâcle des Coupeau, et de s’être arrangé de manière à trouver tout de suite une autre table servie
  575. venaient les dernières, et
  576. beaucoup
  577. ,
  578. , leur quatre sous passaient là, à acheter le droit de crever au fond de leur trou
  579. ¶ ¶ 1er octobre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  580. encore
  581. -là
  582. et
  583. vieux
  584. moindres
  585. , et elle attendait un seul mot de lui pour le supplier, en disant: «C’est moi, vous savez bien, votre voisine, la blonde qui est encore gentille. J’en ai assez de la sacrée existence! Emballez-moi, je me laisserai faire, je ne pèserai pas lourd, et je vous embrasserai pour la peine»
  586. de la mort
  587. ,
  588. ¶ ¶ 8 octobre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  589. , une cervelle pareille à une éponge tombée dans un baquet d’eau-de-vie
  590. il
  591. ces restants
  592. à la vérité,
  593. à lui dire
  594. ¶ ¶ 15 octobre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  595. à Lariboisière
  596. au soir
  597. à la file,
  598. , à cette heure
  599. ,
  600. ..
  601. ,
  602. et
  603. ¶ ¶ 23 octobre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  604. à
  605. mouillées
  606. vraie
  607. , sur les trottoirs,
  608. et du front
  609. , leurs voix flutées prenaient des grâces coquettes
  610. Le nez au vent, l’air fou,
  611. ,
  612. . Nana surtout connaissait les bons endroits
  613. , serrés d’un ruban
  614. ¶ ¶ 29 octobre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  615. sur les trottoirs
  616. . Elle se pelotonnait comme chatouillée
  617. et
  618. je voyais seulement
  619. , prêtes à être employées
  620. sur la tête
  621. , à surprendre dans sa personne des choses drôles
  622. plus
  623. .
  624. -
  625. ¶ ¶ 12 novembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  626. ,
  627. -
  628. ,
  629. Caire
  630. ,
  631. au feu
  632. ¶ ¶ 19 novembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  633. ,
  634. sous ses quatre guenilles
  635. était plus chez lui que les Poisson. Il
  636. les unes après les autres, en quelques bouchées. Sans doute, la rue avait fini par s’habituer, ce train-train paraissait naturel, même il devait y avoir de ce sentiment dans l’indifférence de Gervaise, car le jour où Virginie lui avait pris sa boutique, il était déjà sous-entendu que Lantier passait avec
  637. , une boutique de confiseur qui lui coulait au travers du corps
  638. , qui partout suait la douceur
  639. vrai
  640. , qu’elle tirait du parquet
  641. mince
  642. tout-à-coup
  643. de son air raide
  644. , et se mit à le sucer
  645. Elle l’a déjà ramolli
  646. , qui s’était remis à son découpage
  647. que le récit du chapelier semblait avoir émue, et
  648. brusquement
  649. de fille
  650. Depuis longtemps, on avait abattu le mur de l’octroi, ce qui élargissait joliment la promenade des boulevards extérieurs. À présent, on
  651. Ornano, où l’on bâtissait déjà des maisons, emplissait surtout le quartier d’une poussière de plâtre
  652. Certes,
  653. pourtant
  654. -il
  655. , qui vous éclaire devant le public avec vous quatre guenilles
  656. en apprenant œ dernier renseignement,
  657. ¶ ¶ 26 novembre 1876¶ ¶ (DEUXIÈME PARTIE)¶ IV. – Suite.
  658. Brusquement, d’ailleurs, la colère du zingueur tomba.
  659. , lâchant des rires
  660. encore
  661. grandes
  662. ,
  663. ,
  664. petite
  665. Lorsqu’on a une fille qui tourne mal, il est préférable de l’envoyer commettre ses cent dix-neuf coups ailleurs.
  666. -là
  667. ; on en racontait tant à Gervaise, que celle-ci ne pouvait plus rien apprendre qui l’étonnât.
  668. bien
  669. le
  670. se fichait de tout, il
  671. Les chiens qui sont pères, n’est-ce pas? restent bien tranquilles, le nez au soleil et battant de la queue, devant les débordements des chiennes leurs filles; même, quelquefois, ils se font grands-pères. Eh bien! Coupeau en était là, une vraie bête; il gardait seulement la carcasse d’un homme, mais le cerveau et le cœur avaient fondu dans le vitriol de l’Assommoir. Il pouvait rouler aux dernières ordures, des juges intelligents l’auraient simplement envoyé à Bicêtre.
  672. Le médecin le lui répétait, il était fichu, s’il ne cessait pas de boire.
  673. à peine
  674. , tout d’un coup,
  675. Les Lorilleux, enchantés, racontaient qu’elle faisait le tour de Paris, en changeant d’hommes à toutes les barrières.
  676. Je ne parle pas pour moi, mais il
  677. -là
  678. très-raide,
  679. bien
  680. plus
  681. son
  682. . Elle se fourrait tout habillée dans les deux lambeaux qui leur servaient de draps et de couvertures, parce que, de cette manière, elle se secouait et se trouvait prête. Comme elle aimait à avoir la tête haute, elle avait fait un traversin avec un pavé
  683. en
  684. Ce qu’elle regrettait surtout, c’était son poêle; sans doute, elle n’allumait pas de feu dedans; mais elle le voyait, elle s’imaginait des fois qu’il était allumé.
  685. et
  686. à donner envie de pleurer,
  687. D’ailleurs, les
  688. , le soir, la réchauffaient un peu.
  689. ; tous deux, parfois, restaient sur le carreau, couchés, saignants, râlant
  690. les
  691. n’avaient plus l’air de compter dans son existence. Elle s’en fichait
  692. ,
  693. -
  694. pas mal
  695. à crever
  696. ,
  697. devint toute blanche, elle serra les poings et les tendit vers le plafond, dans un geste muet de désespoir. Non,
  698. pas
  699. Ça ne devrait pas être permis, trop de souffrance. Maintenant qu’elle avait quitté sa paille, son estomac se réveillait
  700. ce n’était plus un poids qu’elle avait là, mais une bête acharnée dont les crocs la dévoraient. Elle se pliait en deux pour s’écraser la poitrine et ne plus la sentir, elle
  701. Elle
  702. , trolla par la chambre
  703. . Une rage la prenait, elle avait beau regarder et tirer la langue, rien à frire, pas une miette, une panne féroce. Elle aurait gratté les murs nus avec les ongles et mâché le plâtre
  704. Est-il Dieu possible qu’on soit ainsi abandonné du ciel et de la terre!
  705. Et Boche, à son tour, crut devoir dire son mot:¶ – Il y a des fois où l’on vous étranglerait pour un centime.¶
  706. au fond de leurs poches
  707. . Oui,
  708. Non, jamais ils n’espéraient la voir si bas, le nez à ce point dans la crotte.
  709. ,
  710. ,
  711. -
  712. . Elle trembla dans son lit, elle devint plus blanche
  713. brusquement
  714. été trop raisonnable
  715. Faut-il que les ivrognes soient des brutes!
  716. ,
  717. , qui aurait fait tomber à genoux les cœurs les plus durs
  718. on voyait
  719. large
  720. , qu’une plaie
  721. ¶ 10 décembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.¶ ¶ Et,
  722. ,
  723. vraie
  724. ,
  725. si
  726. si
  727. , l’air hébêté
  728. , car ça ne lui paraissait plus possible de revoir le jour sans manger.
  729. .
  730. deux
  731. , le travail harassé qui remontait de Paris
  732. du faubourg, des groupes compactes
  733. , s’étalant et emplissant le carrefour
  734. tout
  735. vagues et
  736. maintenant
  737. et poussiéreuse
  738. de la chambre du
  739. baissa la tête et
  740. qui rentrait
  741. , et qui la laissait grelotter seule, le long des platanes maigres
  742. ¶ ¶ 17 décembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  743. , de noceurs pressés de fricoter leur monnaie
  744. ,
  745. farouche
  746. et s’amuser
  747. Elle était serrée à la gorge par une
  748. , devenait suppliante
  749. qu’elle faisait
  750. brusques
  751. encore
  752. où elle avait vieilli
  753. encore
  754. Un reste de coquetterie, montant de son abjection, la serrait au cœur.
  755. ,
  756. , monsieur
  757. de s’attraper et
  758. ,
  759. Il lui semblait maintenant qu’elle irait ainsi toute la nuit, Cela la promenait et apaisait sa faim.
  760. et honteuse
  761. et
  762. , à cette heure
  763. un à un
  764. Seule, debout, elle s’abandonnait à cette mer de neige, qu’elle sentait battre d’un bout de l’horizon à l’autre.
  765. chancelant,
  766. pour mourir
  767. , une table, une toilette et une étagère servant de bibliothèque
  768. plus tard
  769. Puis,
  770. , pleurant de nouveau
  771. .
  772. ¶ ¶ 24 décembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  773. pour dévorer le pauvre monde
  774. petit
  775. bien sûr
  776. grand
  777. plus
  778. plus
  779. bien
  780. encore
  781. de partout
  782. .
  783. marcha à reculons,
  784. ¶ ¶ 31 décembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.
  785. tout
  786. oui,
  787. .
  788. -
  789. pour ce jour-là
  790. ¶ ¶ 7 janvier 1877¶ ¶ IV. – Suite.
  791. -là
  792. -là
  793. ,
  794. !
  795. faim et de
  1. ¶ PRÉFACE¶ ¶ Les \Rougon-Macquart\ doivent se composer d’une vingtaine de romans. Depuis 1869, le plan général est arrêté, et je le suis avec une rigueur extrême. L’\Assommoir\ est venu à son heure, je l’ai écrit, comme j’écrirai les autres, sans me déranger une seconde de ma ligne droite. C’est ce qui fait ma force. J’ai un but auquel je vais.¶ Lorsque l’\Assommoir\ a paru dans un journal, il a été attaqué avec une brutalité sans exemple, dénoncé, chargé de tous les crimes. Est-il bien nécessaire d’expliquer ici, en quelques lignes, mes intentions d’écrivain? J’ai voulu peindre la déchéance fatale d’une famille ouvrière, dans le milieu empesté de nos faubourgs. Au bout de l’ivrognerie et de la fainéantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuité, l’oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme dénouement la honte et la mort. C’est de la morale en action, simplement.¶ L’\Assommoir\ est à coup sûr le plus chaste de mes livres. Souvent j’ai dû toucher à des plaies autrement épouvantables. La forme seule a effaré. On s’est fâché contre les mots. Mon crime est d’avoir eu la curiosité littéraire de ramasser et de couler dans un moule très-travaillé la langue du peuple. Ah! la forme, là est le grand crime! Des dictionnaires de cette langue existent pourtant, des lettrés l’étudient et jouissent de sa verdeur, de l’imprévu et de la force de ses images. Elle est un régal pour les grammairiens fureteurs. N’importe, personne n’a entrevu que ma volonté était de faire un travail purement philologique, que je crois d’un vif intérêt historique et social.¶ Je ne me défends pas, d’ailleurs. Mon œuvre me défendra. C’est une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu’ignorants et gâtés par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent. Seulement, il faudrait lire mes romans, les comprendre, voir nettement leur ensemble, avant de porter les jugements tout faits, grotesques et odieux, qui circulent sur ma personne et sur mes œuvres. Ah! si l’on savait combien mes amis s’égayent de la légende stupéfiante dont on amuse la foule! Si l’on savait combien le buveur de sang, le romancier féroce, est un digne bourgeois, un homme d’étude et d’art, vivant sagement dans son coin, et dont l’unique ambition est de laisser une œuvre aussi large et aussi vivante qu’il pourra! Je ne démens aucun conte, je travaille je m’en remets au temps et à la bonne foi publique pour me découvrir enfin sous l’amas des sottises entassées.¶ Émile Zola.¶ Paris, 1er janvier 1877.¶ ¶ I
  2. ,
  3. ,
  4. ,
  5. ,
  6. ,
  7. ,
  8. et
  9. ,
  10. , les fleuristes
  11. ,
  12. -
  13. de
  14. ,
  15. ,
  16. ,
  17. ,
  18. … Elle a couché avec tout le restaurant
  19. avec tout le restaurant!
  20. ,
  21. ,
  22. te
  23. .
  24. -
  25. ,
  26. ,
  27. d’eau
  28. ,
  29. -
  30. ,
  31. -
  32. donc
  33. -
  34. ,
  35. -
  36. ,
  37. ,
  38. ,
  39. ,
  40. ,
  41. ,
  42. -
  43. -
  44. ,
  45. ,
  46. ,
  47. ,
  48. ,
  49. !¶ – Salope! salope! salope! hurla
  50. le derrière
  51. !
  52. -
  53. ,
  54. et
  55. -
  56. !
  57. -
  58. ,
  59. ,
  60. ,
  61. ,
  62. ,
  63. ,
  64. ,
  65. ,
  66. ,
  67. ,
  68. ensemble
  69. des Poissonniers
  70. ,
  71. ,
  72. ,
  73. -
  74. ,
  75. ,
  76. -
  77. ,
  78. ?
  79. ,
  80. même
  81. -
  82. ,
  83. ,
  84. ,
  85. ,
  86. ,
  87. ,
  88. ,
  89. -
  90. ,
  91. -
  92. ,
  93. d’
  94. ,
  95. ,
  96. ,
  97. ,
  98. ,
  99. ,
  100. -
  101. ,
  102. au fond duquel
  103. . Les
  104. noirs de poussière
  105. Salie
  106. la cour
  107. eu
  108. ,
  109. ,
  110. -
  111. . Son rêve était
  112. -
  113. -
  114. ,
  115. -
  116. ,
  117. ,
  118. -
  119. ,
  120. elle
  121. -
  122. -
  123. ,
  124. -
  125. ,
  126. -
  127. ,
  128. ,
  129. ,
  130. -
  131. -
  132. -
  133. ,
  134. ,
  135. -
  136. -
  137. ,
  138. -
  139. . L
  140. ,
  141. aller avec tous les hommes!
  142. pas
  143. ,
  144. -
  145. ,
  146. ,
  147. les
  148. ,
  149. -
  150. -
  151. -
  152. -
  153. , voleur comme une fruitière
  154. , dans sa boutique,
  155. point trop détériorée, et
  156. ,
  157. ,
  158. -
  159. -
  160. -
  161. -
  162. -
  163. -
  164. -
  165. ,
  166. ,
  167. une extrême
  168. ,
  169. ,
  170. l’
  171. -
  172. -
  173. -
  174. nous
  175. ; et elle ajoutait que beaucoup d’hommes aimaient ça, sans vouloir s’expliquer davantage
  176. ,
  177. ,
  178. -
  179. ,
  180. -
  181. ,
  182. ,
  183. ,
  184. -
  185. ,
  186. -
  187. ,
  188. -
  189. ,
  190. -
  191. mais
  192. ,
  193. -
  194. en criant que
  195. -
  196. -
  197. ,
  198. ,
  199. -
  200. -
  201. ,
  202. -
  203. était entre
  204. et
  205. , et
  206. et madame
  207. ,
  208. et madame Gaudron
  209. -
  210. ,
  211. ,
  212. ,
  213. ,
  214. ,
  215. -
  216. ,
  217. ,
  218. -
  219. ,
  220. ,
  221. Boche, se penchant et réclamant une explication, tout bas, à l’oreille, elle reprit:
  222. -
  223. -
  224. -
  225. ,
  226. -
  227. ,
  228. ,
  229. . Elle avait bien vu sa main disparaître
  230. -
  231. ,
  232. ,
  233. ,
  234. -
  235. -
  236. -
  237. , au fond duquel
  238. Alors,
  239. ,
  240. -
  241. -
  242. -
  243. ,
  244. -
  245. -
  246. -
  247. en
  248. ,
  249. -
  250. -
  251. -
  252. ,
  253. ,
  254. ,
  255. ,
  256. frappé
  257. ,
  258. ,
  259. bien posés
  260. Pour dire
  261. -
  262. -
  263. ,
  264. ,
  265. -
  266. -
  267. ,
  268. ,
  269. ,
  270. -
  271. n’
  272. ,
  273. -
  274. -
  275. -
  276. ils savaient ce qu’
  277. ,
  278. -
  279. ..
  280. ,
  281. -
  282. ,
  283. -
  284. ,
  285. -
  286. ,
  287. ,
  288. -
  289. -
  290. ,
  291. ,
  292. -
  293. -
  294. ,
  295. l’
  296. -
  297. ,
  298. !
  299. ,
  300. ses
  301. et
  302. en
  303. -
  304. -
  305. ,
  306. ,
  307. -
  308. ,
  309. ,
  310. ,
  311. ,
  312. eu
  313. -
  314. ,
  315. -
  316. ,
  317. ,
  318. -
  319. ,
  320. !
  321. Et,
  322. -
  323. il
  324. à
  325. lui causait
  326. !
  327. ,
  328. ,
  329. -
  330. ,
  331. -
  332. -
  333. ,
  334. ,
  335. ,
  336. grand
  337. -
  338. ,
  339. -
  340. -
  341. Madame
  342. ,
  343. ,
  344. -
  345. eux
  346. l
  347. -
  348. -
  349. ,
  350. ,
  351. -
  352. ,
  353. ,
  354. ,
  355. -
  356. Hier encore, j’ai vu ce sournois. de Boche se frotter aux jupes de madame Gaudron. S’attaquer à une femme de cet âge, qui a une demi-douzaine d’enfants, hein? c’est de la cochonnerie pure!… Encore une saleté de leur part, et je préviens la mère Boche, pour qu’elle flanque une tripotée à son homme… Dame! on rirait un peu.
  357. -
  358. ,
  359. -
  360. chez la tripière,
  361. -
  362. -
  363. vite
  364. ,
  365. ,
  366. -
  367. la
  368. ,
  369. et
  370. .
  371. -
  372. , une saleté
  373. Augustine faisait celle qui ne comprend pas, ouvrait de grandes oreilles de petite fille vicieuse. Madame
  374. du
  375. s
  376. -
  377. ,
  378. -
  379. ,
  380. ,
  381. Un
  382. ,
  383. ,
  384. .
  385. Elle avait tout de même de sacrés ailerons, cette dessalée de Clémence! Elle pouvait se montrer pour deux sous et laisser tâter, personne ne regretterait son argent.
  386. ,
  387. ,
  388. . Alors, elle était toujours dans les chemises d’homme. Mais oui, elle vivait là-dedans. Ah! Dieu de Dieu! elle les connaissait joliment, elle savait comment c’était fait. Il lui en avait passé par les mains, et des centaines, et des centaines! Tous les blonds et tous les bruns du quartier portaient de son ouvrage sur le corps. Pourtant,
  389. ; elle rabattait le pan de devant et le plissait également à larges coups.¶ – Ça, c’est la bannière! dit-elle en riant plus fort.¶ Ce louchon d’Augustine éclata, tant le mot lui parut drôle. On la gronda. En voilà une morveuse qui riait des mots qu’elle ne devait pas comprendre!
  390. lui
  391. -
  392. ; et toute sa chair nue avait un gonflement, ses épaules remontaient avec le jeu lent des muscles mettant des battements sous la peau fine, la gorge s’enflait, moite de sueur, dans l’ombre rose de la chemise béante. Alors, il envoya les mains, il voulut toucher
  393. sexe… Et puis, quand on étale sa marchandise, c’est pour qu’on fasse son choix, pas vrai? Pourquoi la grande blonde montre-t-elle tout ce qu’elle a? Non, ce n’est pas propre…¶ Et, se tournant vers Clémence:¶ – Tu sais, ma biche, tu as tort de faire ta poire… Si c’est parce qu’il y a du monde
  394. Il dégagea sa bouche, il dit qu’il voulait bien se coucher, mais que la grande blonde allait venir lui chauffer les petons.
  395. maternellement. Lorsqu’elle tira sur sa culotte, il creva de rire, s’abandonnant, renversé, vautré au beau milieu du lit; et il gigotait, il racontait qu’elle lui
  396. Mais il ne répondit pas, il cria à Clémence:¶ – Dis-donc, ma biche, j’y suis, je t’attends.
  397. ,
  398. -
  399. , mais ne voyant déjà plus de mal à ce qu’il pinçât, chez elle, les hanches des filles
  400. -
  401. -
  402. ,
  403. et
  404. ; jamais un geste sale, jamais un mot polisson.
  405. , ne songeant pas aux vilaines choses
  406. , qui
  407. ,
  408. ,
  409. ,
  410. voulait visiter les autres partout,
  411. ,
  412. ,
  413. perçant
  414. ; cette vicieuse donnait des remèdes aux autres, avec des bâtons
  415. ,
  416. ,
  417. saloperie de
  418. -
  419. -
  420. ,
  421. -
  422. ,
  423. il
  424. , dont la femme devait avoir les hanches bleues, tant les hommes la pinçaient,
  425. ,
  426. -
  427. ,
  428. il y avait
  429. -
  430. bien
  431. -
  432. avoir
  433. ,
  434. -
  435. . Bien sûr, elle n’avait pas de pensées sales; mais elle n’en était pas moins un peu honteuse.
  436. -
  437. ,
  438. -
  439. ,
  440. -
  441. ,
  442. ,
  443. -
  444. -
  445. , au milieu de la besogne interrompue
  446. Il faut dire aussi que ces hommes sont d’un bête, quand ils couchent avec une femme; ils vous découvrent toute la nuit…¶
  447. ¶ – Vous croyez ça, vous, qu’elle a décroché un enfant? reprit Clémence.¶ – Dame! le bruit a couru dans le quartier, répondit Virginie. Vous comprenez, je n’y étais pas… C’est dans le métier, d’ailleurs. Toutes en décrochent.¶ – Ah bien! dit madame Putois, on est trop bête de se confier à elles. Merci, pour se faire estropier!… Voyez-vous, il y a un moyen souverain. Tous les soirs on avale un verre d’eau bénite en se traçant sur le ventre trois signes de croix avec le pouce. Ça s’en va comme un vent.¶ Maman Coupeau, qu’on croyait endormie, hocha la tête pour protester. Elle connaissait un autre moyen, infaillible celui-là. Il fallait manger un œuf dur toutes les deux heures et s’appliquer des feuilles d’épinard sur les reins. Les quatre autres femmes restèrent graves. Mais ce
  448. Cependant, maman Coupeau, madame Putois et Clémence discutaient l’efficacité des œufs durs et des feuilles d’épinard.
  449. ,
  450. et
  451. -
  452. -
  453. , faisant la petite chapelle
  454. -
  455. -
  456. penser
  457. ,
  458. -
  459. de la veille
  460. VII¶
  461. . Tant pis!
  462. ,
  463. ,
  464. ,
  465. ,
  466. du
  467. ,
  468. l’
  469. !
  470. ,
  471. ,
  472. ,
  473. ,
  474. \
  475. ,
  476. ,
  477. Goujet, d
  478. ,
  479. .
  480. ,
  481. ,
  482. bronzée
  483. -
  484. -
  485. s’
  486. -
  487. ,
  488. ,
  489. ,
  490. les danses sous
  491. ,
  492. l’
  493. -
  494. , les mains dans les poches,
  495. ,
  496. ;
  497. ,
  498. ,
  499. ,
  500. trou la la,»
  501. ,
  502. bien sûr…
  503. ,
  504. ,
  505. ,
  506. ,
  507. ,
  508. ,
  509. ,
  510. -
  511. ,
  512. ,
  513. -
  514. -
  515. ,
  516. dans
  517. ,
  518. ,
  519. !
  520. ,
  521. ,
  522. ,
  523. ,
  524. ,
  525. lui
  526. chez Vigouroux, le
  527. plus
  528. du vermicelle
  529. ,
  530. ,
  531. ,
  532. ,
  533. ,
  534. ,
  535. ,
  536. ,
  537. ,
  538. !
  539. ,
  540. ,
  541. !
  542. l’
  543. du coude
  544. ,
  545. Mon Dieu!
  546. ,
  547. ,
  548. ,
  549. ,
  550. ,
  551. ,
  552. elle voyait
  553. ,
  554. alors
  555. à ce
  556. où elle
  557. ,
  558. Très
  559. ,
  560. .
  561. On
  562. ,
  563. ,
  564. ,
  565. -
  566. ,
  567. qui
  568. ,
  569. ,
  570. ,
  571. ,
  572. -
  573. ,
  574. ,
  575. maintenant
  576. davantage
  577. chatouillait les reins
  578. , ça
  579. , il
  580. de
  581. ,
  582. !
  583. , au fond,
  584. ,
  585. ,
  586. en
  587. .
  588. n’
  589. ,
  590. mais
  591. ,
  592. ,
  593. !
  594. ,
  595. -
  596. l’
  597. !
  598. ,
  599. ,
  600. , demandant
  601. ,
  602. !
  603. ,
  604. et charger
  605. . Le
  606. -
  607. ,
  608. ,
  609. «
  610. !
  611. ,
  612. trop
  613. ,
  614. gobaient
  615. et
  616. et gardé
  617. petit
  618. n’en
  619. pas moins
  620. c’
  621. .
  622. ,
  623. ,
  624. ,
  625. ,
  626. s’engraissait de sa roublardise
  627. ,
  628. ,
  629. ,
  630. -
  631. .
  632. ,
  633. ,
  634. .
  635. .
  636. ,
  637. ,
  638. ,
  639. -
  640. -
  641. !
  642. ,
  643. ,
  644. !
  645. ,
  646. ,
  647. ,
  648. -
  649. ainsi
  650. -
  651. ,
  652. ,
  653. ,
  654. ,
  655. ,
  656. ,
  657. ,
  658. ,
  659. ,
  660. ,
  661. ,
  662. ,
  663. Et c’étaient des conseils pratiques sur l’amour, des allusions sur les salopiauds d’hommes, toutes sortes d’histoires de margots qui s’étaient bien repenties d’y avoir passé, dont Nana sortait languissante, avec des yeux de scélératesse dans son visage blanc.
  664. ,
  665. et d’y passer, comme disait le père Coupeau. Il la faisait trop vivre dans cette idée-là, une fille honnête s’y serait allumée. Même, avec sa façon de gueuler, il lui apprit des choses qu’elle ne savait pas encore, ce qui était bien étonnant
  666. Hein? c’était sur le dos qu’elle avait gagné ça! Ou bien elle les avait achetés à la foire d’empoigne? Salope ou voleuse, peut-être déjà toutes les deux.
  667. ,
  668. , tant elle trouillotait du goulot
  669. , en secouant son panier aux crottes
  670. et de goûter un sale plaisir à lui voir exécuter sous ses yeux le grand écart
  671. à son derrière, car ça devenait dégoûtant, l’escalier en était plein, on ne pouvait plus descendre, sans en voir à toutes les marches, en train de renifler et d’attendre; vrai, on aurait cru qu’il y avait une bête en folie, dans ce coin de la maison
  672. ,
  673. Caire, elle avait surtout assez de sa casquette, ce caloquet sur lequel les fleurs chipées chez Titreville faisaient un effet de gringuenaudes pendues comme des sonnettes au derrière d’un pauvre homme
  674. avec
  675. ,
  676. , en train de se faire caramboler,
  677. ,
  678. vide
  679. , tant elle avait une
  680. !
  681. ,
  682. ,
  683. ,
  684. ,
  685. ,
  686. ,
  687. mince
  688. ,
  689. ,
  690. ,
  691. ,
  692. ,
  693. On
  694. extérieur
  695. , sur le boulevard Ornano,
  696. alors
  697. ,
  698. ,
  699. le
  700. la
  701. ,
  702. ici qu’on te pince, et avec un blanc-bec qui m’a manqué de respect
  703. ,
  704. ,
  705. ,
  706. ,
  707. -
  708. !
  709. ,
  710. ,
  711. et lui demandait si elle donnait dans les pantalons rouges, pour rentrer cassée à ce point,
  712. , je t’ai vue assez souvent te promener en chemise, en bas, quand papa ronflait
  713. Il
  714. -
  715. ,
  716. -il
  717. ,
  718. ,
  719. ainsi
  720. ,
  721. ,
  722. les
  723. eu
  724. elle finissait par se ficher des
  725. toujours
  726. la torturait. Tombée
  727. pleura. Jamais
  728. Elle
  729. , pliée en deux, s’écrasant l’estomac, pour ne plus le sentir
  730. Et, ne se soulageant pas, prise d’une rage, elle
  731. ?
  732. ;
  733. partout,
  734. !
  735. eu
  736. la raison d’une vraie mère
  737. Et
  738. ,
  739. ,
  740. ,
  741. !
  742. -
  743. -
  744. ,
  745. -
  746. ,
  747. ,
  748. ,
  749. ,
  750. du
  751. ,
  752. ,
  753. ,
  754. .
  755. Une
  756. elle
  757. , balançant la raie blanche de leur jupon
  758. le
  759. Mais, à cette heure, les soulards étaient chez eux, ils se fichaient de l’Europe. Nom de Dieu! les couteaux sortaient des poches et la petite fête s’achevait dans le sang. Des femmes marchaient vite, des hommes rôdaient avec des yeux de loup, la nuit s’épaississait, gonflée d’abominations.
  760. ,
  761. ,
  762. ,
  763. ,
  764. ,
  765. ,
  766. ,
  767. ,
  768. pas
  769. ,
  770. ,
  771. ,
  772. ,
  773. encore
  774. ,
  775. ,
  776. ,
  777. ,
  778. ,
  779. ,
  780. ,
  781. ,
  782. ,
  783. ,
  784. -
  785. ce
  786. ,
  787. ,
  788. ,
  789. ,
  790. ,
  791. ,
  792. ,
  793. ,
  794. ,
  795. ,
  796. ,
  797. ,
  798. ,
  799. ,
  800. ,
  1. Lautier → Lantier
  2. s’était imaginé le voir → croyait l’avoir vu
  3. vers les → , vers
  4. Lautier → Lantier
  5. Lautier → Lantier
  6. pendant → tandis
  7. grande → grandes
  8. saignants → sanglants
  9. dont le gros œuvre était à peine terminé, et dont des couvreurs posaient les toitures → alors en construction
  10. ordures → ordure
  11. trouver → découvrir
  12. Lautier → Lantier
  13. La → la
  14. au milieu de → parmi
  15. Lautier → Lantier
  16. Lautier → Lantier
  17. , → ;
  18. , → !
  19. Lautier → Lantier
  20. Lautier… → Lantier.
  21. s’en alla → partit
  22. fut parti → se fut éloigné
  23. troupeau → troupeaux
  24. moment → moments
  25. faubourg → Faubourg-
  26. , → ;
  27. par → à
  28. croyait → pensait
  29. entrer Lautier → Lantier
  30. Lautier → Lantier
  31. Les → les
  32. Lautier → Lantier
  33. toute la maison → le monde
  34. Lautier → Lantier
  35. , → ;
  36. Peu à peu, les → Les
  37. ; → ,
  38. vifs → luisants
  39. des → de
  40. , réglant → pour régler
  41. trainait → traînait
  42. prise → saisie
  43. vagues, ne voyant plus → perdus
  44. du → de
  45. , qu → qu’
  46. … → .
  47. ta → la
  48. , → !
  49. Lautier → Lantier
  50. Lautier → Lantier
  51. atteint → repris
  52. ! → ?
  53. Lautier → Lantier
  54. Mme → madame
  55. Lautier → Lantier
  56. parce → depuis
  57. trainée → traînée
  58. , avec ses → ! elle a raison de prendre des
  59. Lautier s’était jeté → Lantier se jeta
  60. avaient pris → étaient devenus d’
  61. , Mme → . Madame
  62. Lautier → Lantier
  63. quelques minutes, les plaintes des → un instant, les
  64. , qui s’apaisaient peu à peu, emplirent seules la chambre nue et en désordre → sanglotèrent
  65. Lautier → Lantier
  66. à → pour
  67. ça → ce
  68. chandeliers → flambeaux
  69. il y a → l’on trouve
  70. fit → fît
  71. , tu → . Tu
  72. ; → ,
  73. là → la
  74. non → : Non!
  75. Mme → madame
  76. bas → plat
  77. leur rondeur grise → leurs rondeurs grises
  78. à → au
  79. lesquelles → desquelles
  80. femmme → femme
  81. au sol boueux, encombré → encombrée
  82. établie à gauche → assise
  83. : → ,
  84. de → des
  85. bousculait → bousculaient
  86. Mme → madame
  87. il → Il
  88. Mme → madame
  89. couleurs → couleur
  90. la → une
  91. Mme → madame
  92. réguliers → cadencés
  93. Mme → madame
  94. regrette → souhaite
  95. fois → foi
  96. … → .
  97. Mme → Madame
  98. faisait → faisant
  99. , → !
  100. giffles → gifles
  101. , → ;
  102. , → ;
  103. Madame → madame
  104. bi-carbonate → bicarbonate
  105. Mme → madame
  106. … → !..
  107. ces → les
  108. là → la
  109. laquelle → qui
  110. ; la → . La
  111. mangeaient → mangaient
  112. , → ;
  113. de grands → des
  114. Mme → madame
  115. cette dernière → madame Boche
  116. Mme → madame
  117. dégouttant → dégoûtant
  118. Mme → Madame
  119. Mme → madame
  120. ? → !
  121. chercher → acheter
  122. ; → ,
  123. , il → … Il
  124. Mme → Madame
  125. les enfants → l’enfant
  126. toute → tout
  127. Mme → madame
  128. : ils → . Ils
  129. doigts → poings
  130. ! → ,
  131. ! → .
  132. prit → saisit
  133. Quoi → Chameau, va
  134. leurs → des
  135. quoi → le chameau
  136. ….. → que ça servait de paillasse à soldats,
  137. ici…. → , ici…
  138. dégîane → dégaine
  139. deux ou trois → cinq ou six
  140. . → :
  141. Là → La
  142. plantée là → lâchée
  143. venir. → venir…
  144. , → ;
  145. toutes les deux → l’une et l’autre
  146. son → un
  147. à la fois → ensemble
  148. Mme → Madame
  149. . → !
  150. la tira → se pendit
  151. par → à
  152. Virginie → la grande brune
  153. , → ;
  154. Gervaise → la blonde
  155. sût → sut
  156. la blonde → Gervaise
  157. égratigures → égratignures
  158. fermant → fermait
  159. La grande brune → Virginie
  160. L’autre → Gervaise
  161. la boucle de l’oreille droite → l’une des boucles
  162. claques → gifles
  163. . → :
  164. . → !
  165. tomba sourdement → glissa
  166. ¶ Puis → Et
  167. et fut effleurée → qui l’effleura
  168. à coups réguliers, frappés → rudement,
  169. au claquement → aux heurts sonores
  170. ses → les
  171. , avait → avec
  172. claque → tape
  173. intacte → sèche
  174. . → …
  175. Mme → madame
  176. Des → Les
  177. stores → rideaux
  178. , → ;
  179. vapeurs → vapeur,
  180. l’étouffèrent de nouveau → la reprirent
  181. , → ;
  182. à côté → près
  183. verre → verres
  184. : → ;
  185. dansantes → volantes
  186. un peu prédominante → saillante
  187. lacteuse → laiteuse
  188. tendreese → tendresse
  189. . → !
  190. faites → causez
  191. , → !
  192. , → .
  193. Mme → madame
  194. , → ?
  195. , → !
  196. ; il → . Il
  197. II → Il
  198. déjeûner → déjeuner
  199. , → ;
  200. bols → tasses
  201. chauds → chaud
  202. Gaillarde → Grillade
  203. de → des
  204. pas → guère
  205. pas → jamais
  206. enfants → petitspetits
  207. les petits → Claude et Étienne
  208. laisserait → ferait
  209. remettre avec lui → laisser toucher du bout des doigts
  210. … → .
  211. parler de son enfance → causer de sa jeunesse
  212. , → et
  213. ; vingt → . Cent
  214. était poussée → avait poussé
  215. usines → usine
  216. certains → ils
  217. poings → poing
  218. : → ;
  219. ça → ce
  220. Pourtant → Cependant
  221. saoûler → soûler
  222. II → Il
  223. …¶ → .¶
  224. gaîment → gaiement
  225. accusait → accusant
  226. ; lui → . Lui
  227. le trois → , le 3
  228. Mme → madame
  229. 36 → trente-six
  230. gauche, la maison à la haute porte ronde → gauche
  231. il n’y avait que → la maison avait
  232. gargote → gargotte
  233. un marchand → une marchande
  234. vaste → grande
  235. refusa de monter avec lui chez sa sœur. Elle l’attendrait → voulut l’attendre
  236. d’aller au bout du → de s’enfoncer sous le
  237. carré parfait → vaste carré
  238. persiennes alignaient leurs → persienne montraient des
  239. montraient → lâchaient
  240. sur → desservant
  241. face → façade
  242. une niche, un → un
  243. se trouvaient → étaient
  244. vastes → immenses
  245. cette eau → ce ruisseau
  246. pleines de boue → crottées
  247. à la cour → au pavé
  248. de nouveau → encore
  249. , → ;
  250. déjeûner → déjeuner
  251. de quelque → d’un
  252. Cependant → Pourtant
  253. Mme → madame
  254. ; et → . Et
  255. ; → ,
  256. , → ;
  257. Son malheur → L’expérience
  258. . Elle → ; elle
  259. Et elle se défiait, → Elle
  260. , → et
  261. Alors, → Mais
  262. en étaient venus à → avaient fini par
  263. les → ses
  264. pantouffles → pantoufles
  265. la dernière semaine → les derniers jours
  266. à sa porte, vers les → chez elle, vers
  267. ? → !
  268. . → !
  269. on → On
  270. le → les
  271. l → s
  272. ; où → . Où
  273. elle → Elle
  274. de plus en plus faibles → timides
  275. tout à fait → absolument
  276. ; → ,
  277. oignon → ognon
  278. oignon → ognon
  279. Dessinateur → : Dessinateur,
  280. ; → :
  281. : ils → . Ils
  282. Elle → Gervaise
  283. la → une
  284. dont → pont
  285. trés- → fort
  286. , → !
  287. , → !
  288. Mme → madame
  289. ; → ,
  290. Mme → madame
  291. , → ;
  292. ; → :
  293. un peu. → .
  294. pliait sur → pliaitsur
  295. du → le
  296. sale → cassé
  297. … → .
  298. ses → les
  299. Je faisais → J’établissais
  300. Mme → Madame
  301. quatrième → quartier
  302. Mlle → mademoiselle
  303. Mlle → mademoiselle
  304. aussi → également
  305. reprit-il. Vous → vous
  306. , → ;
  307. Et, la → La
  308. recouvert → couvert
  309. plié → courbé
  310. Croire → croire
  311. Mlle → mademoiselle
  312. Mme → madame
  313. : et → . Et
  314. Mlle → mademoiselle
  315. Mme → madame
  316. la → -la-
  317. Mme → madame
  318. resta → restait
  319. faubourg → Faubourg-
  320. eux → soi
  321. MM → M
  322. la → -la-
  323. n’iraient pas, que ça ne leur semblait → resteraient chez elles, leur présence n’étant
  324. ; elle voulait y être; elle s’y rendrait → , en disant qu’elle partirait
  325. toute seule, → en avant
  326. ; on partirait de là, pour → . De là, on irait
  327. pour leur faire attendre → en attendant
  328. Mme → madame
  329. 10 → dix
  330. Mme → maman
  331. derniers → -là
  332. prêtait → écoutait
  333. l’oreille aux → les
  334. arriva → vint
  335. à se → chez sa blonde, à
  336. il → ils
  337. vint leur tour → on les appela
  338. . → !
  339. Mme → Maman
  340. mettant → dessinant
  341. Mme → maman
  342. madame → maman
  343. ; on → . On
  344. de → du bon
  345. pour de bon → sérieuses
  346. madame → maman
  347. Mme → Maman
  348. ; → ,
  349. Mme → Madame
  350. Mlle → mademoiselle
  351. Mme → madame
  352. . → !
  353. Mme → Madame
  354. avoir senti → sentir
  355. ; → ,
  356. Mme → Madame
  357. Mme → Madame
  358. Mme → madame
  359. la → -la-
  360. Mlle → mademoiselle
  361. Mme → madame
  362. , → !
  363. pas même → même pas
  364. Mme → maman
  365. la → -la-
  366. fâchant → fâcha
  367. Mme → madame
  368. Mlle → Mademoiselle
  369. les fossés → le fossé
  370. Mme → madame
  371. oignons → ognons,
  372. Mme → madame
  373. à trois heures → tout de suite
  374. Abeilard → Abélard
  375. Mme → madame
  376. . → !
  377. . → !
  378. Mme → madame
  379. , → !
  380. toute fraîche, → tout éclairée
  381. marrons → marron
  382. Mme → madame
  383. Mme → madame
  384. Mme → madame
  385. Mlle → mademoiselle
  386. Mme → madame
  387. a → amène
  388. boîter → boiter
  389. ¶ Et le → !¶ Et ce
  390. on l’appellerait → il fallait l’appeler
  391. Mme → madame
  392. ; → ,
  393. Mme Lerat → Madame Lerat, toujours pleine d’allusions polissonnes,
  394. Mme → madame
  395. Mme → madame
  396. Mlle → mademoiselle
  397. Mme → madame
  398. Mme → madame
  399. la → -la-
  400. grand; → -grand,
  401. Mme → madame
  402. les yeux en l’air, saisis → saisis, immobiles
  403. Mlle → Mademoiselle
  404. parcequ → parce qu
  405. Mme → madame
  406. un temple → une église
  407. Mme → madame
  408. question → fois
  409. lui posait → l’interrogeait
  410. tohu-bohu → tapage
  411. , → !
  412. Mme → Madame
  413. Mlle → mademoiselle
  414. déclaraient → déclarant
  415. deux pas → côté
  416. innombrables → innombrable
  417. Elle → La noce
  418. revenait sur ses pas → cherchait une porte
  419. voulut pas → voulant point
  420. très → , très-
  421. Mme → madame
  422. mit → mît
  423. reconduisit → reconduisît
  424. l’escalier → une porte
  425. diner → dîner
  426. Mme → Madame
  427. y descendrait → menaçait d’y descendre
  428. sous les jupes tendues, arrachèrent → , arrachant
  429. des → les
  430. , → et
  431. restait là → se trouvait si bien, qu’elle ne songeait plus à s’en aller
  432. eaux → nappes
  433. toute → tout
  434. des → les
  435. Mlle → Mademoiselle
  436. dont elle portait → qu’elle pleurait
  437. Mme → madame
  438. Mme → madame
  439. ; → !
  440. les → des
  441. : → .
  442. Mme → madame
  443. n’allait → ne finissait
  444. et → Et
  445. la → -la-
  446. plate-forme → plateforme
  447. Mme → madame
  448. Mlle → mademoiselle
  449. Mme → Madame
  450. Mme → madame
  451. Coupeeu → Coupeau
  452. Au milieu, → Gervaise
  453. avait à sa droite Mme → , entre madame
  454. ; → ,
  455. entre Mme Lerat et Mme Gaudron → près de madame Lerat
  456. la → -la-
  457. voisine Mlle → voisines mademoiselle
  458. Mme → madame
  459. Mme → madame
  460. tablier → tabliers
  461. Mme → madame
  462. ; → ,
  463. voulut → voulait
  464. rencontrait → rencontre
  465. Mlle → mademoiselle
  466. : → .
  467. oignons → ognons
  468. copeau → échalas
  469. les → se
  470. Mme → Madame
  471. ; → ,
  472. Mme → madame
  473. se plaignant → en train de se plaindre
  474. Mlle → mademoiselle
  475. ; → ,
  476. des → les
  477. , → et
  478. chemises → chemise
  479. : → ,
  480. , que ça n’arrivait pas tous les jours. Mme → . Madame
  481. Mme → madame
  482. on n’en reverrait → il n’en reviendrait
  483. muffe → mufe
  484. ça → ce
  485. . → !
  486. venaient de débarrasser → débarrassaient
  487. Mme → madame
  488. ; → .
  489. ; → ,
  490. du → un
  491. dedans de → de
  492. : → ;
  493. , → ;
  494. Mme → madame
  495. gentillement → -gentiment
  496. noyer → nayer
  497. . → !
  498. , → .
  499. Mme → madame
  500. Mme → madame
  501. Mlle → mademoiselle
  502. gargotier → gargottier
  503. méfie → méfiait
  504. Mlle → mademoiselle
  505. là! Mme → -là! Madame
  506. Mme → Madame
  507. Mme → madame
  508. Mme → madame
  509. Mlle → mademoiselle
  510. tâches → taches
  511. bien! → .
  512. criait → cria-t
  513. paiera → payera
  514. . → !
  515. Mme → Madame
  516. : → ;
  517. Mme → Madame
  518. la → les
  519. à demi voix, de façon à être entendue pourtant → élevant la voix
  520. à occuper à deux → empilés tous les deux dans
  521. Mme → Madame
  522. . → !
  523. ; → :
  524. de → à
  525. Mme → Madame
  526. , → ;
  527. Hôtel → hôtel
  528. à s’embrasser → au cou l’une de l’autre
  529. , → !
  530. descendriez → auriez descendu
  531. conconnais, → connais
  532. Mme → madame
  533. sale fréquentation → sales fréquentations
  534. ils → il
  535. cents → cent
  536. Mme → madame
  537. -de-la- → de la
  538. atteinte → tapée
  539. heurtait → cognait
  540. en carré, autour → sur deux lignes,
  541. qui servait à mettre → dans lequel on mettait
  542. à côté → près
  543. , ici, disait → ici? demandait
  544. hein!… → Hein!
  545. -de-la- → de la
  546. Mme → madame
  547. leurs → leur
  548. chaussées → chaussée
  549. devenaient → , en devenant plus rares et plus
  550. ; elle → . Elle
  551. histoire de se reposer → sans même se déshabiller
  552. épluchait → pelurait
  553. ; si → . Si
  554. emmailloté → emmaillotté
  555. Mme → madame
  556. drôle → drôles
  557. Mme → Madame
  558. Mme → Madame
  559. -pas? Parce → pas? parce
  560. Mme → madame
  561. Mme Lerat: → madame Lerat;
  562. , → ;
  563. vivres → vivre
  564. Ça → Ce
  565. au dessus de → sur
  566. l’embrassait → lui baisait le ventre à travers le drap
  567. ne plus souffrir → qu’elle ne souffrait plus
  568. la → sa
  569. Mme → madame
  570. Mme → madame
  571. Mme → madame
  572. Mme → madame
  573. pas → point
  574. ; → :
  575. Mme → Madame
  576. logement → logis
  577. Mme → Madame
  578. bonhommes → bonshommes
  579. Mme → Madame
  580. Mme → madame
  581. diner → dîner
  582. : le → . Le
  583. à la Chapelle → la rue du Faubourg-Poissonnière
  584. feu → fusil
  585. du feu → des cendres
  586. dîner → diner
  587. à raison → par à-compte
  588. : → ;
  589. ce → le
  590. ! bien, → bien!
  591. drôlement → joliment
  592. Mme → Madame
  593. ¶ Mme → Madame
  594. à l’aide de → en racontant des
  595. disposait des → arrangeait les
  596. Mme → madame
  597. Mme → Madame
  598. blaguant → bravant
  599. Mme → madame
  600. les → ses
  601. dernière → vieille
  602. eût espéré → espérait
  603. Mme → madame
  604. : → ;
  605. , → .
  606. faire le → poser un
  607. . → ,
  608. , → donc
  609. peu à peu → lentement
  610. Isidore → Zidore
  611. Isidore → Zidore
  612. M. → monsieur
  613. … → ..
  614. ballader → balader
  615. répéta-t → criait
  616. Mme → Madame
  617. très → , très-
  618. une minute → quelques secondes
  619. : Son mari serait beaucoup mieux soigné à l’hôpital, ça → que la maladie
  620. trop d’argent de le prendre → très-cher, si elle prenait son mari
  621. Mme → Madame
  622. : → ;
  623. raccommodent → raccrochent
  624. Mme → madame
  625. Mme → Madame
  626. assez sauvé → sauvé assez
  627. établit → étalait
  628. longue, → -longue;
  629. ¶ Mme → Madame
  630. Mme → madame
  631. n’avait plus songé à → avait complétement oublié
  632. qu’à présent → que désormais
  633. À partir de ce moment → Dès ce soir-là
  634. Mme → Madame
  635. quart → quar-
  636. pour → le temps de
  637. à → pour
  638. à Coupeau → au convalescent
  639. ses → ces
  640. des chats → les chats,
  641. mettre → poser
  642. Gervaise → la blanchisseuse
  643. à propos → au sujet
  644. deux heures → l’après-midi
  645. diner → dîner
  646. dentelière → dentellière
  647. après-midi → jours
  648. : → ;
  649. saoulait → soûlait
  650. ; elle → . Elle
  651. à voix haute → tout haut
  652. un mot → son envie
  653. : → ;
  654. parvenir à → pouvoir
  655. à retirer → , il retira
  656. pas → plus
  657. ; → :
  658. leur → son
  659. Mme → madame
  660. ; → :
  661. autrefois → jadis
  662. Mme → madame
  663. demanderait → demandait
  664. ou → où
  665. viendrait à l’empêcher → l’empêcherait
  666. tendit → tendait
  667. ; → :
  668. coller → remettre
  669. fit → fît
  670. cents → cent
  671. il lui restait → elle avait
  672. ! → ?
  673. une chose à → fait pour
  674. , → !
  675. continuerait à être → serait toujours
  676. Mme → madame
  677. çà → ça
  678. Mme → madame
  679. Mme → madame
  680. Mme → madame
  681. Mme → Madame
  682. à propos → au sujet
  683. : → ;
  684. Mme → madame
  685. ; → :
  686. des → les
  687. Mme → madame
  688. Mmes → Mesdames
  689. ; sur → . Sur
  690. MaréchalerieMaréchalerie,
  691. ; toute → . Toute
  692. traits → trais
  693. : → ;
  694. Mme → madame
  695. Mme → madame
  696. la maison → au sixième
  697. Madame → madame
  698. : elle → ! Elle
  699. ; quant → . Quant
  700. muffe → mufe
  701. émêché → éméché
  702. ; → ,
  703. aucune → une
  704. … → .
  705. moelles → moëlles
  706. de → des
  707. ; → ,
  708. Mme → Madame
  709. nénets → nénais
  710. vit → vît
  711. Mme → à madame
  712. ; elle → . Elle
  713. rond → arrondi
  714. ai → avais
  715. Et le → Le
  716. dix–sept → dix-sept
  717. Gervaise → elle
  718. ils → Ils
  719. Mme → madame
  720. dieu → Dieu
  721. Puis → ¶ Puis,
  722. ! → ?
  723. Mme → madame
  724. voulant → qui voulait
  725. Mme → madame
  726. : → ;
  727. poêlons → poëlons
  728. Mme → madame
  729. ils étaient → ilsétaient
  730. : → ,
  731. ; → ,
  732. , traversant → qui traversaient
  733. jupe → jupes
  734. ; → ,
  735. ; → ,
  736. Mlle → mademoiselle
  737. ont → on
  738. Mme → madame
  739. le tas de → les
  740. le tas de → les
  741. Mme → madame
  742. flambait → flamblait
  743. le tas des → les
  744. barrait → barraient
  745. , → !
  746. . → !
  747. lui → le zingueur
  748. cherchait à lui prendre → lui prit
  749. Mme → , madame
  750. un homme → une femme
  751. Mme → madame
  752. fit → fît
  753. entendit → entendît,
  754. Mme → madame
  755. amortis → étouffés
  756. ¶ Mme → Madame
  757. à → sur
  758. de → -de-
  759. , → !
  760. . → !
  761. ça → ce
  762. Madame → madame
  763. Mme → madame
  764. parlé à → grondé
  765. Monsieur Coupeau → monsieur Coupean
  766. Mme → madame
  767. … → !..
  768. . → ?
  769. Mme → madame
  770. çà → ça
  771. Et c → C
  772. … vous → . Vous
  773. saoûl → soûl
  774. . → …
  775. peu à peu → déjà
  776. éclairant → éclairaient
  777. la → une
  778. chaude, dans laquelle → tiède de baignoire où
  779. tiédie → verdie
  780. emporté → empesté
  781. ! → ,
  782. s’était engagé → promettait
  783. à → de
  784. gentillement → gentiment
  785. paraissant → paraissait
  786. peu à peu.¶ → lentement.
  787. seulement → seule
  788. du coup → des coups
  789. onze → douze
  790. ; jamais → ! Jamais
  791. avec les → en compagnie des
  792. ; Mme → . Madame
  793. : elle → ,
  794. pareils à → comme
  795. Mme → Madame
  796. j’ordonne → jordonne
  797. .¶ → en montrant son derrière.
  798. aiguës poussé à → qui s’enflaient
  799. course nouvelle → fois que la bande reprenait son vol
  800. Mme → madame
  801. Mme Boche → madame Boche,
  802. : → .
  803. pas → plus
  804. Mlle → mademoiselle
  805. Mme → madame
  806. gâteaux → gâteau
  807. , → ;
  808. maintenant → à présent
  809. chambre → loge
  810. maintenant → à cette heure
  811. à sa sœur → aux Lorilleux
  812. Mme → madame
  813. ; → ,
  814. traces → losanges
  815. : → ;
  816. Lui même, → Même
  817. Mme → Madame
  818. maman Coupeau → la vieille femme
  819. avait → avaient
  820. Mme → madame
  821. plaisanteries → cochonneries
  822. pas → point
  823. Mme → madame
  824. Palonceau → Polonceau
  825. mastroquet → marchand de vin
  826. vingt-cinq → cinquante
  827. à causer → et causait
  828. l’avait invitée à passer par là → lui avait dit de pousser une pointe
  829. où → , dans lesquelles
  830. des → de
  831. à côté → près
  832. dans lequel → où
  833. trop → trou
  834. sale → salie
  835. M. → monsieur
  836. passaient → passant
  837. des → aux
  838. . Il → ; il
  839. à l’aide des → avec les
  840. à la forge → au feu
  841. tète → téte
  842. Boit → Bois
  843. allongé → appliqué
  844. terrible, tout → tout
  845. devait compter → comptait
  846. goûter → manger
  847. qu’elle eût → elle devait
  848. au dessus de sa tête → dans la nuit vague des charpentes
  849. ! → .
  850. : → .
  851. nous → npus
  852. -de-la- → de la
  853. d’argent → un sou
  854. ¶ Mme → Madame
  855. Mme → madame
  856. Mme → madame
  857. Mme → madame
  858. l’argent → pareilles sommes
  859. se trouvait → était
  860. petitesboîtes → petites boîtes
  861. quand → Quand
  862. en attendant → pour le moment,
  863. pendant les heures → tout le temps
  864. tous les deux → l’un et l’autre
  865. particulièrement → particulièment
  866. Mme → madame
  867. Mme → madame
  868. Mme → madame
  869. pasde → pas de
  870. cette dernière → la couturière
  871. t-elle → telle
  872. coquine → salope
  873. ballon → derrière
  874. s’intéresser → intéressée
  875. Mme → madame
  876. à la porte → dehors
  877. ¶ Alors → Et
  878. cherchait à guetter → guettait
  879. forçait à → suppliait de
  880. l’ouvrier forger ses → les
  881. lui portaient la tête → l’étourdissaient
  882. gardait → réservait
  883. samedi → vendredi
  884. samedi → vendredi
  885. ? → .
  886. carreau → carrreau
  887. coquine!… ah! coquine!… ah! coquine!… → garce!… ah! garce!…. ah! garce! ..
  888. Mme → madame
  889. songeait à → voyait toujours devant elle
  890. la vit entrer → l’aperçut
  891. Assomoir → Assommoir
  892. afin d’avoir → histoire de se donner
  893. voulait → désirait
  894. : → .
  895. afin d’arriver à son compte → voulant absolument compléter les douze
  896. Tant pis → Voilà
  897. toute → ,
  898. osa → ayant osé
  899. ; → ,
  900. prévenir….. → avertir……
  901. faire de → tourner
  902. pour le → et le ferait
  903. à la ceinture → devant elles
  904. à la porte, → dehors
  905. dehors → dans la rue
  906. poëlons → poêlons
  907. , → et
  908. . → !
  909. grand → Grand
  910. elle aurait dû → il se serait agi de
  911. s’emplissaient sans oser dire → se dépêchaient de s’empiffrer, sans lâcher
  912. à montrer → , quand il luit tout neuf
  913. . → !…
  914. derrière → sur
  915. poëlons → poêlons
  916. pôts → pots
  917. à la main → au poing
  918. ; → ,
  919. ; → ,
  920. ; → ,
  921. ; → :
  922. . → ,
  923. . → ,
  924. ; → :
  925. Petite → \Petite
  926. accepta → acceptât
  927. ; → ,
  928. . → !
  929. céda à → fut pris d’
  930. ; → :
  931. : → ;
  932. : il → . Il
  933. à côté → près
  934. ; → ,
  935. . → ,
  936. , → .
  937. bouilli → bœuf
  938. elle dit → déclara
  939. dansaient → sautaient
  940. . → ,
  941. , → ;
  942. Faubourg- → faubourg
  943. . On → ; on
  944. brulé → brûlé
  945. ; → :
  946. . → ,
  947. . → ,
  948. : → ;
  949. çà → ça
  950. trayent → traient
  951. picton → piqueton
  952. picton → piqueton
  953. un → une
  954. ? → !
  955. : → ;
  956. serai → serais
  957. commençait à crever → crevait
  958. ainsi que → comme
  959. Comme → Coupeau, voyant
  960. crachait → cracher
  961. à côté → près
  962. ! → ,
  963. penchait → penchant
  964. , → ;
  965. ; deux → .¶ Deux
  966. ; puis → . Puis
  967. en portant la main à son cou. Et la → .¶ La
  968. refusa de la tête, en fourrant → fourra
  969. Allons, vous → Vous
  970. ; → ,
  971. séduisant.¶ → séduisant.
  972. talon → talons
  973. en entrant → , en rentrant,
  974. ? → !
  975. ou → et
  976. : → ,
  977. ! → ;
  978. s’il avait accompagné un mort → une seringue
  979. ; → ,
  980. gondoles → gondoliers
  981. barcarolle → barcarole
  982. ; → ,
  983. du muletier Pedro → des Andalouses
  984. bolero → boléro
  985. tendresses de sultan au milieu d’ → bayadères semant sous leurs pas
  986. ; → ,
  987. ; → ,
  988. Bois → bois
  989. ; → , jurant qu’
  990. Mlle → mademoiselle
  991. ; ça → . Ça
  992. … → .
  993. ? → !
  994. mufle → mufe
  995. mufle → mufe
  996. qui allait → en train de
  997. sur le trottoir → au milieu de la rue
  998. mères → femmes
  999. et à → , pour
  1000. , → !
  1001. ; → ,
  1002. prise → pris
  1003. des gâteaux → du gâteau
  1004. demandé à → témoigné le désir d’
  1005. emporter → apporter
  1006. faire attention à → s’occuper d’
  1007. ses → les
  1008. brâillant → braillant
  1009. Rinette → Tinette
  1010. , → :
  1011. ; → ,
  1012. du → des
  1013. trou la la → «
  1014. II¶ → ¶ VIII¶ ¶
  1015. , → !
  1016. bras → jambes
  1017. jambes → bras
  1018. manche → manches
  1019. Lorsqu’ → Lorsque
  1020. ; → ,
  1021. s’asseyant → assis
  1022. : durant → . Pendant
  1023. de → des
  1024. de → du
  1025. quelque → de l’
  1026. fini par → réussi à
  1027. en arrivant → tous les soirs
  1028. se risquait un soir à → osait un jour
  1029. se confierait → instruirait
  1030. à Coupeau. Maintenant, elle se sentait très-forte → son mari
  1031. sentent bon → embaument
  1032. ce → le
  1033. , → .
  1034. . → …
  1035. répliqua → expliqua
  1036. reprit → dit
  1037. ; alors → . Alors
  1038. . → !
  1039. ; → ,
  1040. Dès le lendemain → Le soir même
  1041. ; → .
  1042. son → leur
  1043. Badinguet. → Badingue!
  1044. Badinguet → Badingue
  1045. point → plus
  1046. Badinguet → Badingue
  1047. anecdotes → anecdoctes
  1048. jeune fille → gamine
  1049. et → , il
  1050. bleue → blême
  1051. les jours où → lorsque
  1052. disant → déclama
  1053. accoutumée → acoutumée
  1054. continuait à parler → parlait
  1055. à → vers
  1056. à parcourir → où il parcourait
  1057. vingt → quinze
  1058. , on → ; et il
  1059. Faubourg- → faubourg
  1060. Lebougre → Lehongre
  1061. toujours → quand même
  1062. provençal → Provençal
  1063. comme → que
  1064. à celle-ci qu’elle → qu’on
  1065. . → !
  1066. encore → comme
  1067. ; → .
  1068. de charbons → , suivie de la queue des voyous
  1069. de → des
  1070. ; cette → . Cette
  1071. même pas sa chambre et sa → rien, ni loyer ni
  1072. prenait → choisissait
  1073. enjoleur → enjôleur
  1074. , mais → ; mais,
  1075. tourna → piétina
  1076. : → ;
  1077. , et ils continuèrent à monter → . Et ils montèrent
  1078. donner → prendre
  1079. tournèrent → filèrent
  1080. , → !
  1081. venue → sortie
  1082. : → ;
  1083. à faire → de besogne
  1084. , → et
  1085. . Vrai, → … Ah bien!
  1086. … → .
  1087. bonne foi et de vérité → franchise
  1088. gardait → serrait dans la sienne
  1089. serra → secoua
  1090. ; → ,
  1091. , → …
  1092. dit → reprit
  1093. une → la moindre
  1094. en arrivait à emprunter → , maintenant, empruntait
  1095. la Ville → la Ville
  1096. au Moulin → au Moulin
  1097. du Lion → du Lion
  1098. des Deux → des Deux
  1099. aux Vendanges → aux Vendanges
  1100. au Cadran → au Cadran
  1101. au Capucin → au Capucin
  1102. du Moulin → du Moulin
  1103. ; c → . C
  1104. ! → ,
  1105. éteigne → éteignît
  1106. . → !
  1107. galant. Lui → aimable. Lui,
  1108. anoblit → ennoblit
  1109. . → …
  1110. : → ;
  1111. … → .
  1112. baraque → boîte
  1113. . → !
  1114. soulard → soûlard
  1115. envoyé → envoyés
  1116. . → !
  1117. , → !
  1118. ; un → . Un
  1119. refusant → refusèrent
  1120. ; le → . Le
  1121. ; le → . Le
  1122. , → ;
  1123. , → !
  1124. . → !
  1125. . → !
  1126. eurent → furent
  1127. à couper → qu’on aurait coupé
  1128. n’a pas eu → ne vient pas d’avoir
  1129. les → le
  1130. voulut → parla d’
  1131. le comptoir → lui
  1132. bête, ce paquet. Il → trop bête, il
  1133. se rappelaient plus, trouvèrent tout naturel que → s’étonnèrent pas, lorsque
  1134. leur proposât → , sans explication, leur proposa
  1135. Leur → Le
  1136. : → ;
  1137. rien à se dire → plus un mot
  1138. déjà d → d
  1139. Ils n’eurent pas besoin de → Lentement, sans avoir seulement à
  1140. ne se trouvaient → n’étaient
  1141. , → !
  1142. . → !
  1143. monterai → monterais
  1144. dirai → dirais
  1145. . → !
  1146. soif → Soif
  1147. … → :
  1148. à → en
  1149. , → ;
  1150. trois → deux
  1151. soif → Soif
  1152. .., → …
  1153. : → ;
  1154. commença → commençait
  1155. : → ;
  1156. rentra → regagna
  1157. Pourtant, des gens → Des gens, pourtant,
  1158. Raquet → Baquet
  1159. des → de
  1160. , pour éviter le grabuge dans le ménage; → ; même
  1161. venait à l’apercevoir → l’apercevait
  1162. afin de → pour
  1163. → ; et
  1164. Et, le → Le
  1165. : → ;
  1166. Ainsi → Aussi
  1167. picottements → picotements
  1168. dormir → se mettre au lit
  1169. revenait → rentrait
  1170. Gaillarde → Grillarde
  1171. empoigné → attrapé
  1172. schoffer → schloffer
  1173. baillait → bâillait
  1174. , → ;
  1175. fourré → couché
  1176. des → les
  1177. tournait → tournaient
  1178. rentrés → entrés
  1179. sur → dans
  1180. . → !
  1181. va-t-en → laisse-moi
  1182. , et → ; et,
  1183. Mais → Et
  1184. ; toute → . Toute
  1185. doucecement → doucement
  1186. III¶ → ¶ IX¶
  1187. . → !
  1188. entonnait → entamait
  1189. unes → uns
  1190. du feu → de la braise
  1191. C’était → Ça devait être
  1192. un → en lisant le
  1193. ou éteignait → en éteignant
  1194. fatiguant → fatigant
  1195. allât → marchât
  1196. à l’égard du → pour le
  1197. nn → un
  1198. connaissait → disait connaître
  1199. Lebougre → Lehongre
  1200. couchaient → couchés
  1201. saleté → ordure
  1202. . → !
  1203. ; on → ! On
  1204. Goujet → Gouget
  1205. afin de ne pas tomber → suffoquant de chagrin
  1206. la blanchisseuse → Gervaise
  1207. - → cent
  1208. toucher à → mal parler de
  1209. Goujet → le forgeron
  1210. le → un
  1211. . → !
  1212. on → elle
  1213. ! → ?
  1214. à l’habitude → toujours
  1215. se remettre à → de nouveau
  1216. ça → ce
  1217. appela → appelait
  1218. devait boire → buvait
  1219. Gouget → Goujet
  1220. ? → !
  1221. savoir le → s’inquiéter du
  1222. Comme madame Goujet, les autres → Une à une, les
  1223. : puis ça → ; puis, ce
  1224. Gaudon → Gaudron
  1225. ; → ,
  1226. se trouvaient → restaient
  1227. , → ;
  1228. , dont les → étalait des
  1229. trouées → fendues
  1230. voir → sentir
  1231. cela → la chose
  1232. l’obligeait à → lui faisait
  1233. pas → point
  1234. là → -là,
  1235. . Non, → ; car
  1236. : → ;
  1237. on → elle
  1238. ne tint plus à → se moqua de
  1239. mourit → mourir
  1240. quand → , lorsque
  1241. revint → reparut
  1242. les reins → le derrière
  1243. : → ,
  1244. était comme eux, elle → aussi
  1245. Non, lorsqu’ → Les jours où
  1246. rebequer → rebéquer
  1247. Maintenant, elle → Elle
  1248. devaient s’amuser → s’amusaient
  1249. davantage → plus encore
  1250. à coups → d’un coup
  1251. décider à → faire
  1252. ; les → . Les
  1253. en a → a en
  1254. gentillement → en bon accord
  1255. gâtait → dérangeait
  1256. pâtées → potées
  1257. cajolé et gâté → dorloté par tout le monde
  1258. en voulait → gardait
  1259. une → un
  1260. Il → C
  1261. : → ,
  1262. Maintenant, le → Dès ce moment, le
  1263. guettait → guetta
  1264. que Lantier → qu’il
  1265. il → Il
  1266. il était bon de connaître → la prudence exigeait qu’on se rendît compte
  1267. si on → s’ils
  1268. payait → payaient
  1269. serai → serais
  1270. peut-être → sans doute
  1271. maintenant → à présent
  1272. ; elle → . Elle
  1273. , lorsque celle-ci la dévisageait. Elle → . Oui, Virginie
  1274. ; → ,
  1275. regardait au fond → souhaitait
  1276. , → ;
  1277. : → ,
  1278. ; elle → . Elle
  1279. ; → ,
  1280. endormi → rendormi
  1281. sanglottant → sanglotant
  1282. échine → échiné
  1283. ! → .
  1284. le chapelier → -t-il
  1285. plus sèche → sèche,
  1286. sanglotter → sangloter
  1287. ses → les
  1288. verrre → verre
  1289. … → ..
  1290. étancher → éteindre
  1291. arrangeait → arrangerait
  1292. ? Alors, madame → dans sa vie? Madame
  1293. encore → de nouveau
  1294. ça → ce
  1295. ça → ce
  1296. qui avait levé → en levant
  1297. , → ;
  1298. solennel → gros
  1299. gamins → gamines
  1300. d’un → à
  1301. haussait la voix → éclata
  1302. ; → ,
  1303. prête à sanglotter → près de sangloter
  1304. . → !
  1305. ; → ,
  1306. en viendrait à → finirait par
  1307. à crever → qui crevait
  1308. . Et → , et
  1309. a → avait
  1310. du → d’un
  1311. avait → gardait
  1312. chez → dans la boutique d’
  1313. leur → son
  1314. demanda à → questionna
  1315. ; en faisant → . Avec
  1316. : → .
  1317. . → :
  1318. saisit → saisît
  1319. le dos → l’échine
  1320. encore → si tôt
  1321. dégout → dégoût
  1322. paie → paye
  1323. laissé → laissées
  1324. , → !
  1325. des → les
  1326. : → ,
  1327. main. Des → mains. De courts silences se faisaient, coupés de
  1328. avait → avec
  1329. d’un → du
  1330. roidi → raidi
  1331. . → !
  1332. déclarait → déclaraient
  1333. était → fut
  1334. Coupeau, → le premier
  1335. Lorilleux → son beau-frère
  1336. à garnitures jaunes, et derrière → garni de lilas, et à la file
  1337. suivit → descendit
  1338. coin → fond
  1339. et il → , et
  1340. avec tant de douceur → si doucement
  1341. ; → , et
  1342. , → :
  1343. crachaient → , en crachant
  1344. en ne songeant → , ne savaient
  1345. , → ;
  1346. il était contre → M. Madinier blâma
  1347. en les traînant ainsi en public → , chez soi et à l’église
  1348. ; → ,
  1349. battait → battaient
  1350. à la porte → dehors
  1351. Ah → ah
  1352. à le voir → en le voyant
  1353. vilaine → mauvaise
  1354. mort → morts
  1355. il est décidé à donner → mon frère donne
  1356. arrondir → entrer ça dans
  1357. commencèrent à se lasser → se lassèrent
  1358. il consentait à → il voulait bien
  1359. à la conversation → de la cession
  1360. Brie → brie
  1361. et → ,
  1362. mort → morts
  1363. promettait de se ramasser → se ramasserait
  1364. se mettre → s’allonger
  1365. IV → ¶ X
  1366. avait à peine → n’avait pas
  1367. pas → plus
  1368. ficelle → ficelles
  1369. et → ,
  1370. le plus → un
  1371. aidé à → facilité
  1372. n’osait plus passer → ne passait plus
  1373. prenait un plaisir méchant à s’émerveiller → s’émerveillait exprès
  1374. l’avait beaucoup poussée à ce choix → lui avait vivement conseillé ce commerce
  1375. qui restait → que
  1376. ficher des claques à → calotter
  1377. vraie vérité → vérité vraie
  1378. bien → en effet
  1379. que maintenant il → qu’il
  1380. devait monter → montait pour sûr
  1381. Mlle → mademoiselle
  1382. donnait à → fourrait
  1383. pour amoureuse → dans la même paire de draps
  1384. dans la même chambre, derrière la même porte → dans le logement
  1385. cherché → chercher
  1386. dans le lit → sur l’oreiller
  1387. Peu importait, les → Les
  1388. l’épicière → madame Poisson
  1389. : → ;
  1390. à → d’
  1391. Pourtant → Cependant
  1392. blesser → taquiner
  1393. les premiers temps, lorsque Mme → lorsque madame
  1394. à → dans
  1395. Mlle → mademoiselle
  1396. chignon → chignons
  1397. beaux_yeux → beaux yeux
  1398. taquiner → plaisanter
  1399. , → :
  1400. était → étaient
  1401. plaisanterie → rigolade
  1402. . → !
  1403. ? → !
  1404. emmener → amener
  1405. devait entrer → entrait
  1406. se mettait à manger → mangeait déjà
  1407. pas → guère
  1408. consentait à l’admettre → l’admettait
  1409. Mme → madame
  1410. attendait → attendaient
  1411. ? → !
  1412. jours → soirs
  1413. … → ..
  1414. Mme → Madame
  1415. Mme → madame
  1416. Mme → Madame
  1417. crémaillière → crémaillère
  1418. Même lorsque → Lorsque
  1419. consentit à ce → voulut bien
  1420. de passer → en passant
  1421. en se déshabillant → qui se déshabillait
  1422. ; → ,
  1423. Chacun aurait → Si chacun avait
  1424. graisseux → sales
  1425. à la vérité → vraiment
  1426. commençait à → finissait par
  1427. fuites → foucades
  1428. paie → paye
  1429. pas à grand’chose → guère
  1430. pas à soi-même → jamais
  1431. au milieu → dans le fort
  1432. , → ;
  1433. les jours où → lorsque
  1434. crèverait → crèvera-t
  1435. affamées → affamés
  1436. quatre guenilles → un tas de paille
  1437. . → !
  1438. équarisseurs → équarrisseurs
  1439. de → du
  1440. aile → ailes
  1441. soulard → soûlard
  1442. songe à → rêve de
  1443. à → de
  1444. à → contre
  1445. à → au
  1446. le → du
  1447. endormit → endormait
  1448. , → ;
  1449. était → étaiént
  1450. calin → câlin
  1451. supplié → prié
  1452. du → de chaque
  1453. , → ;
  1454. pas → plus
  1455. elle s’était risquée à lui porter → elle lui portait
  1456. avait senti → sentait
  1457. refusait → refusaient
  1458. pinçait → pinçaient
  1459. pareil à → , comme
  1460. coulant de ses → qui lui aurait coulé des
  1461. sur son → au
  1462. continuait à rognonner et à trouver → rognonnait et trouvait toujours
  1463. s’en alla → fila
  1464. sa → la
  1465. Au centre de la place → Dehors
  1466. crevé → crever
  1467. moelles → nerfs
  1468. : s → . S
  1469. une goutte → un petit verre
  1470. à coup sûr → bien sûr
  1471. à son tour → , elle aussi,
  1472. trainait → traînait
  1473. faignant → feignant
  1474. la → le
  1475. à → ,
  1476. soulard → soûlard
  1477. sa → la
  1478. comique → farce
  1479. comique → farce
  1480. comique → farce
  1481. tu → Tu
  1482. à travers → par
  1483. Boit → Bois
  1484. leur verre → leurs verres
  1485. ça → ce
  1486. Boit → Bois
  1487. … → ..
  1488. Boit → Bois
  1489. à la porte → dehors
  1490. Dehors → Devant la porte
  1491. cinq → six
  1492. ; → :
  1493. Avec ça, une → Une vraie
  1494. le long des → sur les
  1495. attendaient → attendait
  1496. chatouillés → chatouillée
  1497. forcés → flûtés
  1498. amidonnés → amidonnées
  1499. allumés → vifs
  1500. , → ;
  1501. Quand → Si
  1502. c’était qu’elles venaient d’apercevoir une connaissance → on pouvait chercher, il y avait bien sûr par là une de leurs connaissances
  1503. ne sortaient que → se cavalaient surtout
  1504. à la figure → au nez
  1505. brule → brûle
  1506. étaient → était
  1507. fraiches → fraîches
  1508. dégout → dégoût
  1509. disait → criait
  1510. et → elles
  1511. Nana avait → On lui donnait
  1512. à l’heure → juste
  1513. avait → venait
  1514. dégringolé → de dégringoler
  1515. à Gervaise → aux Coupeau
  1516. court → courait
  1517. trottait → filait
  1518. trainées → traînées
  1519. vouloir → voulait seulement
  1520. ça → ce
  1521. vint à → s’approcha de
  1522. venaient → s’étaient
  1523. de se mettre → mises
  1524. mis → fourré
  1525. . → !
  1526. dégoutante → dégoûtante
  1527. allant à → s’approchant d’
  1528. s’appuya à son épaule pour lui lâcher → lui lâcha
  1529. au → vers le
  1530. disant → déclarant
  1531. finit par se pencher → , enfin, voulut bien le lui dire
  1532. sa joue → l’oreille
  1533. cassée → fendue
  1534. Mais, le → Le
  1535. à → vers
  1536. ; → :
  1537. ! → .
  1538. au cou → entre les deux nénais
  1539. attendait → restait
  1540. : → ;
  1541. comme → compléte enfin ainsi que
  1542. ; → ,
  1543. était → étaient
  1544. ; → ,
  1545. pas → point
  1546. débarrassée → débarrassé
  1547. se mettait à boire → buvait
  1548. mea culpa → mea culpa
  1549. mettre → faire chauffer
  1550. ragout → ragoût
  1551. ! → ?
  1552. dessoulés → dessoûlés
  1553. roulerait → tomberait
  1554. extraordinaires → extraordinaire
  1555. sacrédié → sacredié
  1556. manger du pain sec → foutre la misère
  1557. . Vous → , vous
  1558. six → huit
  1559. souliers → soulier
  1560. aperçu → aperçue
  1561. Mais ce qui montrait mieux encore sa → C’était, pour elle, une corvée de moins. Même
  1562. , c’était que → . Elle leur aurait tenu la chandelle, s’ils avaient voulu
  1563. tandis → pendant
  1564. Provençal → provençal
  1565. elle → elles
  1566. disait → disaient
  1567. pastille → pastilles
  1568. boites → boîtes
  1569. que je veux faire à → pour
  1570. , → !
  1571. . → !
  1572. de → des
  1573. le pincer → pincer le chapelier
  1574. ; → ,
  1575. une indigestion → des indigestions
  1576. peut-être pas → pas
  1577. ça → ce
  1578. roulures → gadoues
  1579. femmes → dames
  1580. fraises → fraise
  1581. causaient → jouaient un air
  1582. femmes qui se soûlaient comme elle → soulardes de son espèce
  1583. le désespoir naturel que réclamait la situation → cette honte
  1584. accompagnée → raccompagnée
  1585. , dont le bout emportait toute → et le boulevard Ornano, qui emportaient
  1586. . Le nouveau → et trouaient le
  1587. se trouvait → était
  1588. : → ;
  1589. un → une
  1590. avant tout → d’abord
  1591. jetterait Paris par terre → raserait Paris
  1592. se moquait pas mal de la politique; elle → , elle aussi,
  1593. Peut-être son → Son
  1594. étaient → était
  1595. Folie, → Folie
  1596. galopins pareils, → tantes pareilles
  1597. ! → ?
  1598. . → !
  1599. très-provoquant → d’un chic épatant
  1600. criait → cria-t
  1601. reconnaître → retrouver
  1602. . → ,
  1603. , → .
  1604. flanqué → flanquée
  1605. des → de tous les
  1606. devait mener → menait
  1607. Non, ils → Ils
  1608. à → vers
  1609. ne → n’y
  1610. ; → ,
  1611. Ah! mon → Mon
  1612. et → ,
  1613. venait la secouer → la secouait
  1614. Elle → Nana
  1615. Nana → La petite
  1616. Coupeau ne dessoulait → Il ne dessoûlait
  1617. Saint → Sainte
  1618. en morceaux → sur le flanc
  1619. Saint → Sainte
  1620. qu’on voit dans les → qui sont dans des
  1621. redoublaient → redoublait
  1622. autrefois → autres fois
  1623. tremblaient → dansaient
  1624. devait → lui fallait
  1625. la → sa
  1626. Saint → Sainte
  1627. machoire → mâchoire
  1628. sanglottant → sanglotant
  1629. reconnut → reconnût
  1630. Oh! d’ailleurs, les → Les
  1631. reviendrait → rentrerait
  1632. six → trois
  1633. Nana → elle
  1634. lui dit de venir → la pria de
  1635. , → .
  1636. sous-entendu → gaillardise
  1637. , moi → ; moi,
  1638. . → !
  1639. fut → fût
  1640. songeait à → inquiète de
  1641. continuait à emplir → emplissait
  1642. 3 décembre 1876¶ ¶ IV. – Suite.¶ ¶ Ça → ¶ XII¶ ¶ Ce
  1643. . → !
  1644. . → ,
  1645. en → à la
  1646. en voyant → s’ils avaient vu
  1647. avait guetté → guetta
  1648. déménagé → déménagea
  1649. avaient fricoté → fricotèrent
  1650. même → Même
  1651. s’était mise → , toute habillée, se tenait
  1652. ! → ?
  1653. n’auraient pas voulu demeurer → , ne seraient pas demeurées
  1654. allés → -ils évaporés
  1655. casserolle → casserole
  1656. elle n’avait → il ne restait
  1657. cassées → cassée
  1658. on → elle
  1659. pu → su à qui
  1660. avait beau fouiller du regard → n’apercevait que des toiles d’araignée,
  1661. elle → et
  1662. sagoin, → sagouin
  1663. fourrer → coller
  1664. badingoinces! Est-ce que ça sentait la fripe chez eux, pour leur parler de quibus? Non, vrai → badigoinces! Vrai
  1665. Pour tout dire, elle → Elle
  1666. massacres → peignées
  1667. son → le
  1668. son → le
  1669. son → le
  1670. ça → là ce
  1671. ; et elle ne connaissait pas d’autre remède que de se coller deux livres de pain comme emplâtre … → . Oh! elle avait dit adieu aux petits plats
  1672. haricot sec → haricots secs
  1673. marchand de vin → restaurateur
  1674. Tout son corps se décollait. Puis, grelottante → Grelottante
  1675. jamais → pas
  1676. a faim! Et, tombée → n’a rien dans le ventre! Son estomac s’éveillait,
  1677. dans les épaules → basse
  1678. ses → les
  1679. rentrerait → apporterait l’argent
  1680. son estomac → sa faim
  1681. rvait → avait
  1682. aon → bon
  1683. jetant → exhalant
  1684. bretournait → retournait
  1685. à cette époque → cette semaine-là
  1686. il → Il
  1687. derrière → cul
  1688. tout rond → arrondi
  1689. derrière → cul
  1690. , → ?
  1691. ; → :
  1692. . → !
  1693. repas → dîner
  1694. sentait → sentit
  1695. dessus → dessous
  1696. ! → ,
  1697. Cette après-midi → Ce jour-
  1698. ! → ?
  1699. ¶ → .¶
  1700. en → tremblante,
  1701. … → ..
  1702. Elle ferma de nouveau les yeux → Alors
  1703. ! → ?
  1704. … → .
  1705. hébêté → hébété
  1706. pesait dans le → passait dans la
  1707. mère → maman
  1708. terre → fosse
  1709. trouer → trouaient
  1710. pelite → petite
  1711. supplie → prie
  1712. hébêtement → hébétement
  1713. reparaissaient → repassaient
  1714. . → ,
  1715. ivrognes → ivrogne
  1716. . → !
  1717. ça → ce
  1718. boulevards → avenues
  1719. blancs → blanches
  1720. avenues → voies
  1721. et → ,
  1722. baillaient → bâillaient
  1723. , et salissaient encore → et salissait
  1724. échappés → échappées
  1725. au milieu de → en plein dans
  1726. dans le → au milieu du
  1727. fourgons → fardiers
  1728. avec des → leurs
  1729. vides sur leurs → sur les
  1730. au fond des → dans les
  1731. la Boule → la Boule
  1732. se montraient → couraient
  1733. courant → se hâtant
  1734. leurs → les
  1735. laisser → elle avait laissé
  1736. l’espace → le ciel
  1737. gargottes → gargotes
  1738. et → ,
  1739. gésier → ventre
  1740. traînaient des lambeaux d’ → traînait une
  1741. n’en → ne les
  1742. voulu → ramassées
  1743. , ne sentant → la serrait à la gorge; elle ne sentait
  1744. agissant → elle agissait
  1745. vivement s’étalaient leur laideur blafarde → leur masque blafard nettement surgissait
  1746. s’en allaient → , s’éloignaient
  1747. puis des → qui tombaient tout d’un coup à de grands
  1748. filaient → passaient
  1749. sur les → le long des
  1750. toujours → encore
  1751. revenait → remontait
  1752. tout d’un coup → brusquement
  1753. et → ,
  1754. : → .
  1755. rien de drôle → autre chose
  1756. brâillaient → braillaient
  1757. au milieu desquels passaient → coupés par
  1758. , → et
  1759. par là → ainsi
  1760. à cette heure → au même instant
  1761. huitres dans un restaurant, → huîtres.
  1762. Ils → À cette heure, ils
  1763. arrêter → aborder
  1764. à laquelle il s’adressait → qu’il arrêtait
  1765. ? → !
  1766. il → ils
  1767. fouettaient → fouettait
  1768. bec → becs
  1769. dans les carrefours → lorsqu’elle traversait un carrefour
  1770. , → ;
  1771. , au milieu d’ → dans
  1772. doux et → d’une blancheur
  1773. Puis, → Enfin
  1774. de la dernière des dernières → des roulures de barrière
  1775. semblait effeuiller → effeuillait
  1776. rhumathisme aigu, et → rhumatisme aigu.
  1777. . → ,
  1778. Et elle → Elle
  1779. parler → prononcer les mots
  1780. ne s → n
  1781. regardait → contemplait
  1782. Puis → Plus tard
  1783. tapait → frappait
  1784. . → !
  1785. était tombé → s’était mis
  1786. qui → qu’il
  1787. Et il → Il
  1788. baisé → baisée
  1789. crevant → crevée
  1790. , → ;
  1791. plus → pas
  1792. dans la rue → sur le pavé
  1793. se calma un peu → revint à elle
  1794. , → !
  1795. semblait → paraissait
  1796. rappelait → souvenait de
  1797. il ne → il ne lui
  1798. penser à → se rappeler
  1799. : → .
  1800. que vous aviez raison de dire qu → oui, l
  1801. Vous pouvez m’emmener → Emmenez-moi
  1802. , → ;
  1803. V¶ → ¶ XIII¶
  1804. ! → ,
  1805. . → !
  1806. qu → qn
  1807. le → la
  1808. quand → quant
  1809. quand → lorsqu’
  1810. ! → .
  1811. ! → ?
  1812. ! → ?
  1813. . → ?
  1814. bois → dossier
  1815. , → ;
  1816. partout → en l’air
  1817. châlet → chalet
  1818. de peur → d’épouvante
  1819. … → .
  1820. et → il
  1821. entendait → entendit
  1822. leur → lui
  1823. matin → lendemain
  1824. qu’il → qui
  1825. puisse → pût
  1826. , → ;
  1827. ribotte → ribote
  1828. ! → ?
  1829. Ça → Le mal
  1830. lui sautaient aux → se collaient à ses
  1831. de → -de-
  1832. Les → Ses
  1833. . → ,
  1834. gueuler → crier
  1835. descendre → descencendre
  1836. , → .
  1837. Saint → Sainte
  1838. je vous → jevous
  1839. . → !
  1840. . → ,
  1841. déguisés → habillés
  1842. … → ..
  1843. carapater → carapatter
  1844. ,.. → !…
  1845. examinait → examina
  1846. ,.. → …
  1847. gros → gras
  1848. ! → ?
  1849. roulaient → coulaient
  1850. . Et, → , et
  1851. et → ,
  1852. eût → eut
  1853. . → ,
Table des matières
L’ASSOMMOIR
Étude de mœurs parisiennes

Feuilleton du BIEN PUBLIC
DU 13 AVRIL 1876


1aGervaise avait attendu
Lautier jusqu’à deux heures du matin. Puis, toute frissonnante d’être restée en camisole à l’air vif de la fenêtre, elle s’était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, il la plantait là sur le trottoir de la rue des Poissonniers; il l’envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu’il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu’elle guettait son retour, elle s’était imaginé le voir entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d’une nappe d’incendie la coulée noire des boulevards extérieurs; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes, comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte.
Quand Gervaise s’éveilla
vers les cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lautier n’était pas rentré. 1bPour la première fois il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d’une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d’une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lautier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d’homme tout au fond, à demi-enfoui sous des chemises et des chaussettes sales; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d’habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du Mont-de-Piété, d’un rose tendre. C’était la belle chambre de l’hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.
Cependant, couchés côte à côte sur le même oreiller, les deux enfants dormaient. Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejetées hors de la couverture, respirait d’une haleine lente,
pendant qu’Étienne, âgé de quatre ans seulement, souriait, un bras passé au cou de son frère. Lorsque le regard noyé de leur mère s’arrêta sur eux, elle eut une nouvelle crise de sanglots, elle tamponna un mouchoir sur sa bouche pour étouffer les légers cris qui lui échappaient. Et, pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées, elle retourna s’accouder à la fenêtre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trottoirs au loin.
L’hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poisson1cnière. C’était une masure de deux étages, peinte en rouge lie de vin jusqu’au second, avec des persiennes pourries par la pluie. Au-dessus d’une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait à lire, entre les deux fenêtres: Hôtel Boncœur, tenu par Marsoullier, en
grande lettres jaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux. Gervaise, que la lanterne gênait un peu, se haussait, son mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers saignants; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d’avenue, s’arrêtant, presque en face d’elle, à la masse blanche de l’hôpital de Lariboisière, dont le gros œuvre était à peine terminé, et dont des couvreurs posaient les toitures. Lentement, d’un bout à l’autre de l’horizon, elle suivait le mur de l’octroi, derrière lequel, la nuit, elle entendait parfois des cris d’assassinés; et elle fouillait les angles écartés, les coins sombres, noirs d’humidité et d’ordures, avec la peur d’y trouver le corps de Lautier, le ventre troué de coups de couteau. Quand elle levait les yeux, au delà de cette muraille grise et interminable qui entourait la ville d’une bande de désert, elle apercevait une grande lueur, une poussière de soleil, toute pleine déjà du grondement matinal de Paris. Mais c’était toujours à la barrière Poissonnière qu’elle revenait, le cou tendu, les regards fixes, s’étourdissant à voir couler, entre les deux pavillons trapus de l’octroi, le flot ininterrompu d’hommes, de bêtes, de charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre et de La Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une foule que de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé compacte et sans fin d’ouvriers allant au travail, leurs outils sur le 1ddos, leur pain sous le bras. Des boulevards extérieurs, de la rue des Poissonniers, de toutes les rues voisines, débouchaient des groupes, de ce pas régulier et alourdi des travailleurs; et la cohue s’engouffrait dans Paris où elle se noyait continuellement. Lorsque Gervaise, au milieu de tout ce monde, croyait reconnaître Lautier, elle se penchait davantage, au risque de tomber; puis, elle appuyait plus fortement son mouchoir sur sa bouche, comme pour renfoncer sa douleur.
Une voix jeune et gaie lui fit quitter la fenêtre.
– Le bourgeois n’est donc pas là? madame
Lautier.
– Mais non, monsieur Coupeau, répondit-elle en tâchant de sourire.
C’était un ouvrier zingueur qui occupait, tout en haut de l’hôtel, un cabinet de dix francs. Il avait son sac passé à l’épaule. Ayant trouvé la clef sur la porte, il était entré
en ami.
– Vous savez, continua-t-il, maintenant, je travaille là, à l’hôpital… Hein! quel joli mois de mai! Ça pique dur, ce matin.
Et il regardait le visage de Gervaise, rougi par les larmes. Quand il vit que le lit n’était pas défait, il hocha doucement la tête; puis, il vint jusqu’à la couchette des enfants qui dormaient toujours
, avec leurs mines roses de chérubins, et, baissant la voix:
– Allons
, le bourgeois n’est pas sage, n’est-ce pas?… Ne vous désolez pas, madame Lautier. Il s’occupe beaucoup de politique; l’autre jour, quand on a voté pour Eugène Sue, un bon, paraît-il, il était comme un fou. Peut-être bien qu’il a passé la nuit avec des amis à dire du mal de cette crapule de Bonaparte.
– Non, non, murmura-t-elle avec effort, ce n’est pas ce que vous croyez. Je sais où est
Lautier… Nous avons nos chagrins comme tout le monde, mon Dieu!
1eCoupeau cligna les yeux, pour montrer qu’il n’était pas dupe de ce mensonge. Et il
s’en alla, après lui avoir offert d’aller chercher son lait, si elle ne voulait pas sortir: elle était une belle et brave femme, elle pouvait compter sur lui, le jour où elle serait dans la peine. Gervaise, dès qu’il fut parti, se remit à la fenêtre.
À la barrière, le piétinement de
troupeau continuait. On reconnaissait les serruriers à leurs bourgerons bleus, les maçons à leurs cottes blanches, les peintres à leurs paletots, sous lesquels de longues blouses passaient. Cette foule, de loin, gardait un effacement plâtreux, un ton neutre, où le bleu déteint et le gris sale dominaient. Par moment, un ouvrier s’arrêtait court, rallumait sa pipe, tandis qu’autour de lui les autres marchaient toujours, sans un rire, sans une parole dite à un camarade, les joues terreuses, la face tendue vers Paris, qui, un à un, les dévorait par la rue béante du faubourg Poissonnière. Ce défilé muet, se bousculant sur les pavés, faisait songer à une armée en marche, allant à quelque bataille dont pas un des soldats ne devait revenir. Cependant, aux deux coins de la rue des Poissonniers, à la porte des deux marchands de vin qui enlevaient leurs volets, des hommes ralentissaient le pas, et, avant d’entrer, ils restaient au bord du trottoir, avec des regards obliques sur Paris, les bras mous, déjà gagnés par une journée de flâne. Devant les comptoirs, des groupes s’offraient des tournées, s’oubliaient là, debout, emplissant peu à peu les salles, crachant, toussant, s’éclaircissant la gorge à coups de petits verres.
Gervaise guettait, à gauche de la rue, la salle du père Colombe, où elle
croyait avoir vu entrer Lautier, lorsqu’une grosse femme, nu-tête, en tablier, l’interpella du milieu de la chaussée.
– Dites donc, madame
Lautier, vous êtes bien matinale!
1fGervaise se pencha.
– Tiens! c’est vous, madame Boche!… Oh! j’ai un tas de besogne, aujourd’hui!
– Oui, n’est-ce pas?
Les choses ne se font pas toutes seules.
Et une conversation s’engagea, de la fenêtre au trottoir.

Madame Boche était concierge de la maison dont le restaurant du Veau à deux têtes occupait le rez-de-chaussée. Plusieurs fois, 1aGervaise avait attendu Lautier dans sa loge, pour ne pas s’attabler seule avec tous les hommes qui mangeaient, à côté. La concierge raconta qu’elle allait à deux pas, rue de la Charbonnière, pour trouver au lit un employé, dont son mari ne pouvait pas tirer le raccommodage d’une redingote. Ensuite, elle parla d’un de ses locataires qui était rentré avec une femme, la veille, et qui avait empêché toute la maison de dormir, jusqu’à trois heures du matin. Mais, tout en bavardant, elle dévisageait la jeune femme, d’un air de curiosité aiguë; et elle semblait n’être venue là, se poser sous la fenêtre, que pour savoir.
– Monsieur
Lautier est donc encore couché? demanda-t-elle brusquement.
– Oui, il dort, répondit Gervaise
qui ne put s’empêcher de rougir.
Madame Boche vit les larmes lui remonter aux yeux
, et, satisfaite sans doute, elle s’éloignait en traitant les hommes de sacrés fainéants, lorsqu’elle revint, pour crier:
– C’est ce matin que vous allez au lavoir, n’est-ce pas?… J’ai quelque chose à laver, je vous garderai une place à côté de moi,
nous causerons.
Puis, comme prise d’une subite pitié:
– Ma pauvre petite
vous feriez bien mieux de ne pas rester là, vous prendrez du mal… Vous êtes violette.

14 AVRIL 1876

I
– Suite –

2aGervaise s’entêta encore à la fenêtre pendant deux mortelles heures, jusqu’à huit heures.
Peu à peu, les boutiques s’étaient ouvertes. Le flot de blouses descendant des hauteurs avait cessé; et seuls quelques retardataires franchissaient la barrière à grandes enjambées. Chez les marchands de vin, les mêmes hommes, toujours debout, en face les uns des autres, continuaient à boire, à tousser et à cracher. Aux ouvriers avaient succédé les ouvrières; les brunisseuses, les modistes, se serrant dans leurs minces vêtements, trottant le long des boulevards extérieurs; elles allaient par bandes de trois ou quatre, causaient vivement, avec de légers rires et des regards vifs jetés autour d’elles; de loin en loin, une, toute seule, maigre, l’air pâle et sérieux, suivait le mur de l’octroi, en évitant les coulées d’ordures. Puis, les employés étaient passés, soufflant dans leurs doigts, mangeant leur pain d’un sou en marchant; des jeunes gens efflanqués, aux habits trop 2bcourts, aux yeux battus, tout brouillés de sommeil; des petits vieux qui roulaient sur leurs pieds, la face blême, usée par les longues heures du bureau, regardant leur montre, réglant leur marche à quelques secondes près. Et les boulevards avaient pris leur paix du matin; les rentiers du voisinage se promenaient au soleil; les mères, en cheveux, en jupes sales, berçaient dans leurs bras des enfants au maillot, qu’elles changeaient sur les bancs; toute une marmaille mal mouchée, débraillée, se bousculait, se trainait par terre, au milieu de piaulements, de rires et de pleurs. Alors, Gervaise se sentit étouffer, prise d’un vertige d’angoisse, à bout d’espoir; il lui semblait que tout était fini, que les temps étaient finis, que Lantier ne rentrerait plus jamais. Elle allait, les regards vagues, ne voyant plus, des vieux abattoirs noirs de leur massacre et de leur puanteur, à l’hôpital neuf, blafard, montrant, par les trous encore béants de ses rangées de fenêtres, des salles nues où la mort devait faucher. En face d’elle, derrière le mur de l’octroi, le ciel éclatant, le lever du soleil qui grandissait au-dessus du réveil énorme de Paris, l’éblouissait.
La jeune femme était assise sur une chaise, les mains abandonnées, ne pleurant plus, lorsque Lantier entra tranquillement.
– C’est toi! c’est toi! cria-t-elle
en voulant se jeter à son cou.
– Oui, c’est moi. Après? répondit-il. Tu ne vas pas commencer tes bêtises, peut-être!
Il l’avait écartée. Puis, d’un geste de mauvaise humeur, il lança à la volée son chapeau de feutre noir sur la commode. C’était un garçon de vingt-six ans, petit, très brun, d’une jolie figure, avec de minces moustaches, qu’il frisait toujours d’un mouvement machinal de la main. Il portait une cotte d’ouvrier, une vieille redingote tachée
, quil pinçait à la taille, et 2cavait en parlant un accent provençal très prononcé.
Gervaise,
qui était retombée sur la chaise, se plaignait doucement, par courtes phrases.
– Je n’ai pas pu fermer l’œil… Je croyais qu’on t’avait donné un mauvais coup
Où es-tu allé? où as-tu passé ta nuit? Mon Dieu, ne recommence pas, je deviendrais folle… Dis, Auguste, où es-tu allé?
– Où j’avais affaire, parbleu! dit-il avec un haussement d’épaules. J’étais à huit heures à la Glacière, chez cet ami qui doit monter une fabrique de chapeaux. Je me suis attardé. Alors, j’ai préféré coucher… Puis, tu sais, je n’aime pas qu’on me moucharde. Fiche
-moi la paix!
La jeune femme se remit à sangloter. Les éclats de voix, les mouvements brusques de
Lautier, qui culbutait les chaises, venaient de réveiller les enfants. Ils se dressèrent sur leur séant, demi-nus, débrouillant leurs cheveux de leurs petites mains; et, en entendant pleurer leur mère, ils poussèrent des cris terribles, pleurant eux aussi de leurs yeux à peine ouverts.
– Ah! voilà la musique! s’écria
Lautier furieux. Je vous avertis, je reprends la porte, moi! Et je file pour tout de bon, cette fois… Vous ne voulez pas vous taire? Bonsoir! je retourne d’où je viens.
Il avait déjà
atteint son chapeau sur la commode. Mais Gervaise se précipita, balbutiant:
– Non, non!
Et elle étouffa les larmes des petits sous des caresses. Elle baisait leurs cheveux, elle les recouchait avec des paroles tendres. Les petits, calmés tout d’un coup, riant sur l’oreiller, s’amusèrent à se pincer. Cependant, le père, sans même retirer ses bottes, s’était jeté sur le lit, l’air éreinté, la face marbrée par une nuit blanche. Il ne s’endormit pas, il resta les yeux grands ouverts, à faire le tour de la chambre.
2dC’est propre, ici! murmura-t-il.
Puis, après avoir regardé un instant Gervaise, il ajouta méchamment:
– Tu ne te débarbouilles donc plus
!
Gervaise n’avait que vingt-deux ans. Elle était grande, un peu mince, avec des traits fins, déjà tirés par les rudesses de sa vie. Dépeignée, en savates, grelottant sous sa camisole blanche où les meubles avaient laissé de leur poussière et
leur graisse, elle semblait vieillie de dix ans par les heures d’angoisse et de larmes qu’elle venait de passer. Le mot de Lautier la fit sortir de son attitude peureuse et résignée.
– Tu n’es pas juste, dit-elle
, en s’animant. Tu sais bien que je fais tout ce que je peux. Ce n’est pas ma faute si nous sommes tombés ici… Je voudrais te voir, avec les deux enfants, dans une pièce où il n’y a pas même un fourneau pour avoir de l’eau chaude… Il fallait, en arrivant à Paris, au lieu de manger ton argent, nous établir tout de suite, comme tu l’avais promis.
– Dis donc! cria-t-il, tu as croqué le magot avec moi; ça ne te va pas
aujourd’hui de cracher sur les bons morceaux!
Mais elle ne parut pas l’entendre, elle continua:
– Enfin, avec du courage, on pourra encore s’en tirer… J’ai vu, hier soir,
Mme Fauconnier, la blanchisseuse de la Rue-Neuve; elle me prendra lundi. Si tu te mets avec ton ami de la Glacière, nous reviendrons sur l’eau avant six mois, le temps de nous nipper et de louer un trou quelque part, où nous serons chez nous… Oh! il faudra travailler, travailler…
Lautier se tourna vers la ruelle, d’un air d’ennui. Gervaise alors s’emporta.
– Oui, c’est ça, on sait que l’amour du travail ne t’étouffe guère. Tu crèves d’ambition, tu voudrais être habillé comme un monsieur et promener des catins en jupes de soie. N’est-ce pas? tu ne me trouves plus 2eassez bien,
parce que tu m’as fait mettre toutes mes robes au Mont-de-Piété… Tiens! Auguste, je ne voulais pas t’en parler, j’aurais attendu encore, mais je sais où tu as passé la nuit; je t’ai vu entrer au Grand-Balcon avec cette trainée d’Adèle. Ah! tu les choisis bien! Elle est propre celle-là, avec ses airs de princesse.
D’un saut,
Lautier s’était jeté à bas du lit. Ses yeux avaient pris un noir d’encre dans son visage blême. Chez ce petit homme, la colère soufflait une tempête.
– Oui, oui,
répéta la jeune femme, Mme Boche va leur donner congé, à elle et à sa grande bringue de sœur, parce qu’il y a toujours une queue d’hommes dans l’escalier.
Lautier leva les deux poings; puis, résistant au besoin de la battre, il lui saisit les bras, la secoua violemment, l’envoya tomber sur le lit des enfants, qui se mirent de nouveau à crier. Et il se recoucha, en bégayant, de l’air farouche d’un homme qui prend une résolution devant laquelle il hésitait encore:
– Tu ne sais pas ce que tu viens de faire, Gervaise… Tu as eu tort, tu verras.
Pendant
quelques minutes, les plaintes des enfants, qui s’apaisaient peu à peu, emplirent seules la chambre nue et en désordre. Leur mère, restée ployée au bord du lit, les tenait dans une même étreinte; et elle répétait cette phrase, à vingt reprises, d’une voix monotone:
– Ah! si vous n’étiez pas là, mes pauvres petits!… Si vous n’étiez pas là!… Si vous n’étiez pas là!

Tranquillement allongé, les yeux levés au-dessus de lui, sur le lambeau de perse déteinte,
Lautier n’écoutait plus, s’enfonçait dans une idée fixe. Il resta ainsi près d’une heure, sans céder au sommeil, malgré la fatigue qui appesantissait ses paupières. Quand il se retourna, s’appuyant sur le coude, la face dure et déterminée, Gervaise achevait de ranger la chambre. 2fElle faisait le lit des enfants, qu’elle venait de lever et d’habiller. Il la regarda donner un coup de balai, essuyer les meubles; la pièce restait noire, lamentable, avec son plafond fumeux, son papier décollé par l’humidité, ses trois chaises et sa commode éclopées, où la crasse s’entêtait et s’étalait sous le torchon. Puis, pendant qu’elle se lavait à grande eau, après avoir rattaché ses cheveux, devant le petit miroir rond, pendu à l’espagnolette, qui lui servait à se raser, il parut examiner ses bras nus, son cou nu, tout le nu qu’elle montrait, comme si des comparaisons s’établissaient dans son esprit. Et il eut une moue des lèvres. Gervaise boitait légèrement de la jambe droite; mais on ne s’en apercevait guère que les jours de fatigue, quand elle s’abandonnait, les hanches brisées. Ce matin-là, rompue par sa nuit, elle traînait sa jambe, elle s’appuyait aux murs.
Le silence régnait
toujours, ils n’avaient plus échangé une parole. Lui, semblait attendre. Elle, rongeant sa douleur, s’efforçant d’avoir un visage indifférent, se hâtait. Comme elle faisait un paquet du linge sale jeté dans un coin, derrière la malle, il ouvrit enfin les lèvres, il demanda:
– Qu’est-ce que tu fais?… Où vas-tu?
Elle ne répondit pas d’abord. Puis, lorsqu’il répéta sa question, furieusement, elle se décida.
– Tu le vois bien, peut-être… Je vais laver tout ça… Les enfants ne peuvent pas vivre dans la crotte.
Il lui laissa ramasser deux ou trois mouchoirs. Et, au bout d’un nouveau silence, il reprit:
– Est-ce que tu as de l’argent?


15 AVRIL 1876

I
– Suite –

3aDu coup, elle se releva, le regarda en face, sans lâcher les chemises sales des petits qu’elle tenait à la main.
– De l’argent! où veux-tu donc que je l’aie volé?… Tu sais bien que j’ai eu trois francs avant-hier sur ma jupe noire. Nous avons déjeuné deux fois là dessus, et l’on va vite, avec la charcuterie… Non, sans doute, je n’ai pas d’argent. J’ai quatre sous pour le lavoir… Je n’en gagne pas comme certaines femmes.
Il ne s’arrêta pas à cette allusion. Il était descendu du lit, il passait en revue les quelques loques pendues autour de la chambre. Il finit par décrocher le pantalon et le châle, ouvrit la commode, ajouta au paquet une camisole et deux chemises de femme; puis
il jeta le tout sur les bras de Gervaise, en disant:
– Tiens, porte ça au clou.
– Tu ne veux pas que je porte aussi les enfants? demanda-t-elle. Hein! si l’on prêtait sur les enfants,
ça serait un fameux débarras!
Elle alla au Mont-de-Piété, pourtant. Quand elle revint, au bout d’une demi-heure, elle posa une pièce de cent sous sur 3bla cheminée, en joignant la reconnaissance aux autres, entre les deux
chandeliers.
– Voilà ce qu’ils m’ont donné, dit-elle. Je voulais six francs, mais il n’y a pas eu moyen. Oh! ils ne se ruineront pas… Et
il y a toujours un monde là-dedans!
Lantier ne prit pas tout de suite la pièce de cent sous. Il aurait voulu qu’elle
fit de la monnaie, pour lui laisser quelque chose. Mais il se décida à la glisser dans la poche de son gilet, quand il vit, sur la commode, un reste de jambon dans un papier, avec un bout de pain. Les enfants pourraient toujours manger un morceau.
– Je n’ai pas osé aller chez la laitière, parce que nous lui devons huit jours, expliqua Gervaise. Mais je reviendrai de bonne heure, tu iras chercher du pain et des côtelettes panées, pendant que je ne serai pas là, et nous déjeunerons… Prends aussi un litre de vin.
Il ne dit pas non. La paix semblait se faire. La jeune femme achevait de mettre en paquet le linge sale. Mais quand elle voulut prendre les chemises et les chaussettes de Lantier
, au fond de la malle, il lui cria de laisser ça.
– Laisse mon linge, entends-tu! Je ne veux pas!
– Qu’est-ce que tu ne veux pas? demanda-t-elle
, en se redressant, tu ne comptes pas, sans doute, remettre ces pourritures-là? Il faut bien les laver.
Et elle l’examinait, inquiète, retrouvant sur son visage de joli garçon la même dureté
, la même décision entêtée, comme si rien, désormais, ne devait le fléchir. Il se fâcha, lui arracha des mains le linge qu’il rejeta dans la malle.
– Tonnerre de Dieu! obéis-moi donc une fois! Quand je te dis que je ne veux pas!
– Mais pourquoi? reprit-elle, pâlissante, effleurée d’un soupçon terrible. Tu n’as pas besoin de tes chemises maintenant
; tu ne vas pas partir… Qu’est-ce que ça peut faire que je les emporte?
3cIl hésita un instant, gêné par les yeux ardents qu’elle fixait sur lui.
– Pourquoi? pourquoi? bégayait-il… Parbleu! tu vas dire partout que tu m’entretiens, que tu laves, que tu raccommodes
Eh bien! ça m’embête, ! Fais tes affaires, je ferai les miennes… Les blanchisseuses ne travaillent pas pour les chiens.
Elle le supplia, se défendit de s’être jamais plainte; mais il ferma la malle brutalement, s’assit dessus, lui cria
non dans la figure. Il était bien le maître de ce qui lui appartenait! Puis, pour échapper aux regards dont elle le poursuivait, il retourna s’étendre sur le lit, en disant qu’il avait sommeil, et qu’elle ne lui cassât pas la tête davantage. Cette fois, en effet, il parut s’endormir.
Gervaise resta un moment indécise. Elle était tentée de repousser du pied le paquet de linge, de s’asseoir là, à coudre. La respiration régulière de Lantier finit par la rassurer. Elle prit la boule de bleu et le morceau de savon qui lui restaient de son dernier savonnage; et s’approchant des petits qui jouaient tranquillement avec de vieux bouchons, devant la fenêtre, elle les baisa, en leur disant à voix basse:
– Soyez bien sages, ne faites pas de bruit. Papa dort.
Quand elle quitta la chambre, les rires adoucis de Claude et d’Étienne sonnaient seuls dans le grand silence, sous le plafond noir.

Il était dix heures. Une raie de soleil entrait par la fenêtre entr’ouverte.
Sur le boulevard, Gervaise tourna à gauche et suivit la rue Neuve de la Goutte-d’Or. En passant devant la boutique de
Mme Fauconnier, elle salua d’un petit signe de tête. Le lavoir où elle allait, était situé vers le milieu de la rue, à l’endroit où le pavé commençait à monter. Au-dessus d’un petit bâtiment bas, trois énormes réservoirs d’eau, des cylindres de zinc fortement boulonnés, mettaient leur rondeur 3d grise; tandis que, derrière, s’élevait le séchoir, un deuxième étage très haut, clos de tous les côtés par des persiennes à lames minces, à travers lesquelles passait le grand air, et qui laissaient voir de la rue des pièces de linge séchant sur des fils de laiton. À droite des réservoirs, le tuyau étroit de la machine à vapeur soufflait, d’une haleine rude et régulière, des jets de fumée blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femmme habituée aux flaques d’eau, s’engagea sous la porte, au sol boueux, encombré de jarres d’eau de javelle. Elle connaissait déjà la maîtresse du lavoir, une petite femme délicate, aux yeux malades, établie à gauche dans un cabinet vitré, avec des registres devant elle, des pains de savon sur des étagères, des boules de bleu dans des bocaux, des livres de bicarbonate de soude en paquets. Et, en passant, elle lui réclama son battoir et sa brosse, qu’elle lui avait donnés à garder, lors de son dernier savonnage. Puis, après avoir pris son numéro, elle entra.
C’était un immense hangar, à plafond plat, à poutres apparentes, monté sur des piliers de fonte, fermé
par de larges fenêtres claires. Un plein jour blafard passait librement, dans la buée chaude, dans la vapeur d’eau suspendue comme un brouillard laiteux. Des fumées montaient de certains coins, s’étalant, noyant les fonds d’un voile bleuâtre. Il pleuvait une humidité lourde, toute chargée d’une odeur savonneuse, une odeur fade, moite, continue; et, par moments des souffles plus forts d’eau de javelle dominaient. Le long des batteries, aux deux côtés de l’allée centrale, il y avait des files de femmes, les bras nus jusqu’aux épaules, le cou nu, les jupes raccourcies montrant des bas de couleur et de gros souliers lacés. Elles tapaient furieusement, riaient, se renversaient pour crier un mot dans le vacarme, se penchaient au fond de leurs baquets, ordurières, brutales, dégingandées, 3etrempées comme par une averse, les chairs rougies et fumantes. Autour d’elles, sous elles, coulait un grand ruissellement: les seaux d’eau chaude promenés et vidés d’un trait, les robinets d’eau froide ouverts, pissant de haut, les éclaboussements des battoirs, les égouttures des linges rincés, les mares où elles pataugeaient s’en allant par petits ruisseaux sur les dalles en pente.
Et, au milieu des cris, des coups cadencés, du bruit murmurant de pluie, de cette clameur d’orage s’étouffant sous le plafond mouillé, la machine à vapeur, à droite, toute blanche d’une rosée fine, haletait et ronflait sans relâche, avec la trépidation dansante de son volant qui semblait régler l’énormité du tapage.
Cependant, Gervaise, à petits pas, suivait l’allée, en jetant des regards à droite et à gauche. Elle portait son paquet de linge passé au bras, la hanche haute, boitant plus fort, dans le va-et-vient
de laveuses qui la bousculait.
– Eh! par ici, ma petite! cria la grosse voix de
Mme Boche.
Puis, quand la jeune femme l’eut rejointe, à gauche, tout au bout, la concierge, qui frottait furieusement une chaussette, se mit à parler d’une façon continue, sans lâcher sa besogne.
– Mettez-vous là, je vous ai gardé votre place…. Oh! je n’en ai pas pour longtemps. Boche ne salit presque pas son linge… Et vous? ça ne va pas traîner non plus, hein?
il est tout petit, votre paquet. Avant midi, nous aurons expédié ça, et nous pourrons aller déjeuner… Moi, je donnais mon linge à une blanchisseuse de la rue Poulet; mais elle m’emportait tout avec son chlore et ses brosses. Alors, je lave moi-même. C’est tout gagné. Ça ne coûte que le savon… Dites donc, voilà des chemises que vous auriez dû mettre à couler. Ces gueux d’enfants, ma parole! ça a de la suie au derrière.
Gervaise défaisait son paquet, étalait les 3fchemises des petits; et comme
Mme Boche lui conseillait de prendre un seau de lessive, elle répondit:
– Oh! non, l’eau chaude suffira… Ça me connaît.
Elle avait trié le linge, mis à part les quelques pièces de
couleurs. Puis, après avoir empli son baquet de quatre seaux d’eau froide, pris au robinet, derrière elle, elle plongea le tas du linge blanc; et, relevant sa jupe, la tirant entre ses cuisses, elle entra dans la boite, posée debout, et qui lui arrivait au ventre.
– Ça vous connaît, hein? répétait
Mme Boche. Vous étiez blanchisseuse dans votre pays, n’est-ce pas, ma petite?
Gervaise, les manches retroussées, montrant ses beaux bras de blonde, jeunes encore, à peine rosés aux coudes, commençait à décrasser son linge. Elle venait d’étaler une chemise sur la planche étroite de la batterie, mangée et blanchie par l’usure de l’eau; elle la frottait de savon, la retournait, la frottait de l’autre côté. Avant de répondre, elle empoigna son battoir, se mit à taper, criant ses phrases, les ponctuant à coups rudes et
réguliers.
– Oui, oui, blanchisseuse… À dix ans… Il y a douze ans de ça… Nous allions à la rivière… Ça sentait meilleur qu’ici… Il fallait voir, il y avait un coin sous les arbres… avec de l’eau claire qui courait… Vous savez, à Plassans… Vous ne connaissez pas Plassans?… près de Marseille?
– C’est du chien, ça! s’écria
Mme Boche, émerveillée de la rudesse des coups de battoir. Quelle mâtine! elle vous aplatirait du fer avec ses petits bras de demoiselle!

16 AVRIL 1876

I
– Suite –

4aLa conversation continua, très-haut. La concierge, parfois, était obligée de se pencher, n’entendant pas. Tout le linge blanc fut battu, et ferme! Gervaise le replongea dans le baquet, le reprit pièce par pièce pour le frotter de savon une seconde fois et le brosser. D’une main, elle fixait la pièce sur la batterie; de l’autre main, qui tenait la courte brosse de chiendent, elle tirait du linge une mousse salie, qui, par longues bavures, tombait. Alors, dans le petit bruit de la brosse, elles se rapprochèrent, elles causèrent d’une façon plus intime.
– Non, nous ne sommes pas mariés, reprit Gervaise. Moi, je ne m’en cache pas. Lantier n’est pas si gentil pour qu’on
regrette d’être sa femme. S’il n’y avait pas les enfants, allez!… J’avais quatorze ans et lui dix-huit, quand nous avons eu notre premier. L’autre est venu quatre ans plus tard… C’est arrivé comme ça arrive toujours, vous savez. Je n’étais pas heureuse chez nous; le père Macquart, pour un oui, pour un non, m’allongeait des coups de pied dans les reins. Alors, ma fois, on songe à s’amuser dehors… On nous aurait 4bmariés, mais je ne sais plus, nos parents n’ont pas voulu
Elle secoua ses mains, qui rougissaient sous la mousse blanche.
– L’eau est joliment dure à Paris, dit-elle.
Mme Boche ne lavait plus que mollement. Elle s’arrêtait, faisait durer son savonnage, pour rester là, à connaître cette histoire, qui torturait sa curiosité depuis quinze jours. Sa bouche était à demi-ouverte dans sa grosse face; ses yeux, à fleur de tête, luisaient. Elle pensait, avec la satisfaction d’avoir deviné:
– C’est ça, la petite cause trop. Il y a eu du grabuge
ce matin.
Puis, tout haut:
– Il n’est pas gentil, alors?
– Ne m’en parlez pas
, répondit Gervaise, il était très bien pour moi, là-bas; mais depuis que nous sommes à Paris, je ne peux plus en venir à bout… Il faut vous dire que sa mère est morte l’année dernière en lui laissant quelque chose, dix-sept cents francs à peu près. Il voulait partir pour Paris. Alors, comme le père Macquart m’envoyait toujours des giffles sans crier gare, j’ai consenti à m’en aller avec lui, nous avons fait le voyage avec les deux enfants. Il devait m’établir blanchisseuse et travailler de son état de chapelier. Nous aurions été très heureux… Mais, voyez-vous, Lantier est un ambitieux, un dépensier, un homme qui ne songe qu’à son amusement. Il ne vaut pas grand’chose, enfin… Nous sommes descendus à l’hôtel Montmartre, rue Montmartre. Et ç’a été des dîners, des voitures, le théâtre, une montre pour lui, une robe de soie pour moi, car il n’a pas mauvais cœur, quand il a de l’argent. Vous comprenez, tout le tremblement, si bien qu’au bout de deux mois nous étions nettoyés. C’est à ce moment-là que nous sommes venus habiter l’hôtel Boncœur et que la sacrée vie a commencé…
Elle s’interrompit, serrée tout d’un coup 4cà la gorge, rentrant ses larmes. Elle avait fini de brosser son linge.
– Il faut que j’aille chercher mon eau chaude, murmura-t-elle.
Mais madame Boche, très
contrariée de cet arrêt dans les confidences, appela le garçon du lavoir qui passait.
– Mon petit Charles, vous serez bien gentil, allez donc chercher un seau d’eau chaude à
Madame, qui est pressée.
Le garçon prit le seau et le rapporta plein. Gervaise paya; c’était un sou le seau. Elle versa l’eau chaude dans le baquet, et savonna le linge une dernière fois, avec les mains, se ployant au-dessus de la batterie, au milieu d’une vapeur qui accrochait des filets de fumée grise dans ses cheveux blonds.
– Tenez, mettez donc des cristaux, j’en ai là, dit obligeamment la concierge.
Et elle vida dans le baquet de Gervaise le fond d’un sac de
bi-carbonate de soude, qu’elle avait apporté. Elle lui offrit aussi de l’eau de javelle; mais la jeune femme refusa; c’était bon pour les taches de graisse et les taches de vin.
– Je le crois un peu coureur, reprit
Mme Boche, en revenant à Lantier, sans le nommer.
Gervaise, les reins en deux, les
deux mains enfoncées et crispées dans le linge, se contenta de hocher la tête.
– Oui, oui, continua l’autre, je me suis aperçue de plusieurs petites choses…
Mais elle se récria, devant le brusque mouvement de Gervaise qui s’était relevée, toute pâle, en la dévisageant.
– Oh! non, je ne sais rien
Il aime à rire, je crois, voilà tout… Ainsi, ces deux filles qui logent chez nous, Adèle et Virginie, vous les connaissez, eh bien! il plaisante avec elles, et ça ne va pas plus loin, j’en suis sûre.
La jeune femme, droite devant elle, la face en sueur, les bras ruisselants, la regardait toujours, d’un regard fixe et pro4dfond. Alors
la concierge se fâcha, s’appliqua un coup de poing sur la poitrine, en donnant sa parole d’honneur. Elle criait:
– Je ne sais rien,
, quand je vous le dis!
Puis, se calmant, elle ajouta d’une voix doucereuse, comme on parle à une personne à
laquelle la vérité ne vaudrait rien:
– Moi, je trouve qu’il a les yeux francs… Il vous épousera, ma petite, je vous le promets!
Gervaise s’essuya le front de sa main mouillée.
Et elle tira de l’eau une autre pièce de linge, en hochant de nouveau la tête. Un instant, toutes deux gardèrent le silence. Autour d’elles, le lavoir s’était apaisé. Onze heures sonnaient; la moitié des laveuses, assises d’une jambe au bord de leurs baquets, avec un litre de vin débouché à leurs pieds, mangeaient des saucisses dans des morceaux de pain fendus.
Seules, les ménagères venues là pour laver leurs petits paquets de linge, se hâtaient, en regardant l’œil-de-bœuf accroché au-dessus du bureau. Quelques coups de battoir partaient encore çà et là, espacés, au milieu des rires adoucis, des conversations qui s’empâtaient dans un bruit glouton de mâchoires, tandis que la machine à vapeur, allant son train, sans repos ni trêve, semblait hausser la voix, vibrante, ronflante, emplissant l’immense salle. Mais pas une des femmes ne l’entendait; c’était comme la respiration même du lavoir, une haleine ardente amassant sous les poutres du plafond l’éternelle buée qui flottait. La chaleur devenait intolérable; des raies de soleil entraient à gauche, par les hautes fenêtres, allumant les vapeurs fumantes de nappes opalisées, d’un gris-rose et d’un gris-bleu très tendres. Et, comme des plaintes s’élevaient, le garçon Charles allait d’une fenêtre à l’autre, tirait de grands stores de grosse toile; ensuite, il passa de l’autre côté, du côté de l’ombre, 4eet ouvrit des vasistas. On l’acclamait, on battait des mains; une gaieté formidable roulait avec une violence brusque de tempête. Puis les derniers battoirs eux-mêmes se turent. Les laveuses, la bouche pleine, ne faisaient plus que des gestes avec les couteaux ouverts qu’elles tenaient au poing. Le silence devenait tel qu’on entendait régulièrement, tout au bout, le grincement de la pelle du chauffeur, prenant du charbon de terre et le jetant dans le fourneau de la machine.
Cependant
Gervaise lavait son linge de couleur dans l’eau chaude, grasse de savon, qu’elle avait conservée. Quand elle eut fini, elle approcha un tréteau, jeta en travers toutes les pièces qui faisaient à terre des mares bleuâtres. Et elle commença à rincer. Derrière elle, le robinet d’eau froide coulait au-dessus d’un vaste baquet, fixé au sol, et que traversaient deux barres de bois, pour soutenir le linge. Au-dessus, en l’air, deux autres barres passaient, où le linge achevait de s’égoutter.
– Voilà qui va être fini, ce n’est pas malheureux, dit
Mme Boche. Je reste pour vous aider à tordre tout ça.
– Oh! ce n’est pas la peine, je vous remercie bien, répondit la jeune femme, qui pétrissait de ses poings et barbottait les pièces de couleur dans l’eau claire. Si j’avais des draps, je ne dis pas.
Mais il lui fallut pourtant accepter l’aide de la concierge. Elles tordaient toutes deux, chacune à un bout, une jupe, un petit lainage marron mauvais teint, d’où sortait une eau jaunâtre, lorsque
cette dernière s’écria:
– Tiens! la grande Virginie!… Qu’est-qu’elle vient laver ici, celle-là, avec ses quatre guenilles dans un mouchoir?
Gervaise avait vivement levé la tête
, les lèvres tremblantes. Virginie était une fille de son âge, plus grande qu’elle, brune, jolie malgré sa figure un peu longue. Elle avait une vieille robe noire à volants, un 4fruban rouge au cou; et elle était coiffée avec soin, le chignon pris dans un filet en chenille bleue. Un instant, au milieu de l’allée centrale, elle pinça les paupières, ayant l’air de chercher; puis quand elle eut aperçu Gervaise, elle vint passer près d’elle, raide, insolente, balançant ses hanches, et s’installa sur la même rangée, à cinq baquets de distance.
– En voilà un caprice! continuait
Mme Boche, à voix plus basse. Jamais elle ne savonne une paire de manches… Ah! une fameuse fainéante, je vous en réponds! Une couturière qui ne recoud pas seulement ses bottines! C’est comme sa sœur, la brunisseuse, cette gredine d’Adèle, qui manque l’atelier deux jours sur trois! Ça n’a ni père ni mère connus, ça vit d’on ne sait quoi, et si l’on voulait parler… Qu’est-ce qu’elle frotte donc là? Hein? c’est un jupon? Il est joliment dégouttant, il a dû en voir de propres, ce jupon!
Mme Boche, évidemment, voulait faire plaisir à Gervaise. La vérité était qu’elle prenait souvent le café avec Adèle et Virginie, quand les petites avaient de l’argent. Gervaise ne répondait pas, se dépêchait, les mains fiévreuses. Elle venait de faire son bleu, dans un petit baquet monté sur trois pieds. Elle trempait ses pièces de blanc, les agitait un instant au fond de l’eau teintée, dont le reflet bleu prenait une pointe de laque; et, après les avoir tordues légèrement, elle les jetait, les alignait sur les barres de bois, en haut. Pendant toute cette besogne, elle affectait de tourner le dos à Virginie. Mais elle entendait ses ricanements, elle sentait quand même sur elle ses regards obliques. Virginie semblait n’être venue que pour la provoquer. Un instant, Gervaise s’étant tout d’un coup retournée, elles se regardèrent toutes deux fixement.

18 AVRIL 1876

I
– Suite –

5aLaissez la donc, murmura Mme Boche. Vous n’allez peut-être pas vous prendre aux cheveux… Quand je vous dis qu’il n’y a rien! Ce n’est pas elle, là!
À ce moment, comme la jeune femme pendait sa dernière pièce de linge, il y eut des rires à la porte du lavoir.
– C’est deux gosses qui demandent maman! cria Charles.
Toutes les femmes se penchèrent. Gervaise reconnut Claude et Étienne. Dès qu’ils l’aperçurent, ils coururent à elle, au milieu des flaques, tapant sur les dalles les talons de leurs souliers dénoués. Claude, l’aîné, donnait la main à son petit frère. Les laveuses, sur leur passage, avaient de légers cris de tendresse
, à les voir un peu effrayés, souriant pourtant. Et ils restèrent là, devant leur mère, sans se lâcher, levant leurs têtes blondes.
– C’est papa qui vous envoie? demanda Gervaise.
Mais comme elle se baissait pour ratta5bcher les cordons des souliers d’Étienne, elle vit, à un doigt de Claude, la clef de la chambre avec son numéro de cuivre, qu’il balançait.
– Tiens! tu m’apportes la clef
? dit-elle, très surprise. Pourquoi donc?
L’enfant, en apercevant la clef qu’il avait oubliée à son doigt, parut se souvenir et cria de sa voix claire:
– Papa est parti.
– Il est allé
chercher le déjeuner; il vous a dit de venir me chercher ici?
Claude regarda son frère, hésita, ne sachant plus. Puis, il reprit d’un trait:
– Papa est parti… Il a sauté du lit, il a mis toutes les affaires dans la malle, il a descendu la malle sur une voiture
, il est parti.
Gervaise, accroupie, se releva lentement, la figure blanche, portant les mains à ses joues et à ses tempes, comme si elle entendait sa tête craquer. Et elle ne put trouver qu’un mot, elle le répéta vingt fois sur le même ton:
– Ah! mon Dieu!… ah! mon Dieu!… ah! mon Dieu!…
Mme Boche, cependant, interrogeait les enfants à son tour, toute allumée de se trouver dans cette histoire.
– Voyons, mon petit, il faut dire les choses…
. C’est lui qui a fermé la porte et qui vous a dit d’apporter la clef, n’est-ce pas?
Et, baissant la voix, à l’oreille de Claude:
– Est-ce qu’il y avait une dame dans la voiture?
L’enfant
battit des paupières, se troubla de nouveau. Il ne se rappelait pas s’il y avait une dame. Il recommença son histoire, d’un air triomphant:
– Il a sauté du lit, il a mis toutes les affaires dans la malle, il est parti…
Alors, comme
Mme Boche le laissait aller, il tira son frère devant le robinet: ils s’amusèrent tous les deux à faire couler l’eau.
5cGervaise ne pouvait pleurer. Elle étouffait, les reins appuyés contre son baquet, le visage toujours entre les mains. De courts frissons la secouaient. Par moments, un long soupir passait, tandis qu’elle s’enfonçait davantage les
doigts sur les yeux, comme pour s’anéantir dans le noir de son abandon. C’était un trou de ténèbres au fond duquel il lui semblait tomber.
– Allons, ma petite, que diable! murmurait madame Boche.
– Si vous saviez! si vous saviez! dit-elle enfin tout bas. Il m’a envoyée ce matin porter mon châle et mes chemises au Mont-de-Piété pour payer cette voiture…
Et elle pleura. Le souvenir de sa course au Mont-de-Piété, en précisant un fait de la matinée, lui avait arraché les sanglots qui s’étranglaient dans sa gorge. Cette course-là, c’était une abomination, la grosse douleur dans son désespoir. Les larmes coulaient sur son menton que ses mains avaient déjà mouillé, sans qu’elle songeât seulement à prendre son mouchoir.
– Soyez raisonnable, taisez-vous, on vous regarde, répétait madame Boche qui s’empressait autour d’elle. Est-il possible de se faire tant de mal pour un homme!… Vous l’aimiez donc toujours, hein? ma pauvre chérie. Tout à l’heure, vous étiez joliment montée contre lui. Et vous voilà
maintenant à le pleurer, à vous crever le cœur… Mon Dieu! que nous sommes bêtes!
Puis, elle se montra maternelle.
– Une jolie petite femme comme vous! s’il est permis!… On peut tout vous raconter à présent, n’est-ce pas? Eh bien! vous vous souvenez, quand je suis passée sous votre fenêtre, je me doutais déjà… Imaginez-vous que, cette nuit, lorsque Adèle est rentrée, j’ai entendu un pas d’homme avec le sien. Alors, j’ai voulu savoir, j’ai regardé dans l’escalier. Le particulier était déjà 5dau deuxième étage, mais j’ai bien reconnu la redingote de monsieur Lantier. Boche, qui faisait le guet
ce matin, l’a vu redescendre tranquillement… C’était avec Adèle, vous entendez! Virginie a maintenant un monsieur chez lequel elle va deux fois par semaine. Seulement, ce n’est guère propre tout de même, car elles n’ont qu’une chambre et une alcôve, et je ne sais pas trop où Virginie a pu coucher cette nuit.
Elle s’interrompit un instant, se retournant, reprenant de sa grosse voix étouffée:
– Elle rit de vous voir pleurer, cette sans-cœur
là-bas. Je mettrais ma main au feu que son savonnage est une frime… Elle a emballé les deux autres et elle est venue ici pour leur raconter la tête que vous feriez.
Gervaise ôta ses mains, regarda. Quand elle aperçut devant elle Virginie, au milieu de trois ou quatre femmes, parlant bas, la dévisageant,
se moquant, elle fut prise d’une colère folle. Les bras en avant, cherchant à terre, tournant sur elle-même, dans un tremblement de tous ses membres, elle marcha quelques pas, rencontra un seau plein, le prit à deux mains, le vida à toute volée.
Quoi! cria la grande Virginie.
Elle avait fait un saut en arrière, ses bottines seules étaient mouillées. Cependant
le lavoir, que les larmes de la jeune femme révolutionnaient depuis un instant, se bousculait pour voir la bataille. Des laveuses, qui achevaient leur pain, montèrent sur leurs baquets. D’autres accoururent, les mains pleines de savon. Un cercle se forma.
– Ah!
quoi! répétait la grande Virginie. Qu’est-ce qui lui prend, à cette enragée-là!
Gervaise
, en arrêt, le menton tendu, la face convulsée, ne répondait pas, n’ayant point encore le coup de gosier de Paris. L’autre continua:
– Va donc! C’est las de rouler la pro5evince, ça n’avait pas douze ans
….. ça a laissé une jambe dans son pays… Elle est tombée de pourriture, sa jambe…
Un rire courut. Virginie, voyant son succès, s’approcha de deux pas, redressant sa haute taille, criant plus fort
:
– Hein! avance un peu, pour voir, que je te fasse ton affaire! Tu sais, il ne faut pas venir nous embêter
ici…. Est-ce que je la connais, moi, cette peau! Si elle m’avait attrapée avec son seau, je lui aurais joliment retroussé ses jupons; vous auriez vu ça. Qu’elle dise seulement ce que je lui ai fait…. Dis, rouchie, qu’est-ce qu’on t’a fait?
– Ne causez pas tant, bégaya Gervaise. Vous savez bien… On a vu mon mari, hier soir… Et taisez-vous, parce que je vous étranglerais, bien sûr.
– Son mari! Ah! elle est bonne, celle-là!… Le mari à madame! comme si on avait des maris, avec cette
dégîane!… Ce n’est pas ma faute s’il t’a lâchée. Je ne te l’ai pas volé, peut-être. On peut me fouiller… Veux-tu que je te dise, tu l’empoisonnais, cet homme! Il était trop gentil pour toi… Avait-il son collier, au moins? Qui est-ce qui a trouvé le mari à madame?… Il y aura récompense…
Les rires recommencèrent. Gervaise, à voix presque basse, se contentait toujours de murmurer:
– Vous savez bien, vous savez bien… C’est votre sœur, je l’étranglerai, votre sœur…
– Oui, va te frotter à ma sœur, reprit Virginie en ricanant. Ah! c’est ma sœur! C’est bien possible, ma sœur a un autre chic que toi… Mais est-ce que ça me regarde! est-ce qu’on ne peut plus
venir laver son linge tranquillement! Flanque-moi la paix, entends-tu, parce qu’en voilà assez!
Et ce fut elle qui revint, après avoir donné
deux ou trois coups de battoir, grisée par les injures, emportée, ayant le be5fsoin de gueuler encore. Elle se tut et recommença ainsi trois fois.
– Eh bien! oui, c’est ma sœur.
, es-tu contente?… Ils s’adorent tous les deux. Il faut les voir se bécoter!… Et il t’a plantée là avec tes bâtards! De jolis mômes qui ont des croûtes plein la figure! Il y en a un d’un gendarme, n’est-ce pas? et tu en as fait crever trois autres, parce que tu ne voulais pas de surcroît de bagage pour venir. C’est ton Lantier qui nous a raconté ça. Ah! il en dit de belles, il en avait assez de ta carcasse
Gervaise hurla, hors d’elle, reprise par un tremblement furieux.
Elle tourna, chercha une fois encore
, par terre, et, ne trouvant que le petit baquet, elle le prit par les pieds, lança l’eau du bleu à la figure de Virginie.
– Rosse! elle m’a perdu ma robe! cria celle-ci, qui avait toute une épaule mouillée et sa main gauche teinte en bleu. Attends, gadoue!
À son tour, elle saisit un seau, le vida sur la jeune femme. Alors, une bataille formidable s’engagea. Elles couraient toutes deux le long des baquets, s’emparant des seaux pleins, revenant se les jeter à la tête. Et chaque déluge était accompagné d’un éclat de voix. Gervaise elle-même répondait, à présent.
– Tiens! saleté!… Tu l’as reçu celui-là. Ça te calmera
.
– Ah! la carne!
Voilà pour ta crasse. Débarbouille-toi une fois dans ta vie.
– Oui, oui, je vas te dessaler, grande morue!
– Encore un
… Rince-toi les dents, fais ta toilette pour ton quart de ce soir, au coin de la rue Belhomme.

19 AVRIL 1876

I
– Suite –

6aElles finirent par emplir les seaux aux robinets. Et, en attendant qu’ils fussent pleins, elles continuaient leurs ordures. Les premiers seaux, mal lancés, les touchaient à peine. Mais elles se faisaient la main. Ce fut Virginie qui, la première, en reçut un en pleine figure; l’eau
, entrant par son cou, coula dans son dos et dans sa gorge, pissa par dessous sa robe. Elle était encore tout étourdie, quand un second la prit de biais, lui donna une forte claque contre l’oreille gauche, en trempant son chignon, qui se déroula comme une ficelle. Gervaise fut d’abord atteinte aux jambes; un seau lui emplit ses souliers, rejaillit jusqu’à ses cuisses; deux autres, coup sur coup, l’inondèrent aux hanches. Bientôt, d’ailleurs, il ne fut plus possible de juger les coups. Elles étaient toutes les deux ruisselantes de la tête aux pieds, les corsages plaqués aux épaules, les jupes collant sur les reins, maigries, roidies, grelottantes, s’égouttant de tous les côtés, ainsi que des parapluies pendant une averse.
– Elles sont rien drôles! dit la voix enrouée d’une laveuse.
6bLe lavoir s’amusait énormément. On s’était reculé, pour ne pas recevoir les éclaboussures. Des applaudissements, des plaisanteries montaient, au milieu du bruit d’écluse des seaux vidés à toute volée. Par terre, des mares coulaient, les deux femmes pataugeaient jusqu’aux chevilles. Cependant, Virginie, ménageant une traîtrise, s’emparant brusquement d’un seau d’eau de lessive bouillante, qu’une de ses voisines avait laissé là, le jeta. Il y eut un cri. On crut Gervaise ébouillantée. Mais elle n’avait que le pied gauche brûlé légèrement. Et, de toutes ses forces, exaspérée par la douleur, sans le remplir
, cette fois, elle envoya son seau dans les jambes de Virginie, qui tomba.
Toutes les laveuses parlaient
à la fois.
– Elle lui a cassé une patte!
– Dame! l’autre a bien voulu la faire cuire!
– Elle a raison, après tout, la blonde, si on lui a pris son homme!
Mme Boche levait les bras au ciel, en s’exclamant. Elle s’était prudemment garée entre deux baquets; et les enfants, Claude et Étienne, pleurant, suffoquant, épouvantés, se pendaient à sa robe, avec ce cri continu: Maman! maman! qui se brisait dans leurs sanglots. Quand elle vit Virginie par terre, elle accourut, tirant Gervaise par ses jupes, répétant:
– Voyons, allez-vous-en! Soyez raisonnable…
. J’ai les sangs tournés, ma parole. On n’a jamais vu une tuerie pareille.
Mais elle recula, elle retourna se réfugier entre les deux baquets, avec les enfants. Virginie venait de sauter à la gorge de Gervaise. Elle la serrait au cou, tâchait de l’étrangler. Alors, celle-ci, d’une violente secousse, se dégagea,
la tira à son tour par la queue de son chignon qui pendait, comme si elle avait voulu lui arracher la tête. La bataille recommença, muette, sans un cri, sans une injure. Elles ne se prenaient pas corps à corps, s’attaquaient 6cà la figure, les mains ouvertes et crochues, pinçant, griffant ce qu’elles empoignaient. Le ruban rouge et le filet en chenille bleue de Virginie furent arrachés, son corsage, craqué au cou, montra sa peau, tout un bout d’épaule; tandis que Gervaise, déshabillée, une manche de sa camisole blanche ôtée sans qu’elle sût comment, avait un accroc à sa chemise qui découvrait le pli nu de sa taille. Des lambeaux d’étoffe volaient. D’abord ce fut sur la blonde que le sang parut, trois longues égratigures descendant de la bouche sous le menton; elle eut aussi le dos criblé de coups d’ongle, des taches roses dans le duvet doré de sa nuque; et elle garantissait ses yeux, les fermant à chaque claque, de peur d’être éborgnée. La grande brune ne saignait pas encore. L’autre visait ses oreilles, s’enrageait de ne pouvoir les prendre; elle lui avait à trois reprises labouré les tempes, quand elle saisit enfin la boucle de l’oreille droite, une poire de verre jaune; elle tira, fendit l’oreille; le sang coula. Virginie eut une plainte sourde, se baissa, la serra aux cuisses, lui mangea les genoux à travers sa jupe. Mais Gervaise la tenait de nouveau par la queue de son chignon, elle l’attirait à elle, enfonçait sa bouche dans ses cheveux, lui mordait le crâne. Toutes deux, par terre, se dévoraient, avec des grognements.
– Elles se tuent! séparez-les, ces guenons! dirent plusieurs voix.
Les laveuses s’étaient rapprochées. Il se formait deux camps: les unes excitaient les deux femmes comme des chiennes qui se battent; les autres, plus nerveuses, toutes tremblantes, tournaient la tête, en avaient assez, répétaient qu’elles en seraient malades, bien sûr. Et une bataille générale faillit avoir lieu; on se traitait de sans
cœur, de propre à rien; des bras nus se tendaient; trois claques retentirent.
Madame Boche, pourtant, cherchait le garçon du lavoir.
– Charles! Charles!… Où est-il donc?
6dEt elle le trouva au premier rang, regardant, les bras croisés. C’était un grand gaillard, à cou énorme. Il riait, il jouissait des morceaux de peau que les deux femmes montraient. La petite blonde était grasse comme une caille. Ça serait farce, si sa chemise se fendait.
– Tiens! murmura-t-il en clignant un œil, elle a une fraise sous le bras.
– Comment! vous êtes là! cria madame Boche en l’apercevant. Mais aidez-nous donc à les séparer
… Vous pouvez bien les séparer, vous!
– Ah bien! non, merci! s’il n’y a que moi! dit-il tranquillement. Pour me faire griffer l’œil comme l’autre jour, n’est-ce pas?… Je ne suis pas ici pour ça, j’aurais trop de besogne… N’ayez pas peur, allez! Ça leur fait du bien, une petite saignée. Ça les attendrit.
La concierge parla alors d’aller avertir les sergents de ville. Mais la maîtresse du lavoir, la jeune femme délicate, aux yeux malades, s’y opposa formellement. Elle répéta à plusieurs reprises:
– Non, non, je ne veux pas, ça compromet la maison.
Par terre, la lutte continuait. Tout d’un coup, Virginie se redressa sur les genoux. Elle venait de ramasser un battoir, elle le brandissait. Elle râlait, la voix changée
.
– Voilà du chien, attends! Apprête ton linge sale!
Gervaise, vivement, allongea la main, prit également un battoir, le tint levé comme une massue. Et elle avait, elle aussi, une voix rauque.
– Ah! tu veux la grande lessive… Donne ta peau que j’en fasse des torchons
.
Un moment, elles restèrent là, agenouillées, à se menacer. Les cheveux dans la face, la poitrine soufflante, boueuses,
rouges, tuméfiées, elles se guettaient, attendant, reprenant haleine. Gervaise porta le premier coup; son battoir tomba sourdement sur l’épaule de Virginie.
6ePuis
elle se jeta de côté pour éviter le battoir de celle-ci, et fut effleurée à la hanche. Alors, mises en train, elles se tapèrent comme les laveuses tapent leur linge, à coups réguliers, frappés en cadence. Quand elles se touchaient, le coup s’amortissait, on aurait dit une claque dans un baquet d’eau. Elles avaient un soupir, une plainte involontaire, et c’était tout, elles s’acharnaient, ne sentant pas les meurtrissures. D’ailleurs, jusque là, elles ne s’étaient fait aucune blessure grave. Autour d’elles, les blanchisseuses ne riaient plus; plusieurs s’en étaient allées, en disant que ça leur cassait l’estomac; les autres, celles qui restaient, allongeaient le cou, les yeux allumés d’une lueur de cruauté, trouvant ces gaillardes-là très crânes. Madame Boche avait emmené Claude et Étienne; et l’on entendait, à l’autre bout, l’éclat de leurs sanglots mêlé au claquement des deux battoirs.
Mais Gervaise, brusquement, hurla. Virginie venait de l’atteindre à toute volée sur son bras nu, au-dessus du coude; une
large plaque rouge parut, la chair enfla tout de suite. Alors, elle se rua. On crut qu’elle voulait assommer l’autre.
– Assez! assez! criait-on.
Elle avait un visage si terrible, que personne n’osa approcher. Les forces décuplées, elle saisit Virginie par la taille, la plia, lui colla la figure sur les dalles, les reins en l’air; et, malgré les secousses, elle lui releva
ses jupes, largement. Dessous, il y avait un pantalon. Elle passa la main dans la fente, l’arracha, montra tout, les cuisses nues, les fesses nues. Puis, le battoir levé, elle se mit à battre, comme elle battait autrefois à Plassans, au bord de la Viorne, quand sa patronne lavait le linge de la garnison. Le bois mollissait dans les chairs, avait un bruit mouillé. À chaque claque, une bande rouge marbrait la peau blanche.
6fOh! oh! murmurait le garçon Charles, émerveillé, les yeux agrandis.
Des rires, de nouveau, avaient couru. Mais bientôt le cri: Assez! assez!
assez! recommença. Gervaise n’entendait pas, ne se lassait pas. Elle regardait sa besogne, penchée, préoccupée de ne pas laisser une place intacte. Elle voulait toute cette peau battue, couverte de confusion. Et elle causait, prise d’une gaieté féroce, se rappelant une chanson de lavandière:
– Pan! pan! Margot au lavoir… Pan! pan! à coups de battoir… Pan! pan! va laver son cœur… Pan! pan! tout noir de douleur…
Et elle reprenait:
– Ça c’est pour toi, ça c’est pour ta sœur, ça c’est pour Lantier… Quand tu les verras, tu leur donneras ça… Attention! je recommence. Ça c’est pour Lantier, ça c’est pour ta sœur, ça c’est pour toi
. Pan! pan! Margot au lavoir… Pan! pan! à coups de battoir…
On dut lui arracher Virginie des mains. La grande brune, la figure en larmes, pourpre, confuse, reprit son linge, se sauva; elle était vaincue. Cependant, Gervaise repassait la manche de sa camisole, rattachait ses jupes. Son bras la faisait souffrir, et elle pria
Mme Boche de lui mettre son linge sur l’épaule. La concierge racontait la bataille, disait ses émotions, parlait de lui visiter le corps, pour voir.
– Vous avez peut-être bien quelque chose de cassé… J’ai entendu un coup…
Mais la jeune femme voulait s’en aller. Elle ne répondait pas aux apitoiements, à l’ovation bavarde des laveuses qui l’entouraient, droites dans leurs
jupes pendantes, les mains sous leurs tabliers. Quand elle fut chargée, elle gagna la porte, où ses enfants l’attendaient.

20 AVRIL 1876

I
– Suite –

7aC’est deux heures, ça fait deux sous, lui dit en l’arrêtant la maîtresse du lavoir, déjà réinstallée dans son cabinet vitré.
Pourquoi deux sous? Elle ne comprenait plus qu’on lui demandait le prix de sa place. Puis
elle donna ses deux sous. Et, boitant fortement sous le poids du linge mouillé pendu à son épaule, ruisselante, le coude bleui, la joue en sang, elle s’en alla, en traînant de ses bras nus Étienne et Claude, qui trottaient à ses côtés, secoués encore et barbouillés de leurs sanglots.
Derrière elle, le lavoir reprenait son bruit énorme d’écluse. Les laveuses avaient mangé leur pain, bu leur vin, et elles tapaient plus dur, les faces allumées, égayées par le
«coup de torchon» de Gervaise et de Virginie. Le long des baquets de nouveau s’agitaient une fureur de bras, des profils anguleux de longues marionnettes aux reins cassés, aux épaules déjetées, se pliant violemment comme sur des charnières. Des conversations continuaient d’un bout à l’autre des allées. Les voix, les rires, les mots gras se fêlaient dans le grand gargouillement de l’eau. Les robinets crachaient, les seaux jetaient des flaquées, une rivière coulait sous les batteries. C’était le chien de l’après-midi, le linge 7bpilé à coups de battoir. Dans l’immense salle, les fumées devenaient rousses, trouées seulement par des ronds de soleil, des balles d’or, que les déchirures des stores laissaient passer. On respirait l’étouffement tiède des odeurs savonneuses. Tout d’un coup, le hangar s’emplit d’une buée blanche; l’énorme couvercle du cuvier où bouillait la lessive montait mécaniquement le long d’une tige centrale à crémaillère, et le trou béant du cuivre, au fond de sa maçonnerie de briques, exhalait des tourbillons de vapeurs d’une saveur sucrée de potasse. Cependant, à côté, les essoreuses fonctionnaient; des paquets de linge, dans des cylindres de fonte, rendaient leur eau sous un tour de roue de la machine, haletante, fumante, secouant plus rudement le lavoir de la besogne continue de ses bras d’acier.
Quand Gervaise mit le pied dans l’allée de l’hôtel Boncœur, les larmes
l’étouffèrent de nouveau. C’était une allée noire, étroite, avec un ruisseau longeant le mur, pour les eaux sales; et cette puanteur qu’elle retrouvait lui faisait songer aux quinze jours passés là avec Lantier, quinze jours de misère et de querelles, dont le souvenir, à cette heure, était un regret cuisant. Il lui sembla entrer dans son abandon.
En haut, la chambre était nue, pleine de soleil, la fenêtre ouverte. Ce coup de soleil, cette nappe de poussière d’or dansante, rendait lamentables le plafond noir, les murs au papier arraché. Il n’y avait plus, à un clou de la cheminée, qu’un petit fichu de femme, tordu comme une ficelle. Le lit des enfants, tiré au milieu de la pièce, découvrait la commode, dont les tiroirs laissés ouverts montraient leurs flancs vides. Lantier s’était lavé et avait achevé la pommade, deux sous de pommade dans une carte à jouer; l’eau grasse de ses mains emplissait
encore la cuvette. Et il n’avait rien oublié, le coin occupé jusque-là par la malle paraissait à Gervaise faire un trou immense. Elle ne retrouva même pas le 7cpetit miroir rond, accroché à l’espagnolette. Alors, elle eut un pressentiment, elle regarda sur la cheminée: Lantier avait emporté les reconnaissances, le paquet rose tendre n’était plus là, entre les flambeaux de zinc dépareillés. Elle pendit son linge au dossier d’une chaise, elle demeura debout, tournant, examinant les meubles, frappée d’une telle stupeur que ses larmes ne coulaient plus.
Il lui restait un sou sur les quatre sous gardés pour le lavoir. Puis, entendant rire à la fenêtre Étienne et Claude, déjà consolés, elle s’approcha, prit leurs têtes sous ses bras, s’oublia un instant devant cette chaussée grise où elle avait vu le matin s’éveiller le peuple ouvrier, le travail géant de Paris. À cette heure, le pavé échauffé par les besognes du jour allumait une réverbération ardente au-dessus de la ville, derrière le mur de l’octroi. C’était sur ce pavé, dans cet air de fournaise, qu’on la jetait toute seule avec les petits; et elle enfila d’un regard les boulevards extérieurs à droite, à gauche, s’arrêtant, aux deux bouts, prise d’une épouvante sourde, comme si sa vie, désormais, allait tenir là, entre un abattoir et un hôpital.

II

Trois semaines plus tard, vers onze heures et demie, un jour de beau soleil, Gervaise et Coupeau, l’ouvrier zingueur, mangeaient
une prune à l’eau-de-vie, à l’Assommoir du père Colombe, rue des Poissonniers. Coupeau, qui fumait une cigarette sur le trottoir, l’avait forcée à entrer, comme elle traversait la rue, revenant de porter du linge, et son grand panier carré de blanchisseuse était par terre, à côté d’elle, derrière la petite table de zinc.
L’Assommoir du père Colombe se trouvait au coin de la rue
et du boulevard de Rochechouart. L’enseigne portait, en longues lettres bleues, le seul mot: Distillation, 7dd’un bout à l’autre. Il y avait à la porte, dans deux moitiés de futaille, des lauriers-roses poussiéreux. Le comptoir énorme, avec ses files de verre, sa fontaine et ses mesures d’étain, s’allongeait à gauche en entrant: et la vaste salle, tout autour, était ornée de gros tonneaux peints en jaune clair, miroitants de vernis, dont les cercles et les cannelles de cuivre luisaient. Plus haut, sur des étagères, des bouteilles de liqueurs, des bocaux de fruits, toutes sortes de fioles en bon ordre, cachaient les murs, reflétaient dans la glace, derrière le comptoir, leurs taches vives, vert pomme, or pâle, laque tendre. Mais la curiosité de la maison était au fond, de l’autre côté d’une barrière de chêne, dans une cour vitrée, l’appareil à distiller que les consommateurs voyaient fonctionner, des alambics aux longs cols, des serpentins descendant sous terre, une cuisine du diable devant laquelle venaient rêver les ouvriers soulards.
À cette heure du déjeuner, l’Assommoir restait vide. Un gros homme de quarante ans, le père Colombe, en gilet à manches, servait une petite fille d’une dizaine d’années
qui lui demandait quatre sous de goutte dans une tasse. Une nappe de soleil entrait par la porte, chauffait le parquet toujours humide des crachats des fumeurs. Et, du comptoir, des tonneaux, de toute la salle, montait une odeur liquoreuse, une fumée d’alcool qui semblait épaissir et griser les poussières dansantes du soleil.
Cependant
Coupeau roulait une nouvelle cigarette. Il était très propre, avec un bourgeron et une petite casquette de toile bleue, riant, montrant ses dents blanches. La mâchoire inférieure un peu prédominante, le nez légèrement écrasé, il avait de beaux yeux marron, la face d’un chien joyeux et bon enfant. Sa grosse chevelure frisée se tenait tout debout. Il gardait la peau encore tendre de ses vingt-six ans. En face de lui, Gervaise, en caraco d’or7eléans noir, la tête nue, achevait de manger sa prune, qu’elle tenait par la queue, du bout des doigts. Ils étaient près de la rue, à la première des quatre tables rangées le long des tonneaux, devant le comptoir.
Lorsque le zingueur eut allumé sa cigarette, il posa les coudes sur la table, avança la face, regarda un instant sans parler la jeune femme, dont le joli visage de blonde avait
ce jour-là une transparence lacteuse de fine porcelaine. Puis, faisant allusion à une affaire connue d’eux seuls, débattue déjà, il demanda simplement, à demi-voix:
– Alors, non? vous dites non?
– Oh! bien sûr, non, monsieur Coupeau, répondit tranquillement Gervaise souriante. Vous n’allez peut-être pas me parler de ça ici. Vous m’aviez promis pourtant d’être raisonnable… Si j’avais su, j’aurais refusé votre consommation.
Il ne reprit pas la parole, continua à la regarder, de tout près, avec une
tendreese hardie et qui s’offrait, passionné surtout pour les coins de ses lèvres, de petits coins noirs d’un rose pâle, un peu mouillé, laissant voir le rouge vif de la bouche, quand elle souriait. Elle, pourtant, ne se reculait pas, demeurait placide et affectueuse. Au bout d’un silence, elle dit encore:
– Vous n’y songez pas, vraiment. Je suis une vieille femme, moi; j’ai un grand garçon de huit ans… Qu’est-ce que nous ferions ensemble?
– Pardi! murmura Coupeau en clignant les yeux, ce que font les autres!
Mais elle eut un geste d’ennui.
– Ah! si vous croyez que c’est toujours amusant? On voit bien que vous n’avez pas été en ménage… Non, monsieur Coupeau, il faut que je pense aux choses sérieuses. La rigolade, ça ne mène à rien, entendez-vous
. J’ai deux bouches à la maison, et qui avalent ferme, allez! Comment voulez-vous que j’arrive à élever mon petit monde, si je m’amuse à la bagatelle?… Et puis, écou7ftez, mon malheur a été une fameuse leçon. Vous savez, les hommes maintenant, ça ne fait plus mon affaire. On ne me repincera pas de longtemps.
Elle s’expliquait sans colère, avec une grande sagesse, très
froide, comme si elle avait traité une question d’ouvrage, les raisons qui l’empêchaient de passer un corps de fichu à l’empois. On voyait qu’elle avait arrêté ça dans sa tête, après de mûres réflexions.
Coupeau, attendri, répétait:
– Vous me
faites bien de la peine, bien de la peine…
– Oui, c’est ce que je vois, reprit-elle, et j’en suis fâchée pour vous, monsieur Coupeau… Il ne faut pas que ça vous blesse. Si j’avais des idées à rire, mon Dieu
, ça serait encore plutôt avec vous qu’avec un autre, Vous avez l’air bon garçon, vous êtes gentil. On se mettrait ensemble, n’est-ce pas? et on irait tant qu’on irait. Je ne fais pas ma princesse, je ne dis point que ça n’aurait pas pu arriver… Seulement à quoi bon, puisque je n’en ai pas envie? Me voilà chez Mme Fauconnier depuis quinze jours. Les petits vont à l’école. Je travaille, je suis contente… Hein, le mieux alors est de rester comme on est.
Et elle se baissa pour prendre son panier.
– Vous me faites causer, on doit m’attendre chez la patronne… Vous en trouverez une autre, allez
, monsieur Coupeau, plus jolie que moi, et qui n’aura pas deux marmots à traîner.
Il regardait l’œil-de-bœuf, encadré dans la glace
; il la fit rasseoir, en criant:
– Attendez donc!
II n’est que onze heures trente-cinq. J’ai encore vingt-cinq minutes… Vous ne craignez pourtant pas que je fasse des bêtises; il y a la table entre nous… Alors, vous me détestez, au point même de ne pas vouloir faire un bout de causette.

22 AVRIL 1876

II
– Suite –

8aElle posa de nouveau son panier, pour ne pas le désobliger; et ils parlèrent en bons amis. Elle avait mangé, avant d’aller porter son linge; lui, ce jour-là, s’était dépêché d’avaler sa soupe et son bœuf, pour venir la guetter. Gervaise, tout en répondant avec complaisance, regardait par les vitres, entre les bocaux de fruits à l’eau-de-vie, le mouvement de la rue, où l’heure du
déjeûner mettait un écrasement de foule extraordinaire. Sur les deux trottoirs, dans l’étranglement étroit des maisons, c’était une hâte de pas, des faces tendues, des bras ballants, un coudoiement sans fin. Les retardataires, des ouvriers retenus au travail, la mine maussade de faim, coupaient la chaussée, à grandes enjambées, entraient en face chez un boulanger; et, lorsqu’ils reparaissaient, une livre de pain sous le bras, ils allaient trois portes plus haut, au Veau à deux têtes, manger un ordinaire de six sous. Il y avait aussi, à côté du boulanger, une fruitière qui vendait des pommes de terre frites et des moules au persil, un défilé continu d’ouvrières, en longs tabliers, emportaient des cornets de pommes de terre et des moules dans des bols; d’autres, de jolies filles en cheveux, l’air délicat, achetaient des bottes de radis. Quand Gervaise se penchait, elle apercevait encore une boutique de charcutier, 8bpleine de monde, d’où sortaient des enfants tenant sur leur main, enveloppé d’un papier gras, une côtelette panée, une saucisse ou un bout de boudin tout chauds. Cependant, le long de la chaussée, toujours poissée d’une boue noire, même par les beaux temps, dans le piétinement de la foule en marche, quelques ouvriers quittaient déjà les gargottes, descendaient en bandes, flânant, les mains ouvertes battant les cuisses, lourds de nourriture, tranquilles et lents au milieu des bousculades de la cohue.
Un groupe s’était formé à la porte de l’Assommoir.
– Dis
-donc, Bibi-la-Gaillarde, demanda une voix enrouée, est-ce que tu paies une tournée de vitriol?
Cinq ouvriers entrèrent, se tinrent debout.
– Ah! ce voleur de père Colombe! reprit la voix. Vous savez, il nous faut de la vieille, et pas
de coquilles de noix, de vrais verres!
Le père Colombe, paisiblement, servait. Une autre société de trois ouvriers arriva. Peu à peu, les blouses s’amassaient à l’angle du trottoir, faisaient là une courte station, finissaient par se pousser dans la salle, entre les deux lauriers-roses gris de poussière.
– Vous êtes bête! vous ne songez qu’à la saleté! disait Gervaise à Coupeau. Sans doute que je l’aimais… Seulement, après la façon dégoûtante dont il m’a lâchée…
Ils parlaient de Lantier. Gervaise ne l’avait pas revu; elle croyait qu’il vivait avec la sœur de Virginie, à la Glacière, chez cet ami qui devait monter une fabrique de chapeaux. D’ailleurs, elle ne songeait
pas à courir après lui. Ça lui avait d’abord fait une grosse peine; elle voulait aller se jeter à l’eau; mais, à présent, elle s’était raisonnée, tout se trouvait pour le mieux. Peut-être qu’avec Lantier elle n’aurait pas pu élever les enfants, tant il mangeait d’argent. Il pouvait venir embrasser 8cles petits, elle ne le flanquerait pas à la porte. Seulement, pour elle, elle se laisserait hacher en morceaux avant de se remettre avec lui. Et elle disait ces choses en femme résolue, ayant son plan de vie bien arrêté, tandis que Coupeau, qui ne lâchait pas son désir de l’avoir, plaisantait, tournait tout à l’ordure, lui faisait sur Lantier des questions très crues, si gaiement, avec des dents si blanches, qu’elle ne pensait pas à se blesser.
– C’est vous qui le battiez, dit-il enfin. Oh! vous n’êtes pas bonne! Vous donnez le fouet au monde

Elle l’interrompit par un long rire. C’était vrai, pourtant, elle avait donné le fouet à cette grande carcasse de Virginie. Ce jour-là, elle aurait étranglé quelqu’un de bien bon cœur. Et elle se mit à rire plus fort, parce que Coupeau lui racontait que Virginie, désolée d’avoir tout montré, venait de quitter le quartier. Son visage, pourtant, gardait une douceur enfantine; elle avançait ses mains potelées, en répétant qu’elle n’écraserait pas une mouche; elle ne connaissait les coups que pour en avoir déjà joliment reçu dans sa vie. Alors
elle en vint à parler de son enfance, à Plassans.
Elle n’était point coureuse du tout; les hommes l’ennuyaient; quand Lantier l’avait prise à quatorze ans, elle trouvait ça gentil, parce qu’il se disait son mari et qu’elle croyait jouer au ménage. Son seul défaut, assurait-elle, était d’être très-sensible, d’aimer tout le monde, de se passionner pour des gens qui lui faisaient ensuite mille misères. Ainsi, quand elle aimait un homme, elle ne songeait pas aux bêtises, elle rêvait uniquement de vivre toujours ensemble, très-heureux. Et, comme Coupeau ricanait, lui parlait de ses deux enfants qu’elle n’avait certainement pas mis couver sous le traversin, elle lui allongea des tapes sur les doigts, elle ajouta que bien sûr elle était bâtie sur le patron des autres fem8dmes; seulement, on avait tort de croire les femmes toujours acharnées après ça; les femmes songeaient à leur ménage, se coupaient en quatre dans la maison, se couchaient trop lasses le soir pour ne pas dormir tout de suite.
Elle, d’ailleurs, ressemblait à sa mère, une grosse travailleuse, morte à la peine, qui avait servi de bête de somme au père Macquart pendant plus de vingt ans. Elle était encore toute mince, tandis que sa mère avait des épaules à démolir les portes en passant; mais ça n’empêchait pas, elle lui ressemblait par sa rage de s’attacher aux gens. Même, si elle boitait un peu, elle tenait ça de la pauvre femme, que le père Macquart rouait de coups; vingt fois, celle-ci lui avait raconté les nuits où le père, rentrant soûl, se montrait d’une galanterie si brutale, qu’il lui cassait les membres; et, sûrement, elle était poussée une de ces nuits-là, avec sa jambe en retard.
– Oh! ce n’est presque rien, ça ne se voit pas, dit Coupeau pour faire sa cour.
Elle hocha le menton; elle savait bien que ça se voyait; à quarante ans, elle se casserait en deux. Puis, doucement, avec un léger rire:
– Vous avez un drôle de goût d’aimer une boiteuse.
Alors, lui, les coudes toujours sur la table, avançant la face davantage, la complimenta
, en risquant les mots, comme pour la griser. Mais elle disait toujours non de la tête, sans se laisser tenter, caressée pourtant par cette voix câline. Elle écoutait, les regards dehors, paraissant s’intéresser de nouveau à la foule croissante. Maintenant, dans les boutiques vides, on donnait un coup de balai; la fruitière retirait sa dernière poêlée de pommes de terre frites, tandis que le charcutier remettait en ordre les assiettes débandées de son comptoir. De tous les gargots, des bandes d’ouvriers sortaient; des gaillards barbus se pous8esaient d’une claque, jouaient comme des gamins, avec le tapage de leurs gros souliers ferrés, écorchant le pavé dans une glissade; d’autres, les deux mains au fond de leurs poches, fumaient, d’un air réfléchi, les yeux au soleil, les paupières clignotantes.
C’était un envahissement du trottoir, de la chaussée, des ruisseaux, un flot paresseux coulant des portes ouvertes, s’arrêtant au milieu des voitures, faisant une traînée de blouses, de bourgerons et de vieux paletots, toute pâlie et déteinte sous la nappe de lumière blonde qui enfilait la rue. Au loin, des cloches d’usines sonnaient; et les ouvriers ne se pressaient pas, rallumaient des pipes; puis, le dos arrondi, après s’être appelés d’un marchand de vin à l’autre, certains se décidaient à reprendre le chemin de l’atelier, en traînant les pieds. Gervaise s’amusa à suivre trois ouvriers, un grand et deux petits, qui se retournaient tous les dix pas; ils finirent par descendre la rue, ils vinrent droit à l’Assommoir du père Colombe.
– Ah bien! murmura-t-elle, en voilà trois qui ont un fameux poil dans la main!
– Tiens, dit Coupeau, je le connais, le grand; c’est Mes-Bottes, un camarade.
L’Assommoir s’était empli. On parlait très
fort, avec des éclats de voix qui déchiraient tout d’un coup le murmure gras des enrouements. Des coups de poings sur le comptoir, par moments, faisaient tinter les verres. Tous debout, les mains croisées sur le ventre ou rejetées derrière le dos, les buveurs formaient de petits groupes, serrés les uns contre les autres; et il y avait des sociétés, près des tonneaux, qui devaient attendre un quart d’heure, avant de pouvoir commander leurs tournées au père Colombe.
– Comment! c’est cet aristo de Cadet-Cassis! cria Mes-Bottes
en appliquant une rude tape sur l’épaule de Coupeau. Un joli monsieur qui fume du papier et qui a du 8flinge!… On veut donc épater sa connaissance, on lui paie des douceurs!
– Hein! ne m’embête pas! répondit Coupeau, très
contrarié.
Mais l’autre ricanait.
– Suffit! on est à la hauteur, mon bonhomme… Les mufes sont des mufes, voilà!
Il tourna le dos, après avoir louché terriblement, en regardant Gervaise. Celle-ci se reculait, un peu effrayée. La fumée des pipes, l’odeur forte de tous ces hommes, montaient dans l’air chargé d’alcool; et elle étouffait, prise d’une petite toux.
– Oh! c’est vilain de boire! dit-elle à demi-voix.
Et elle raconta qu’autrefois, avec sa mère, elle buvait de l’anisette, à Plassans. Mais elle avait failli en mourir un jour, et ça l’avait dégoûtée
: elle ne pouvait plus voir les liqueurs.
– Tenez, ajouta-t-elle en montrant son verre, j’ai mangé ma prune; seulement, je laisserai la sauce, parce que ça me ferait du mal.
Coupeau, lui aussi, ne comprenait pas qu’on pût avaler de pleins verres d’eau-de-vie. Une prune par ci par là, ça n’était pas mauvais. Quant au vitriol, à l’absinthe et aux autres cochonneries, bonsoir! il n’en fallait pas. Les camarades avaient beau le blaguer, il restait à la porte
lorsque ces cheulards-là entraient à la mine à poivre. Le papa Coupeau, qui était zingueur comme lui, s’était écrabouillé la tête sur le pavé de la rue Coquenard, en tombant, un jour de ribotte, de la gouttière du n°25; et ce souvenir-là, dans la famille, les rendait tous sages. Lui, lorsqu’il passait rue Coquenard et qu’il voyait la place, il aurait plutôt bu l’eau du ruisseau que d’avaler un canon gratis chez le marchand de vin. Il conclut par cette phrase:
– Dans notre métier, il faut des jambes solides.


23 AVRIL 1876

II
– Suite –

9aGervaise avait repris son panier. Elle ne se levait pourtant pas, le tenait sur ses genoux, les regards perdus, rêvant, comme si les paroles du jeune ouvrier éveillaient en elle des pensées lointaines d’existence. Et elle dit encore, lentement, sans transition apparente:
– Mon Dieu! je ne suis pas ambitieuse, je ne demande pas grand’chose… Mon idéal,
ça serait de travailler tranquille, de manger toujours du pain, d’avoir un trou un peu propre pour dormir, vous savez, un lit, une table et deux chaises, pas davantage… Ah! je voudrais aussi élever mes enfants, en faire de bons sujets, si c’était possible… Il y a encore un idéal, ce serait de ne pas être battue, si je me remettais jamais en ménage; non, ça ne me plairait pas d’être battue… Et c’est tout, vous voyez, c’est tout…
Elle cherchait, interrogeait ses désirs, ne trouvait plus rien de sérieux qui la tentât.
Pourtant, elle reprit, après avoir hésité:
– Oui, on peut à la fin avoir le désir de mourir dans son lit… Moi, après avoir bien trimé toute ma vie, je mourrais volontiers dans mon lit, chez moi.
Et elle se leva. Coupeau, qui approuvait vivement ses souhaits, était déjà debout, s’inquiétant de l’heure. Mais ils ne sortirent pas tout de suite; elle eut la curiosité 9bd’aller regarder, au fond, derrière la barrière de chêne, le grand alambic de cuivre rouge, qui fonctionnait sous le vitrage clair de la petite cour; et le zingueur, qui l’avait suivie, lui expliqua comment ça marchait, indiquant du doigt les différentes pièces de l’appareil, montrant l’énorme cornue
où tombait un filet limpide d’alcool. L’alambic, avec ses récipients de forme étrange, ses enroulements sans fin de tuyaux, gardait une mine sombre; pas une fumée ne s’échappait; à peine entendait-on un souffle intérieur, un ronflement souterrain; c’était comme une besogne de nuit faite en plein jour, par un travailleur morne, puissant et muet. Cependant, Mes-Bottes, accompagné de ses deux camarades, était venu s’accouder sur la barrière, en attendant qu’un coin du comptoir fût libre. Il avait un rire de poulie mal graissée, hochant la tête, les yeux attendris, fixés sur la machine à saoûler. Tonnerre de Dieu! elle était bien gentille! II y avait, dans ce gros bedon de cuivre, de quoi se tenir le gosier au frais pendant huit jours. Lui, aurait voulu qu’on lui soudât le bout du serpentin entre les dents, pour sentir le vitriol, encore chaud, l’emplir, lui descendre jusqu’aux talons, toujours, toujours, comme un petit ruisseau.
Dame! il ne se serait plus dérangé, ça aurait joliment remplacé les dés à coudre de ce roussin de père Colombe! Et les camarades ricanaient, disaient que cet animal de Mes-Bottes avait un fichu grelot, tout de même. L’alambic, sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d’alcool, pareil à une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de Paris. Alors, Gervaise, prise d’un frisson, recula; et elle tâchait de sourire, en murmurant:
– C’est bête, ça me fait froid, cette ma9cchine…
.. la boisson me fait froid…..
Puis, revenant sur l’idée qu’elle caressait d’un bonheur parfait:
– Hein? n’est-ce pas? ça vaudrait bien mieux: travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, mourir dans son lit

– Et ne pas être battue, ajouta Coupeau
gaîment. Mais je ne vous battrais pas, moi, si vous vouliez, madame Gervaise… Il n’y a pas de crainte, je ne bois jamais, puis je vous aime trop… Voyons, c’est pour ce soir, nous nous chaufferons les petons.
Il avait baissé la voix, il lui parlait dans le cou, tandis qu’elle s’ouvrait un chemin, son panier en avant, au milieu des hommes. Mais elle dit encore non, de la tête, à plusieurs reprises. Pourtant
elle se retournait, lui souriait, semblait heureuse de savoir qu’il ne buvait pas. Bien sûr, elle lui aurait dit oui si elle ne s’était pas juré de ne point se remettre avec un homme. Enfin, ils gagnèrent la porte, ils sortirent. Derrière eux, l’Assommoir restait plein, soufflant jusqu’à la rue le bruit des voix enrouées et l’odeur liquoreuse des tournées de vitriol. On entendait Mes-Bottes traiter le père Colombe de fripouille, en l’accusait de n’avoir rempli son verre qu’à moitié; lui, était un bon, un chouette, un d’attaque. Ah! zut! le singe pouvait se fouiller, il ne retournait pas à la boîte, il avait la flemme. Et il proposait aux deux camarades d’aller au Petit bonhomme qui tousse, une mine à poivre de la barrière Saint-Denis, où l’on buvait du chien tout pur.
– Ah! on respire, dit Gervaise
sur le trottoir. Eh bien! adieu, et merci bien, monsieur Coupeau… Je rentre vite.
Elle allait suivre le boulevard. Mais il lui avait pris la main, il ne la lâchait pas, répétant:
– Faites donc le tour avec moi, passez par la rue de la Goutte-d’Or, ça ne vous allonge guère… Il faut que j’aille chez ma sœur, avant de retourner au chantier.… 9dNous nous accompagnerons.
Elle finit par accepter, et ils montèrent lentement la rue des Poissonniers, côte à côte, sans se donner le bras. Il lui parlait de sa famille. La mère, maman Coupeau, une ancienne giletière, faisait des ménages, à cause de ses yeux qui s’en allaient. Elle avait eu ses soixante-deux ans
le trois du mois dernier. Lui, était le plus jeune de la nichée. L’une de ses sœurs, Mme Lerat, une veuve de 36 ans, travaillait dans les fleurs et habitait la rue des Moines aux Batignolles. L’autre, âgée de trente ans et quatre mois, avait épousé un chaîniste, ce pince-sans-rire de Lorilleux. C’était chez celle-là qu’il allait, rue de la Goutte-d’Or. Elle logeait dans la grande maison, à gauche, la maison à la haute porte ronde. Le soir, il mangeait la pot-bouille chez les Lorilleux; c’était une économie pour tous les trois. Même, il passait chez eux les avertir de ne pas l’attendre, parce qu’il était invité ce jour-là par un ami.
Gervaise, qui l’écoutait, lui coupa brusquement la parole pour lui demander en souriant:
– Vous vous appelez donc Cadet-Cassis, monsieur Coupeau?
– Oh! répondit-il, c’est un surnom que les camarades m’ont donné, parce que je prends généralement du cassis, quand ils m’emmènent de force chez le marchand de vin… Autant s’appeler Cadet-Cassis que Mes-Bottes, n’est-ce pas?
– Bien sûr, ce n’est pas vilain
, Cadet-Cassis, déclara la jeune femme.
Et elle l’interrogea sur son travail. Il travaillait toujours là, derrière le mur de l’octroi, au nouvel hôpital. Oh! la besogne ne manquait pas, il ne quitterait certainement pas ce chantier de l’année. Il y en avait des mètres et des mètres de gouttières!
– Vous savez, dit-il, je vois l’hôtel Boncœur, quand je suis là-haut… Hier, vous étiez à la fenêtre, j’ai fait aller les bras, mais vous
vous ne m’avez pas aperçu.
9eCependant
ils s’étaient déjà engagés d’une centaine de pas dans la rue de la Goutte-d’Or, lorsqu’il s’arrêta, levant les yeux, disant:
– Voilà la maison… Moi, je suis né plus loin, au 22… Mais cette maison-là, tout de même, fait un joli tas de maçonnerie! C’est grand comme une caserne, là-dedans!
Gervaise haussait le menton, examinait la façade. Sur la rue,
il n’y avait que cinq étages, alignant chacun à la file quinze fenêtres, dont les persiennes noires, aux lames cassées, donnaient un air de ruine à cet immense pan de muraille. En bas, quatre boutiques occupaient le rez-de-chaussée: à droite de la porte, une vaste salle de gargote graisseuse; à gauche, un charbonnier, un mercier et un marchand de parapluies. La maison paraissait d’autant plus colossale qu’elle s’élevait entre deux petites constructions basses, chétives, collées contre elle; et, carrée, pareille à un bloc de mortier gâché grossièrement, se pourrissant et s’émiettant sous la pluie, elle profilait sur le ciel clair, au-dessus des toits voisins, son énorme cube brut, ses flancs non crépis, couleur de boue, d’une nudité interminable de murs de prison, où des rangées de pierres d’attente semblaient des mâchoires caduques, bâillant dans le vide.
Mais Gervaise regardait surtout la porte, une immense porte ronde, s’élevant jusqu’au deuxième étage, creusant un porche profond à l’autre bout duquel on voyait le coup de jour blafard d’une vaste cour. Au milieu de ce porche, pavé comme la rue, un large ruisseau coulait, roulant une eau rose très tendre.
– Entrez donc, dit Coupeau, on ne vous mangera pas.
Mais Gervaise refusa de monter avec lui chez sa sœur. Elle l’attendrait dans la rue. Cependant, elle ne put s’empêcher d’aller au bout du porche, jusqu’à la loge du concierge, qui était à droite. Et là, au seuil, elle leva de nouveau les yeux. À l’inté9frieur, les façades avaient six étages, quatre façades régulières enfermant le carré parfait de la cour. Chaque côté offrait un développement de dix fenêtres. C’étaient des murailles grises, mangées d’une lèpre jaune, rayées de longues bavures par l’égouttement des toits, qui montaient toutes plates du pavé aux ardoises, sans une moulure; seuls les tuyaux de descente se coudaient aux étages, où les caisses béantes des plombs mettaient la tache rougeâtre de leur fonte rouillée. Les fenêtres sans persiennes alignaient leurs vitres nues d’un vert glauque d’eau trouble. Certaines, ouvertes, laissaient pendre des matelas à carreaux bleus, qui prenaient l’air; devant d’autres, sur des cordes tendues, des linges séchaient, toute la lessive d’un ménage, les chemises de l’homme, les camisoles de la femme, les culottes des gamins; il y en avait une, au troisième, où s’étalait une couche d’enfant, emplâtrée d’une mare d’ordure.
Du haut en bas, les logements trop petits crevaient au dehors, montraient des bouts de leur misère par toutes les fentes. En bas, sur chaque face, une porte haute et étroite, sans boiserie, taillée dans le nu du plâtre, creusait une niche, un vestibule lézardé, tournaient les marches boueuses d’un escalier à rampe de fer; et l’on comptait ainsi quatre escaliers, indiqués par les quatre premières lettres de l’alphabet, de grosses lettres peintes sur le mur; la lettre A, les jambages effacés, n’était plus qu’un mince accent circonflexe. À droite, à gauche, en face, les rez-de-chaussée se trouvaient aménagés en vastes ateliers, fermés par des vitrages; la forge d’un serrurier y flambait; on entendait plus loin les coups de rabot d’un menuisier; tandis que, près de la loge, un laboratoire de teinturier lâchait à gros bouillons cette eau d’un rose tendre coulant sous le porche.

24 AVRIL 1876

II
– Suite –

10aLa cour, salie
de flaques d’eau teintée, de copeaux, d’escarbilles de charbon, plantée d’herbe sur ses bords, entre ses pavés disjoints, s’éclairait d’une large clarté crue, comme coupée en deux par la ligne où le soleil s’arrêtait. Du côté de l’ombre, à l’endroit où le soleil ne venait jamais, autour de la fontaine dont le robinet entretenait là une continuelle humidité, trois petites poules piquaient le sol, cherchaient des vers de terre, les pattes pleines de boue. Et Gervaise, lentement, promenait son regard, l’abaissait du sixième étage à la cour, remontait, surprise de cette énormité, se sentant au milieu d’un organe vivant, au cœur même d’une ville, intéressée par la maison, comme si elle avait devant elle une personne géante, dont elle écoutait le jeu puissant des membres au travail.
– Est-ce que madame demande quelqu’un? cria la concierge, intriguée, en paraissant à la porte de la loge.
Mais la jeune femme expliqua qu’elle attendait une personne. Elle retourna vers la rue; puis, comme Coupeau tardait, elle revint, attirée, regardant
de nouveau. La maison ne lui semblait pas laide. Parmi les loques pendues aux fenêtres, des coins de gaieté riaient, une giroflée fleurie dans un pot, une cage de serins d’où tombait un gazouillement, des miroirs à barbe mettant 10bau fond de l’ombre des éclats d’étoiles rondes.
En bas, un menuisier chantait, accompagné par les sifflements réguliers de sa varlope, pendant que, dans l’atelier de serrurerie, un tintamarre de marteaux battant en cadence faisait une grosse sonnerie argentine. Puis, à presque toutes les croisées ouvertes, sur le fond de la misère entrevue, des enfants montraient leurs têtes barbouillées et rieuses, des femmes cousaient, avec des profils calmes penchés sur l’ouvrage. C’était la reprise de la tâche après le déjeûner, les chambres vides des hommes travaillant au dehors, la maison rentrant dans cette grande paix, coupée uniquement du bruit des métiers, du bercement de quelque refrain, toujours le même, répété pendant des heures.
La cour seulement était un peu humide. Si Gervaise avait demeuré là, elle aurait voulu un logement au fond, du côté du soleil. Elle avait fait cinq ou six pas dans la cour, elle respirait cette odeur fade des logis pauvres, une odeur de poussière ancienne, de saleté rance; mais comme l’âcreté des eaux de teinture dominait, elle trouvait que ça sentait beaucoup moins mauvais qu’à l’hôtel Boncœur. Et elle choisissait déjà sa fenêtre, une fenêtre dans l’encoignure de gauche, où il y avait une petite caisse, plantée de haricots d’Espagne, dont les tiges minces commençaient à s’enrouler autour d’un berceau de ficelles.
– Je vous ai fait attendre, hein? dit Coupeau, qu’elle entendit tout d’un coup près d’elle. C’est une histoire
quand je ne dîne pas chez eux, d’autant plus qu’aujourd’hui ma sœur a acheté du veau.
Et comme elle avait eu un léger tressaillement de surprise, il continua, en promenant à son tour ses regards:
– Vous regardiez la maison. C’est toujours loué du haut en bas. Il y a trois cents locataires, je crois… Moi, si j’avais eu des meubles, j’aurais guetté un cabinet… 10cOn serait bien ici, n’est-ce pas?
– Oui, on serait bien, murmura Gervaise. À Plassans, ce n’était pas si peuplé, dans notre rue… Tenez, c’est gentil, cette fenêtre, au cinquième, avec des haricots.
Alors, avec son entêtement, il lui demanda encore si elle voulait. Dès qu’ils auraient un lit, ils loueraient là. Mais elle se sauvait, elle se hâtait sous le porche, en le priant de ne pas recommencer ses bêtises. La maison pouvait crouler, elle n’y coucherait bien sûr pas sous la même couverture que lui.
Cependant, Coupeau, en la quittant devant l’atelier de Mme Fauconnier, put garder un instant dans la sienne sa main qu’elle lui abandonnait en toute amitié.
Pendant un mois, les bons rapports de la jeune femme et de l’ouvrier zingueur continuèrent. Il la trouvait joliment courageuse, quand il la voyait se tuer au travail, soigner les enfants, trouver encore le moyen de coudre le soir à toutes sortes de chiffons. Il y avait des femmes pas propres, noceuses, sur leur bouche; mais, sacré mâtin! elle ne leur ressemblait guère, elle prenait trop la vie au sérieux! Alors, elle riait, elle se défendait modestement. Pour son malheur, elle n’avait pas été toujours aussi sage
; et elle faisait allusion à ses premières couches; dès quatorze ans, elle revenait sur les litres d’anisette vidés avec sa mère, autrefois. Son malheur la corrigeait un peu, voilà tout. On avait tort de lui croire une grosse volonté; elle était très faible, au contraire. Elle se laissait aller où on la poussait, par crainte de causer de la peine à quelqu’un; il lui fallait se roidir à deux bras pour ne pas glisser.
Toujours elle montrait une grande peur de la tentation, répétant que si jamais elle tournait mal, ce serait la faute des autres. Elle rêvait
de vivre dans une société honnête, parce que la mauvaise société, disait-elle, c’était comme un coup d’assommoir, ça vous cassait le crâne, ça vous aplatissait 10dune femme en moins de rien. Et elle se défiait, se sentait prise d’une sueur devant l’avenir, se comparait à un sou lancé en l’air, retombant pile ou face, selon les hasards du pavé.
Tout ce qu’elle avait déjà vu, les mauvais exemples étalés sous ses yeux d’enfant, lui donnaient une fière leçon. Alors, Coupeau la plaisantait de ses idées noires, la ramenait à tout son courage, en essayant de lui pincer les hanches; elle le repoussait, lui allongeait des claques sur les mains, pendant qu’il criait en riant que, pour une femme faible, elle n’était pas d’un assaut commode. Lui, rigoleur, ne s’embarrassait pas de l’avenir. Les jours amenaient les jours, pardi! On aurait toujours bien la niche et la pâtée. Le quartier lui semblait propre, à part une bonne moitié des soulards dont on aurait pu débarrasser les ruisseaux. Il n’était pas méchant diable, tenait parfois des discours très sensés, avait même un brin de coquetterie, une raie soignée sur le côté de la tête, de jolies cravates, une paire de souliers vernis pour le dimanche. Avec cela, une adresse et une effronterie de singe, une drôlerie gouailleuse d’ouvrier parisien, pleine de bagou, charmante encore sur son museau jeune.
Tous deux
en étaient venus à se rendre une foule de services, à l’hôtel Boncœur. Coupeau allait lui chercher son lait, se chargeait de ses commissions, portait ses paquets de linge; souvent, le soir, comme il revenait du travail le premier, il promenait les enfants, sur le boulevard extérieur. Gervaise, pour lui rendre ses politesses, montait dans l’étroit cabinet où il couchait, sous les toits; et elle visitait les vêtements, mettant des boutons aux cottes, reprisant les vestes de toile. Une grande familiarité s’établissait entre eux. Elle ne s’ennuyait pas, quand il était là, amusée des chansons qu’il apportait, de cette continuelle blague des faubourgs de Paris, toute nouvelle encore pour elle. Lui, à se frotter toujours 10econtre ses jupes, s’allumait de plus en plus. Il était pincé, et ferme! Ça finissait par le gêner.
Il riait toujours, mais l’estomac si mal à l’aise, si serré, qu’il ne trouvait plus ça drôle. Les bêtises continuaient, il ne pouvait la rencontrer sans lui crier: «Quand est-ce?» Elle savait ce qu’il voulait dire, et elle lui promettait la chose pour la semaine des quatre jeudis. Alors, il la taquinait, se rendait chez elle avec ses pantouffles à la main, comme pour emménager. Elle en plaisantait, passait très bien sa journée sans une rougeur dans les continuelles allusions polissonnes au milieu desquelles il la faisait vivre. Pourvu qu’il ne fût pas brutal, elle lui tolérait tout. Elle se fâcha seulement un jour où, voulant lui prendre un baiser de force, il lui avait arraché des cheveux.
Vers
la dernière semaine de juin, Coupeau perdit sa gaieté. Il devenait tout chose. Gervaise, inquiète de certains regards, se barricadait la nuit. Puis, après une bouderie qui avait duré du dimanche au mardi, tout d’un coup, un mardi soir, il vint frapper à sa porte, vers les onze heures. Elle ne voulait pas lui ouvrir; mais il avait la voix si douce et si tremblante, qu’elle finit par retirer la commode poussée contre la porte. Quand il fut entré, elle le crut malade, tant il lui parut pâle, les yeux rougis, le visage marbré. Et il restait debout, bégayant, hochant la tête. Non, non, il n’était pas malade. Il pleurait depuis deux heures, en haut, dans sa chambre; il pleurait comme un enfant, en mordant son oreiller, pour ne pas être entendu des voisins. Voilà trois nuits qu’il ne dormait plus. Ça ne pouvait pas continuer comme ça.
– Écoutez, madame Gervaise, dit-il
, la gorge serrée, sur le point d’être repris par les larmes, il faut en finir, n’est-ce pas?… Nous allons nous marier ensemble. Moi je veux bien, je suis décidé.
10fGervaise montrait une grande surprise. Elle était très
grave.
– Oh! monsieur Coupeau, murmura-t-elle, qu’est-ce que vous allez chercher là
? Je ne vous ai jamais demandé cette chose, vous le savez bien… Ça ne me convenait pas, voilà tout… Oh! non, non, c’est sérieux, maintenant, réfléchissez, je vous en prie.
Mais il continuait à hocher la tête, d’un air de résolution inébranlable. C’était tout réfléchi. Il était descendu, parce qu’il avait besoin de passer une bonne nuit. Elle n’allait pas le laisser remonter
, pleurer peut-être. Dès qu’elle aurait dit oui, il ne la tourmenterait plus, elle pourrait se coucher tranquille. Il voulait simplement lui entendre dire oui. On causerait le lendemain.
– Bien sûr, je ne dirai pas oui comme ça, reprit Gervaise. Je ne tiens pas à ce que, plus tard, vous m’accusiez de vous avoir poussé à faire une bêtise… Voyez-vous, monsieur Coupeau, vous avez tort de vous entêter. Vous ignorez vous-même ce que vous éprouvez pour moi. Si vous ne me rencontriez pas de huit jours, ça vous passerait, je parie. Les hommes, souvent, se marient pour une nuit, la première, et puis les nuits se suivent, les jours s’allongent, toute la vie, et ils sont joliment embêtés… Asseyez-vous là, je veux bien causer tout de suite.
Alors, jusqu’à une heure du matin, dans la chambre noire, à la clarté fumeuse d’une chandelle qu’ils oubliaient de moucher, ils discutèrent leur mariage, baissant la voix, afin de ne pas réveiller les deux enfants, Claude et Étienne, qui dormaient avec leur petit souffle, la tête sur le même oreiller. Et Gervaise revenait toujours à eux, les montrait à Coupeau; c’était là une drôle de dot qu’elle lui apportait, elle ne pouvait pas vraiment l’encombrer de deux mioches.


25 AVRIL 1876

II
– Suite –

11aPuis, elle était prise de honte pour lui. Qu’est-ce qu’on dirait dans le quartier? on l’avait connue avec son amant, on savait son histoire; ce ne serait guère propre, quand on le verrait l’épouser, au bout de deux mois à peine. À toutes ces bonnes raisons, Coupeau répondait par des haussements d’épaules. Il se moquait bien du quartier! Il ne mettait pas son nez dans les affaires des autres; il aurait eu trop peur de le salir, d’abord! Eh bien! oui, elle avait eu Lantier avant lui; où était le mal? elle ne faisait pas la vie, elle n’amènerait pas des hommes dans son ménage comme tant de femmes, et des plus riches.
Quant aux enfants, ils grandiraient, on les élèverait, parbleu! Jamais il ne trouverait une femme aussi courageuse, aussi bonne, remplie de plus de qualités. D’ailleurs, ce n’était pas tout ça, elle aurait pu rouler sur les trottoirs, être laide, fainéante, dégoûtante, avoir une séquelle d’enfants crottés, ça n’aurait pas compté à ses yeux: il la voulait.
– Oui, je vous veux, répétait-il, en tapant son poing sur son genou d’un martèlement continu. Vous entendez bien, je 11bvous veux… Il n’y a rien à dire à ça, je pense?
Gervaise, peu à peu, s’attendrissait. Une lâcheté du cœur et des sens la prenait, au milieu de ce désir brutal dont elle se sentait enveloppée. Elle ne hasardait plus que des objections
de plus en plus faibles, les mains tombées sur ses jupes, la face noyée de douceur. Du dehors, par la fenêtre entr’ouverte, la belle nuit de juin envoyait des souffles chauds, qui effaraient la chandelle, dont la haute mèche rougeâtre charbonnait; dans le grand silence du quartier endormi, on entendait seulement les sanglots d’enfant d’un ivrogne, couché sur le dos, au milieu du boulevard; tandis que, très loin, au fond de quelque restaurant, un violon jouait un quadrille canaille à quelque noce attardée, une petite musique cristalline, nette et déliée comme une phrase d’harmonica. Coupeau, voyant la jeune femme à bout d’arguments, silencieuse et vaguement souriante, avait saisi ses mains, l’attirait vers lui. Elle était dans une de ces heures d’abandon dont elle se méfiait tant, gagnée, trop émue pour rien refuser et faire de la peine à quelqu’un. Mais le zingueur ne comprit pas qu’elle se donnait; il se contenta de lui serrer les poignets à les broyer, pour prendre possession d’elle; et ils eurent tous les deux un soupir, à cette légère douleur, dans laquelle se satisfaisait un peu de leur tendresse.
– Vous dites oui, n’est-ce pas? demanda-t-il.
– Comme vous me tourmentez! murmura-t-elle. Vous le voulez? eh bien
oui… Mon Dieu, nous faisons-là une grande folie, peut-être.
Il s’était levé, l’avait empoignée par la taille, lui appliquait un rude baiser sur la figure, au hasard. Puis, comme cette caresse faisait un gros bruit, il s’inquiéta le premier, regardant Claude et Étienne, marchant à pas de loup, baissant la voix.
– Chut! soyons sages, dit-il, il ne faut 11cpas réveiller les gosses…
.. À demain.
Et il remonta à sa chambre. Gervaise, toute tremblante, resta près d’une heure assise au bord de son lit, sans songer à se déshabiller. Elle était touchée,
trouvait Coupeau très honnête; car elle avait bien cru un moment que c’était fini, qu’il allait coucher là. L’ivrogne, en bas, sous la fenêtre, avait une plainte plus rauque de bête perdue. Au loin, le violon à la ronde canaille se taisait.
Les jours suivants, Coupeau voulut décider Gervaise à monter un soir chez sa sœur, rue de la Goutte-d’Or. Mais la jeune femme, très
timide, montrait un grand effroi de cette visite aux Lorilleux. Elle remarquait parfaitement que le zingueur avait une peur sourde du ménage. Sans doute il ne dépendait pas de sa sœur, qui n’était même pas l’aînée. Maman Coupeau donnerait son consentement des deux mains, car jamais elle ne contrariait son fils. Seulement, dans la famille, les Lorilleux passaient pour gagner jusqu’à dix francs par jour; et ils tiraient de là une véritable autorité. Coupeau n’aurait pas osé se marier sans qu’ils eussent avant tout accepté sa femme.
– Je leur ai parlé de vous, ils connaissent nos projets, expliquait-il à Gervaise. Mon Dieu! que vous êtes enfant! Venez ce soir… Je vous ai avertie, n’est-ce pas? Vous trouverez ma sœur un peu raide. Lorilleux non plus n’est pas toujours aimable. Au fond, ils sont très
vexés, parce que, si je me marie, je ne mangerai plus chez eux, et ce sera une économie de moins. Mais ça ne fait rien, ils ne vous mettront pas à la porte… Faites ça pour moi, c’est tout à fait nécessaire.
Ces paroles effrayaient Gervaise davantage. Un samedi soir
pourtant, elle céda. Coupeau vint la chercher à huit heures et demie. Elle s’était habillée: une robe noire, avec un châle à palmes jaunes en mousseline de laine imprimée, et un bonnet blanc 11dgarni d’une petite dentelle. Depuis six semaines qu’elle travaillait, elle avait économisé les sept francs du châle et les deux francs cinquante du bonnet; la robe était une vieille robe nettoyée et refaite.
– Ils vous attendent, lui dit Coupeau, pendant qu’ils faisaient le tour par la rue des Poissonniers. Oh! ils commencent à s’habituer à l’idée de me voir marié. Ce soir, ils ont l’air très
gentil… Et puis, si vous n’avez jamais vu faire des chaînes d’or, ça vous amusera à regarder. Ils ont justement une commande pressée pour lundi.
– Ils ont de l’or chez eux? demanda Gervaise.
– Je crois bien! il y en a sur les murs, il y en a par terre, il y en a partout.
Cependant, ils s’étaient engagés sous la porte ronde et avaient traversé la cour. Les Lorilleux demeuraient au sixième, escalier B. Coupeau lui cria en riant d’empoigner ferme la rampe et de ne plus la lâcher. Elle leva les yeux, cligna les paupières, en apercevant la haute tour creuse de la cage de l’escalier, éclairée par trois becs de gaz, de deux étages en deux étages; le dernier, tout en haut, avait l’air d’une étoile tremblotante dans un ciel noir, tandis que les deux autres jetaient de longues clartés, étrangement découpées, le long de la spirale interminable des marches.
– Hein? dit le zingueur en arrivant au palier du premier étage
; ça sent joliment la soupe à l’oignon. On a mangé de la soupe à l’oignon pour sûr.
En effet, l’escalier B, gris, sale, la rampe et les marches graisseuses, les murs éraflés montrant le plâtre, était encore plein d’une violente odeur de cuisine. Sur chaque palier, des couloirs s’enfonçaient, sonores de vacarme, des portes s’ouvraient, peintes en jaune, noircies à la serrure par la crasse des mains; et
au ras de la fenêtre, le plomb soufflait une humidité fétide, dont la puanteur se mêlait à l’âcreté de l’ognon cuit. On entendait, du rez-de-11echaussée au sixième, des bruits de vaisselle, des poêlons qu’on barbottait, des casseroles qu’on grattait avec des cuillers pour les récurer. Au premier étage, Gervaise aperçut, dans l’entrebâillement d’une porte, sur laquelle le mot Dessinateur était écrit en grosses lettres, deux hommes attablés devant une toile cirée desservie, causant furieusement, au milieu de la fumée de leurs pipes.
Le second étage et le troisième, plus tranquilles, laissaient passer seulement par les fentes des boiseries la cadence d’un berceau, les pleurs étouffés d’un enfant, la grosse voix d’une femme coulant avec un sourd murmure d’eau courante, sans paroles distinctes; et elle put lire des pancartes clouées, portant des noms: Madame Gaudron, cardeuse, et plus loin: Monsieur Madinier, atelier de cartonnage. On se battait au quatrième; un piétinement dont le plancher tremblait, des meubles culbutés, tout un effroyable tapage de jurons et de coups; ce qui n’empêchait pas les voisins d’en face de jouer aux cartes, la porte ouverte, pour avoir de l’air. Mais, quand elle fut au cinquième, Gervaise dut souffler; elle n’avait pas l’habitude de monter; ce mur qui tournait toujours, ces logements entrevus qui défilaient, lui cassaient la tête.
Une famille, d’ailleurs, barrait le palier; le père lavait des assiettes sur un petit fourneau de terre, près du plomb, tandis que la mère, adossée à la rampe, nettoyait le bambin, avant d’aller le coucher. Cependant, Coupeau encourageait la jeune femme: ils arrivaient. Et lorsqu’il fut enfin au sixième, il se retourna pour l’aider d’un sourire. Elle, la tête levée, cherchait d’où venait un filet de voix, qu’elle écoutait depuis la première marche, clair et perçant, dominant les autres bruits. C’était, sous les toits, une petite vieille qui chantait en habillant des poupées à treize sous. Elle vit encore, au moment où une grande fille 11frentrait avec un seau dans la chambre voisine, un lit défait, où un homme en manches de chemise attendait, vautré, les yeux en l’air; sur la porte refermée, une carte de visite écrite à la main indiquait: Mademoiselle Clémence, repasseuse. Alors, tout en haut, les jambes cassées, l’haleine courte, elle eut la curiosité de se pencher au-dessus de la rampe; maintenant, c’était le bec de gaz d’en bas qui semblait une étoile, au fond du puits étroit des six étages; et les odeurs, la vie énorme et grondante de la maison lui arrivaient dans une seule haleine, battaient d’un coup de chaleur son visage inquiet, se hasardant là comme au bord d’un gouffre.
– Nous ne sommes pas arrivés, dit Coupeau. Oh! c’est un voyage!
Il avait pris, à gauche, un long corridor. Il tourna deux fois, la première encore à gauche, la seconde à droite. Le corridor s’allongeait toujours, se bifurquait, resserré, lézardé, décrépi, de loin en loin éclairé par une mince flamme de gaz; et les portes uniformes, à la file
, comme des portes de prison ou de couvent, continuaient à montrer, presque toutes grandes ouvertes, des intérieurs de misère et de travail, que la chaude soirée de juin emplissait d’une buée rousse. Enfin, ils arrivèrent à un bout de couloir complétement sombre.
– Nous y sommes, reprit le zingueur. Attention! tenez-vous au mur; il y a trois marches.
Et Gervaise fit encore une dizaine de pas, dans l’obscurité, prudemment. Elle buta, compta les trois marches. Mais, au fond du couloir, Coupeau venait de pousser une porte, sans frapper. Une vive clarté s’étala sur le carreau. Ils entrèrent.


28 AVRIL 1876

II
– Suite –

12aC’était une pièce étranglée, une sorte de boyau, qui semblait le prolongement même du corridor. Un rideau de laine déteinte, en ce moment relevé par une ficelle, coupait le boyau en deux. Le premier compartiment contenait un lit, poussé sous un angle du plafond mansardé, un poêle de fonte encore tiède du dîner, deux chaises, une table et une armoire
dont il avait fallu scier la corniche pour qu’elle pût tenir entre le lit et la porte. Dans le second compartiment se trouvait installé l’atelier: au fond, une étroite forge, avec son soufflet; à droite, un étau scellé au mur, sous une étagère où traînaient des ferrailles; à gauche, auprès de la fenêtre, un établi tout petit, encombré de pinces, de cisailles, de scies microscopiques, grasses et très sales.
– C’est nous! cria Coupeau, en s’avançant jusqu’au rideau de laine.
Mais on ne répondit pas tout de suite.

Gervaise, trés-émotionnée, remuée surtout par cette idée qu’elle allait entrer dans un lieu plein d’or, se tenait derrière l’ouvrier, balbutiant, hasardant des hochements de tête, pour saluer. La grande clarté, une lampe brûlant sur l’établi, un brasier de charbon flambant dans la forge, accroissait encore son trouble. Elle finit 12bpourtant par voir madame Lorilleux, petite, rousse, assez forte, tirant de toute la vigueur de ses bras courts, à l’aide d’une grosse tenaille, un fil de métal noir, qu’elle passait dans les trous d’une filière, fixée à l’étau. Devant l’établi, Lorilleux, aussi petit de taille, mais d’épaules plus grêles, travaillait, du bout de ses pinces, avec une vivacité de singe, à un travail si menu, qu’il se perdait entre ses doigts noueux.
Ce fut le mari qui leva le premier la tête, une tête aux cheveux rares, d’une pâleur jaune de vieille cire, longue et souffrante.
– Ah! c’est vous, bien, bien
, murmura-t-il. Nous sommes pressés, vous savez… N’entrez pas dans l’atelier, ça nous gênerait. Restez dans la chambre.
Et il reprit son travail menu, la face de nouveau dans le reflet verdâtre d’une boule d’eau, à travers laquelle la lampe envoyait sur son ouvrage un rond de vive lumière.
– Prends les chaises
, cria à son tour Mme Lorilleux. C’est cette dame, n’est-ce pas? Très bien, très bien!
Elle avait roulé le fil; elle le porta à la forge, et là, activant le brasier avec un large éventail de bois, elle le mit à recuire, avant de le passer dans les derniers trous de la filière.
Coupeau avança les chaises, fit asseoir Gervaise au bord du rideau. La pièce était si étroite
qu’il ne put se caser à côté d’elle. Il s’assit en arrière et il se penchait pour lui donner; dans le cou, des explications sur le travail. La jeune femme, interdite par l’étrange accueil des Lorilleux, mal à l’aise sous leurs regards obliques, avait un bourdonnement aux oreilles qui l’empêchait d’entendre. Elle trouvait la femme très vieille pour ses trente ans, l’air revêche, malpropre avec ses cheveux queue de vache, roulés sur sa camisole défaite. Le mari, d’une année plus âgé seulement, lui semblait un vieillard, aux minces lèvres méchantes, en manches de chemise, les pieds 12cnus dans des pantoufles éculées. Et ce qui la consternait surtout, c’était la petitesse de l’atelier, les murs barbouillés, la ferraille ternie des outils, toute la saleté noire traînant là dans un bric-à-brac de marchand de vieux clous. Il faisait terriblement chaud. Des gouttes de sueur perlaient sur la face verdie de Lorilleux; tandis que Mme Lorilleux se décidait à retirer sa camisole, les bras nus, la chemise plaquant sur les seins tombés.
– Et l’or? demanda Gervaise à demi-voix.
Ses regards inquiets fouillaient les coins, cherchaient, parmi toute cette crasse, le resplendissement qu’elle avait rêvé.
Mais Coupeau s’était mis à rire.
– L’or? dit-il
, tenez, en voilà, en voilà encore, et en voilà à vos pieds!
Il avait indiqué successivement le fil aminci que travaillait sa sœur, et un autre paquet de fil, pareil à une liasse de fil de fer, accroché au mur, près de l’étau; puis, se mettant à quatre pattes, il venait de ramasser par terre, sous la claie de bois qui recouvrait le carreau de l’atelier, un déchet, un brin semblable à la pointe d’une aiguille rouillée.
Mais Gervaise se récriait. Ce n’était pas de l’or, peut-être, ce métal noirâtre, vilain comme du fer! Il dut mordre le déchet, lui montrer l’entaille luisante de ses dents. Et il reprenait ses explications; les patrons fournissaient l’or en fil, tout allié; les ouvriers le passaient d’abord par la filière pour l’obtenir à la grosseur voulue, en ayant soin de le faire recuire cinq ou six fois pendant l’opération, afin qu’il ne cassât pas. Oh! il fallait une bonne poigne et de l’habitude! Sa sœur empêchait son mari de toucher aux filières, parce qu’il toussait un peu. Elle avait de fameux bras, il lui avait vu tirer l’or aussi mince qu’un cheveu.
Cependant, Lorilleux, pris d’un accès de toux, se
pliait sur son tabouret. Au milieu de la quinte, il parla, il dit d’une voix suf12dfoquée, toujours sans regarder Gervaise, comme s’il eût constaté la chose uniquement pour lui:
– Moi, je fais la colonne.
Coupeau força Gervaise à se lever. Elle pouvait bien s’approcher
un peu, elle verrait. Le chaîniste consentit d’un grognement. Il enroulait le fil préparé par sa femme autour d’un mandrin, une baguette d’acier très mince. Puis, il donna un léger coup de scie, qui tout du long du mandrin coupa le fil, dont chaque tour forma un maillon. Ensuite, il souda. Les maillons étaient posés sur un gros morceau de charbon de bois. Il les mouillait d’une goutte de borax, prise dans le cul d’un verre sale, à côté de lui; et, rapidement, il les rougissait à la lampe, sous la flamme horizontale du chalumeau. Alors, quand il eut une centaine de maillons, il se remit une fois encore à son travail menu, appuyé au bord de la cheville de son établi, un bout de planchette que le frottement de ses mains avait poli. Il ployait la maille à la pince, la serrait d’un côté, l’introduisait dans la maille supérieure déjà en place, la rouvrait à l’aide d’une pointe; cela avec une régularité continue, les mailles succédant aux mailles, si vivement que la chaîne s’allongeait peu à peu sous les yeux de Gervaise, sans lui permettre de suivre et de bien comprendre.
– C’est la colonne, dit Coupeau. Il y a le jaseron, le forçat, la gourmette, la corde
Mais ça, c’est la colonne. Lorilleux ne fait que la colonne.
Celui-ci eut un ricanement de satisfaction. Il cria, tout en continuant à pincer
ses mailles, invisibles entre ses ongles noirs:
– Écoute donc, Cadet-Cassis!…
Je faisais un calcul, ce matin. J’ai commencé à douze ans, n’est-ce pas? Eh bien! sais-tu quel bout de colonne j’ai dû faire au jour d’aujourd’hui?
Il leva sa face pâle, cligna ses paupières rougies.
12eHuit mille mètres, entends-tu! Deux lieues!… Hein! un bout de colonne de deux lieues! Il y a de quoi entortiller le cou à toutes les femelles du quartier… Et, tu sais, le bout s’allonge toujours. J’espère bien aller de Paris à Versailles.
Gervaise était retournée s’asseoir, désillusionnée, trouvant tout très
laid. Elle sourit, pour faire plaisir aux Lorilleux. Ce qui la gênait surtout, c’était le silence gardé sur son mariage, sur cette affaire si grosse pour elle, sans laquelle elle ne serait certainement pas venue. Les Lorilleux continuaient à la regarder à peine, semblaient la traiter en curieuse importune amenée par Coupeau. Et une conversation s’étant enfin engagée, elle roula uniquement sur les locataires de la maison. Mme Lorilleux demanda à son frère s’il n’avait pas entendu, en montant, les gens du quatrième se battre. Ces Bénard s’assommaient tous les jours; le mari rentrait soûl comme un cochon; la femme aussi avait bien des torts, elle criait des choses dégoûtantes.
Puis, on parla du dessinateur du premier, ce grand escogriffe de Baudequin, un poseur criblé de dettes, toujours fumant, toujours gueulant avec des camarades; on le savait l’amant de cœur de la grande bringue du second, une souillon à ne pas prendre du bout des pincettes; l’atelier de cartonnage de M. Madinier n’allait plus que d’une patte; le patron avait encore congédié deux ouvrières la veille; ce serait pain bénit s’il faisait la culbute, car il mangeait tout, il laissait ses enfants le derrière nu. Madame Gaudron cardait drôlement ses matelas: elle se trouvait encore enceinte, ce qui finissait par n’être guère propre, à son âge. Le propriétaire venait de donner congé aux Coquet, du cinquième; ils devaient trois termes; puis, ils s’entêtaient à allumer leur fourneau sur le carré; même que, le samedi d’auparavant, Mlle Remanjou, la vieille du sixième, en reportant ses poupées, était descendue à 12ftemps pour empêcher le petit Linguerlot d’avoir le corps tout brûlé. Quant à Mlle Clémence, la repasseuse, elle se conduisait comme elle l’entendait, mais on ne pouvait pas dire, elle adorait les animaux, elle possédait un cœur d’or. Hein! quel dommage, une belle fille pareille. On la rencontrerait une nuit sur un trottoir, pour sûr.
– Tiens, en voilà une, dit Lorilleux à sa femme, en lui donnant le bout de chaîne auquel il travaillait depuis le déjeuner. Tu peux la dresser.
Et il ajouta, avec l’insistance d’un homme qui ne lâche pas aisément une plaisanterie:
– Encore quatre pieds et demi… Ça me rapproche de Versailles.
Cependant, madame Lorilleux, après l’avoir fait recuire, dressait la colonne, en la passant à la filière de réglage. Elle la mit ensuite dans une petite casserole de cuivre à long manche, pleine d’eau seconde, et la dérocha, au feu de la forge. Gervaise, de nouveau poussée par Coupeau, dut suivre cette dernière opération. Quand la chaîne fut dérochée, elle devint d’un rouge sombre. Elle était finie, prête à livrer.
– On livre en blanc, expliqua encore le zingueur. Ce sont les polisseuses qui frottent ça avec du drap.
Mais Gervaise se sentait à bout de courage. La chaleur, de plus en plus forte, la suffoquait. On laissait la porte fermée, parce que le moindre courant d’air enrhumait Lorilleux. Alors, comme on ne parlait
toujours pas de leur mariage, elle voulut s’en aller, elle tira légèrement la veste de Coupeau. Celui-ci comprit. Il commençait, d’ailleurs, à être aussi embarrassé et vexé de cette affectation de silence.
– Eh bien, nous partons, dit-il. Nous vous laissons travailler.


29 AVRIL 1876

II
– Suite –

13aIl piétina un instant, il attendit, espérant un mot, une allusion quelconque. Enfin, il se décida à entamer les choses lui-même.
– Dites
-donc, Lorilleux, nous comptons sur vous, reprit-il. Vous serez le témoin de ma femme.
Le chaîniste leva la tête, joua la surprise, avec un ricanement
, tandis que sa femme, lâchant les filières, se plantait au milieu de l’atelier.
– C’est donc sérieux, murmura-t-il. Ce sacré Cadet-Cassis, on ne sait jamais s’il veut rire.
– Ah! oui, madame est la personne, dit à son tour la femme en dévisageant Gervaise. Mon Dieu! nous n’avons pas de conseil à vous donner, nous autres… C’est une drôle d’idée de se marier tout de même. Enfin, si ça vous va à l’un et à l’autre. Quand ça ne réussit pas, on s’en prend à soi, voilà tout. Et ça ne réussit pas souvent, pas souvent, pas souvent…
Et, la voix ralentie sur ces derniers mots, elle hochait la tête, passant de la figure de la jeune femme à ses mains, à ses pieds, comme si elle avait voulu la déshabiller, pour lui voir les grains de la peau. Elle dut la trouver mieux qu’elle ne comptait.
13bMon frère est bien libre, continua-t-elle d’un ton plus pincé. Sans doute, la famille aurait peut-être désiré… On fait toujours des projets. Mais les choses tournent si drôlement… Moi, d’abord, je ne veux pas me disputer. Il nous aurait amené la dernière des dernières, je lui aurais dit: Épouse-la et fiche-moi la paix… Il n’était pourtant pas mal ici, avec nous. Il est assez gras, on voit bien qu’il ne jeûnait guère. Et toujours sa soupe chaude, juste à la minute… Dis donc, Lorilleux, tu ne trouves pas que madame ressemble à Thérèse, tu sais bien, cette femme d’en face qui est morte de la poitrine?
– Oui, il y a un faux air, répondit le chaîniste.
– Et vous avez deux enfants, madame. Ah! ça, par exemple, je l’ai dit à mon frère: Je ne comprends pas comment tu épouses une femme qui a deux enfants… Il ne faut pas vous fâcher
si je prends ses intérêts; c’est bien naturel… Vous n’avez pas l’air fort, avec ça. N’est-ce pas, Lorilleux, madame n’a pas l’air fort?
– Non, non,
je le pensais: elle n’est pas forte.
Ils ne parlèrent pas de sa jambe. Mais Gervaise comprenait, à leurs regards obliques et au pincement de leurs lèvres, qu’ils y faisaient allusion. Elle restait devant eux, serrée dans son mince châle à palmes jaunes, répondant par des monosyllabes, comme devant des juges. Coupeau, la voyant souffrir, finit par crier:
– Ce n’est pas tout ça… Ce que vous dites et rien, c’est la même chose. La noce aura lieu le samedi 29 juillet. J’ai calculé sur l’almanach. Est-ce convenu? ça vous va-t-il?
– Oh! ça nous va toujours, dit sa sœur. Tu n’avais pas besoin de nous consulter… Je n’empêcherai pas Lorilleux d’être témoin. Je veux avoir la paix.
Gervaise, la tête basse, ne sachant plus à quoi s’occuper, avait fourré le bout de son pied dans un losange de la claie de bois, dont le carreau de l’atelier était
recouvert; puis, de peur d’avoir dérangé 13cquelque chose en le retirant, elle s’était baissée, tâtant avec la main. Lorilleux, vivement, approcha la lampe. Et il lui examinait les doigts avec méfiance.
– Il faut prendre garde, dit-il, les petits morceaux d’or, ça se colle sous les souliers, et ça s’emporte, sans qu’on le sache.
Ce fut toute une affaire. Les patrons n’accordaient pas un milligramme de déchet. Et il montra la patte de lièvre, avec laquelle il brossait les parcelles d’or restées sur la cheville, et la peau étalée sur ses genoux, mise là pour les recevoir. Deux fois par semaine, on balayait soigneusement l’atelier; on gardait les ordures, on les brûlait, on passait les cendres, dans lesquelles on trouvait par mois jusqu’à vingt-cinq et trente francs d’or.
Madame Lorilleux ne quittait pas du regard les souliers de Gervaise.
– Mais il n’y a pas à se fâcher, murmura-t-elle, avec un sourire aimable. Madame peut regarder ses semelles.
Et Gervaise, très
rouge, se rassit, leva ses pieds, fit voir qu’il n’y avait rien. Coupeau avait ouvert la porte, en criant: Bonsoir! d’une voix brusque. Il l’appela, du corridor. Alors, elle sortit à son tour, après avoir balbutié une phrase de politesse: elle espérait bien qu’on se reverrait et qu’on s’entendrait tous ensemble. Mais les Lorilleux s’étaient déjà remis à l’ouvrage, au fond du trou noir de l’atelier, où la petite forge luisait, comme un dernier charbon blanchissant dans la grosse chaleur d’un four. La femme, un coin de la chemise glissé sur l’épaule, la peau rougie par le reflet du brasier, tirait un nouveau fil, gonflait à chaque effort son cou, dont les muscles se roulaient, pareils à des ficelles. Le mari, plié sous la lueur verte de la boule d’eau, recommençant un bout de chaîne, ployait la maille à la pince, la serrait d’un côté, l’introduisait dans la maille supérieure, la rouvrait à l’aide d’une pointe, continuellement, mécaniquement, sans perdre un geste pour essuyer la sueur de sa face.
Quand Gervaise déboucha des corridors 13dsur le palier du sixième, elle ne put retenir cette parole, les larmes aux yeux:
– Ça ne
me promet pas beaucoup de bonheur.
Coupeau branla furieusement la tête. Lorilleux lui revaudrait cette soirée-là. Avait-on jamais vu un pareil grigou!
Croire qu’on allait lui emporter trois grains de sa poussière d’or! Toutes ces histoires c’était de l’avarice pure. Sa sœur avait peut-être cru qu’il ne se marierait jamais, pour lui économiser quatre sous sur son pot-au-feu? Enfin, ça se ferait quand même le 29 juillet. Il se moquait pas mal d’eux!
Mais Gervaise, en descendant l’escalier, se sentait toujours le cœur gros, tourmentée d’une bête de peur, qui lui faisait fouiller avec inquiétude les ombres grandies de la rampe. À cette heure, l’escalier dormait, désert, éclairé seulement par le bec de gaz du second étage, dont la flamme rapetissée mettait, au fond de ce puits de ténèbres, la goutte de clarté d’une veilleuse. Derrière les portes fermées, on entendait le gros silence, le sommeil écrasé des ouvriers couchés au sortir de
la table. Pourtant, un rire adouci sortait de la chambre de la repasseuse, tandis qu’un filet de lumière glissait par la serrure de Mlle Remanjou, taillant encore, avec un petit bruit de ciseaux, les robes de gaze des poupées à treize sous. En bas, chez Mme Gaudron, un enfant continuait à pleurer. Et les plombs soufflaient une puanteur plus forte, au milieu de la grande paix, noire et muette.
Puis, dans la cour, pendant que Coupeau demandait le cordon d’une voix chantante, Gervaise se retourna, regarda une dernière fois la maison. Elle paraissait grandie sous le ciel sans lune. Les façades grises, comme nettoyées de leur lèpre et badigeonnées d’ombre, s’étendaient, montaient; et elles étaient plus nues encore, toutes plates, déshabillées des loques séchant le jour au soleil. Les fenêtres closes dormaient. Quelques-unes, éparses, vivement allumées, ouvraient des yeux, semblaient faire loucher certains coins. Au-dessus de chaque vestibule, de bas en haut
13eà la file, les vitres des six paliers, blanches d’une lueur pâle, dressaient une tour étroite de lumière.
Un rayon de lampe, tombé de l’atelier de cartonnage, au second, mettait une traînée jaune sur le pavé de la cour, trouant les ténèbres qui noyaient, aux quatre bords, les larges baies des ateliers des rez-de-chaussée. Et, du fond de ces ténèbres, dans le coin humide, à gauche, des gouttes d’eau, sonores au milieu du silence, tombaient une à une du robinet mal tourné de la fontaine. Alors, il sembla à Gervaise que la maison était sur elle, écrasante, glaciale à ses épaules. C’était toujours sa bête de peur, un enfantillage dont elle souriait ensuite.
– Prenez garde! cria Coupeau.
Et elle dut, pour sortir, sauter par-dessus une grande mare, qui avait coulé de la teinturerie. Ce jour-là, la mare était bleue, d’un azur profond de ciel d’été, où la petite lampe de nuit du concierge allumait des étoiles.

III

Gervaise ne voulait pas de noce. À quoi bon dépenser de l’argent? Puis, elle restait un peu honteuse; il lui semblait inutile d’étaler le mariage devant tout le quartier. Mais Coupeau se récriait: on ne pouvait pas se marier comme ça, sans manger un morceau ensemble. Lui, se battait joliment l’œil du quartier! Oh! quelque chose de tout simple, un petit tour de balade l’après-midi, en attendant d’aller tordre le cou à un lapin, au premier gargot venu
: et pas de musique au dessert, bien sûr, pas de clarinette pour secouer le panier aux crottes des dames. Histoire de trinquer seulement, avant de revenir faire dodo chacun chez soi.
Le zingueur, plaisantant, rigolant, décida la jeune femme, lorsqu’il lui eut juré qu’on ne s’amuserait pas. Il aurait l’œil sur les verres, pour empêcher les coups de soleil. Alors, il organisa un pique-nique à cent sous par tête, chez Auguste, au Moulin-d’Argent, 13fboulevard de la Chapelle. C’était un petit marchand de vin dans les prix doux, qui avait un bastringue au fond de son arrière-boutique, sous les trois acacias de sa cour. Au premier, on serait parfaitement bien. Pendant dix jours, il racola des convives
dans la maison de sa sœur, rue de la Goutte-d’Or: M. Madinier, Mlle Remanjou, Mme Gaudron et son mari.
Il finit même par faire accepter à Gervaise deux camarades, Bibi la Grillade et Mes Bottes; sans doute Mes Bottes levait le coude, mais il avait un appétit si farce, qu’on l’invitait toujours dans les pique-nique, à cause de la tête du marchand de soupe en voyant ce sacré trou-là avaler ses douze livres de pain. La jeune femme, de son côté, promit d’amener sa patronne, Mme Fauconnier, et les Boche, de très braves gens. Tout compte fait, on se trouverait quinze à table. C’était assez. Quand on est trop de monde, ça se termine toujours par des disputes.
Cependant, Coupeau n’avait pas le sou. Sans chercher à crâner, il entendait agir en homme propre. Il emprunta cinquante francs à son patron. Là-dessus, il acheta d’abord l’alliance, une alliance d’or de douze francs, que Lorilleux lui procura en fabrique pour neuf francs. Il se commanda ensuite une redingote, un pantalon et un gilet, chez un tailleur de la rue Myrrha, auquel il donna seulement un à
-compte de vingt-cinq francs; ses souliers vernis et son bolivar pouvaient encore marcher. Quand il eut mis de côté les dix francs du pique-nique, son écot et celui de Gervaise, les enfants devant passer par dessus le marché, il lui resta tout juste six francs, le prix d’une messe à l’autel des pauvres.

30 AVRIL 1876

III
– Suite –

14aCertes, il n’aimait pas les corbeaux, ça lui crevait le cœur de porter ses six francs à ces galfatres-là, qui n’en avaient pas besoin pour se tenir le gosier frais.
Mais un mariage sans messe, on avait beau dire, ce n’était pas un mariage. Il alla lui-même à l’église marchander; et, pendant une heure, il s’attrapa avec un vieux petit prêtre, en soutane sale. Il avait envie de lui ficher des calottes. Puis, par blague, il lui demanda s’il ne trouverait pas une messe d’occasion, dont un couple bon enfant ferait encore son beurre. Le vieux petit prêtre, tout en grognant que Dieu n’aurait aucun plaisir à bénir son union, finit par lui laisser sa messe à cinq francs. C’était toujours vingt sous d’économie. Il lui resta vingt sous.
Gervaise, elle aussi, tenait à être propre. Dès que le mariage fut décidé, elle s’arrangea, fit des heures en plus, le soir, arriva à mettre trente francs de côté. Elle avait une grosse envie d’un petit mantelet de soie, affiché treize francs, rue du
faubourg Poissonnière. Elle se le paya, puis racheta 14bpour dix francs au mari d’une blanchisseuse, morte dans la maison de madame Fauconnier, une robe de laine gros bleu qu’elle refit complétement à sa taille. Avec les sept francs qui restaient, elle eut une paire de gants de coton, une rose pour son bonnet et des souliers pour son aîné Claude. Heureusement les petits avaient des blouses possibles. Elle passa quatre nuits, nettoyant tout, visitant jusqu’aux plus petits trous de ses bas et de sa chemise.
Enfin, le vendredi soir, la veille du grand jour, Gervaise et Coupeau, en rentrant du travail, eurent encore à
courir et à trimer jusqu’à onze heures. Puis, avant de se coucher chacun chez eux, ils passèrent une heure ensemble, dans la chambre de la jeune femme, bien contents d’être au bout de cet embarras. Malgré leur résolution de ne pas se casser les côtes pour le quartier, ils avaient fini par prendre les choses à cœur et par s’éreinter. Quand ils se dirent bonsoir ils dormaient debout. Mais, tout de même, ils poussaient un gros soupir de soulagement. Maintenant, c’était réglé. Coupeau avait pour témoins MM. Madinier et Bibi la Grillade; Gervaise comptait sur Lorilleux et sur Boche. On devait aller tranquillement à la mairie et à l’église, tous les six, à pied, sans traîner derrière soi une queue de monde.
Les deux sœurs du marié, Mme Lorilleux et Mme Lerat, avaient même déclaré qu’elles n’iraient pas, que ça ne leur semblait pas nécessaire. Seule maman Coupeau s’était mise à pleurer; elle voulait y être; elle s’y rendrait plutôt toute seule, pour se cacher dans un coin; et on avait promis de l’emmener. Quant au rendez-vous de toute la société, il était fixé à une heure, au Moulin d’Argent; on partirait de là, pour gagner la faim, dans la plaine Saint-Denis; on prendrait le chemin de fer et on retournerait à pattes, le long de la grande route. La partie s’annonçait très bien, pas une bosse à tout avaler, mais un brin de rigolade, quelque chose de gentil et d’honnête.
Le samedi matin en s’habillant, Coupeau 14cfut pris d’inquiétude, devant sa pièce de vingt sous. Il venait de songer que, par politesse, il lui faudrait offrir un verre de vin et une tranche de jambon aux témoins,
pour leur faire attendre le dîner. Puis, il y aurait peut-être des frais imprévus. Décidément, vingt sous, ça ne suffisait pas. Alors, après s’être chargé de conduire Claude et Étienne chez Mme Boche, qui devait les amener le soir au dîner, il courut rue de la Goutte-d’Or et monta carrément emprunter 10 francs à Lorilleux. Par exemple, ça lui écorchait le gosier, car il s’attendait à la grimace de son beau-frère. Celui-ci grogna, ricana d’un air de mauvaise bête, et finalement prêta les deux pièces de cent sous. Mais Coupeau entendit sa sœur qui disait entre ses dents que «ça commençait bien.»
Le mariage à la mairie était pour dix heures et demie. Il faisait très
beau, un soleil du tonnerre, rôtissant les rues. Pour ne pas être regardés, les mariés, la maman et les quatre témoins se séparèrent en deux bandes. En avant, Gervaise marchait au bras de Lorilleux, tandis que M. Madinier conduisait Mme Coupeau; puis, à vingt pas, sur l’autre trottoir, venaient Coupeau, Boche et Bibi-la-Grillade. Ces trois derniers étaient en redingote noire, le dos rond, les bras ballants; Boche avait un pantalon jaune; Bibi-la-Grillade, boutonné jusqu’au cou, sans gilet, laissait passer seulement un coin de cravate roulé en corde. Seul, M. Madinier portait un habit, un grand habit à queue carrée; et les passants s’arrêtaient pour voir ce monsieur promenant la grosse mère Coupeau, en châle vert, en bonnet noir, avec des rubans rouges. Gervaise, très douce, gaie, dans sa robe d’un bleu dur, les épaules serrées sous son étroit mantelet, prêtait complaisamment l’oreille aux ricanements de Lorilleux, perdu au fond d’un immense paletot sac, malgré la chaleur; puis, de temps à autre, au coude des rues, elle tournait un peu la tête, jetait un fin sourire à Coupeau, que ses vêtements neufs, luisant au soleil, gênaient.
14dTout en marchant très
lentement, ils arrivèrent à la mairie une grande demi-heure trop tôt. Et, comme le maire fut en retard, leur tour arriva seulement vers onze heures. Ils attendirent sur des chaises, dans un coin de la salle, regardant le haut plafond et la sévérité des murs, parlant bas, reculant leurs sièges par excès de politesse, chaque fois qu’un garçon de bureau passait. Pourtant, à demi-voix, ils traitaient le maire de fainéant; il devait être pour sûr à se frictionner sa goutte; peut-être bien aussi qu’il avait avalé son écharpe. Mais, quand le magistrat parut, ils se levèrent respectueusement. On les fit rasseoir. Alors, il assistèrent à trois mariages, perdus dans trois noces bourgeoises, avec des mariées en blanc, des fillettes frisées, des demoiselles à ceintures roses, des cortéges interminables de messieurs et de dames sur leur trente-et-un, l’air très comme il faut. Puis, quand vint leur tour, ils faillirent ne pas être mariés, Bibi-la-Grillade ayant disparu. Boche le retrouva en bas, sur la place, fumant une pipe.
Aussi, ils étaient encore de jolis cocos dans cette boîte, de se ficher du monde, parce qu’on n’avait pas de gants beurre frais à leur mettre sous le nez. Et les formalités, la lecture du Code, les questions posées, la signature des pièces, furent expédiées si rondement, qu’ils se regardèrent, se croyant volés d’une bonne moitié de la cérémonie. Gervaise, étourdie, le cœur gonflé, appuyait son mouchoir sur ses lèvres. Mme Coupeau pleurait à chaudes larmes. Tous s’étaient appliqués sur le registre, mettant leurs noms en grosses lettres boiteuses, sauf le marié qui avait tracé une croix, ne sachant pas écrire. Ils donnèrent chacun quatre sous pour les pauvres. Lorsque le garçon remit à Coupeau le certificat de mariage, celui-ci, le coude poussé par Gervaise, se décida à sortir encore cinq sous.
La trotte était bonne de la mairie à l’église. En chemin, les hommes prirent de la bière,
Mme Coupeau et Gervaise du cassis 14eavec de l’eau. Et ils eurent à suivre une longue rue, où le soleil tombait d’aplomb, sans un filet d’ombre. Le bedeau les attendait, au milieu de l’église vide; il les poussa vers une petite chapelle, en leur demandant furieusement si c’était pour se moquer de la religion qu’ils arrivaient en retard. Un prêtre vint à grandes enjambées, l’air maussade, la face pâle de faim, précédé par un clerc en surplis sale qui trottinait. Il dépêcha sa messe, mangeant les phrases latines, se tournant, se baissant, élargissant les bras, en hâte, avec des regards obliques sur les mariés et sur les témoins. Les mariés, devant l’autel, très embarrassés, ne sachant pas quand il fallait s’agenouiller, se lever, s’asseoir, attendaient un geste du clerc.
Les témoins, pour être convenables, se tenaient debout tout le temps; tandis que madame Coupeau, reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu’elle avait emprunté à une voisine. Cependant, midi avait sonné, la dernière messe était dite, l’église s’emplissait du piétinement des sacristains, du vacarme des chaises remises en place; on devait préparer le maître-autel pour quelque fête, car on entendait le marteau des tapissiers clouant des tentures. Et, au fond de la chapelle perdue, dans la poussière d’un coup de balai donné par le bedeau, près de là, le prêtre à l’air maussade promenait vivement ses mains sèches sur les têtes inclinées de Gervaise et de Coupeau, semblait les unir au milieu d’un déménagement, pendant une absence de Dieu, entre deux messes pour de bon. Quand la noce eut de nouveau signé sur un registre, à la sacristie, et qu’elle se retrouva en plein soleil, sous le porche, elle resta un instant là, ahurie et essoufflée d’avoir été menée au galop.
– Voilà! dit Coupeau, avec un rire gêné.
Il se dandinait, il ne trouvait rien de rigolo. Pourtant, il ajouta:
– Ah bien! ça ne traîne pas. Ils vous envoient ça en quatre mouvements… C’est comme chez les dentistes: on n’a pas le 14ftemps de crier ouf! ils marient sans douleur.
– Oui, oui, de la belle ouvrage, murmura Lorilleux en ricanant. Ça se bâcle en cinq minutes et ça tient bon toute la vie… Ah! ce pauvre Cadet-Cassis, va!
Et les quatre témoins donnèrent des tapes sur les épaules du zingueur qui faisait le gros dos. Pendant ce temps, Gervaise embrassait
madame Coupeau, souriante, les yeux humides pourtant. Elle répondait aux paroles entrecoupées de la vieille femme:
– N’ayez pas peur, je ferai mon possible. Si ça tournait mal, ça ne serait pas de ma faute. Non, bien sûr, j’ai trop envie d’être heureuse… Enfin, c’est fait, n’est-ce pas? C’est à lui et à moi de nous entendre et d’y mettre du nôtre.
Alors, on alla droit au Moulin-d’Argent. Coupeau avait pris le bras de sa femme. Ils marchaient vite, riant, comme emportés, à deux cents pas devant les autres, sans voir les maisons, ni les passants, ni les voitures. Les bruits assourdissants du faubourg sonnaient des cloches à leurs oreilles. Quand ils arrivèrent chez le marchand de vin, Coupeau commanda tout de suite deux litres, du pain et des tranches de jambon, dans le petit cabinet vitré du rez-de-chaussée, sans assiettes ni nappe, simplement pour casser une croûte. Puis, voyant Boche et Bibi-la-Grillade montrer un appétit sérieux, il fit venir un troisième litre et un morceau de brie.
Mme Coupeau n’avait pas faim, était trop suffoquée pour manger. Gervaise, qui mourait de soif, buvait de grands verres d’eau à peine rougie.
– Ça me regarde, dit Coupeau, en passant immédiatement au comptoir, où il paya quatre francs cinq sous.


2 MAI 1876

III
– Suite –

15aCependant, il était une heure
; les invités arrivaient. Mme Fauconnier, une femme grasse, belle encore, parut la première; elle avait une robe écrue, à fleurs imprimées, avec une cravate rose et un bonnet très chargé de fleurs. Ensuite vinrent ensemble Mlle Remanjou, toute fluette dans l’éternelle robe noire qu’elle semblait garder même pour se coucher, et le ménage Gaudron, le mari, d’une lourdeur de brute, faisant craquer sa veste brune au moindre geste, la femme énorme, étalant son ventre de femme enceinte, dont sa jupe, d’un violet cru, élargissait encore la rondeur. Coupeau expliqua qu’il ne faudrait pas attendre Mes-Bottes; le camarade devait retrouver la noce sur la route de Saint-Denis.
– Ah bien! s’écria
Mme Lerat en entrant, nous allons avoir une jolie saucée. Ça va être drôle!
Et elle appela la société sur la porte du marchand de vin, pour voir les nuages, un orage d’un noir d’encre qui montait rapidement au sud de Paris.
Mme Lerat, l’aînée des Coupeau, était une grande femme de trente-six ans, sèche, masculine, parlant du nez, fagotée dans une robe puce 15btrop large, dont les longs effilés la faisaient ressembler à un caniche maigre sortant de l’eau. Elle jouait avec son ombrelle comme avec un bâton. Quand elle eut embrassé Gervaise, elle reprit:
– Vous n’avez pas idée, on reçoit un soufflet dans la rue…
.. On dirait qu’on vous jette du feu à la figure.
Tout le monde déclara alors
avoir senti l’orage depuis longtemps. Quand on était sorti de l’église, M. Madinier avait bien vu ce dont il retournait. Lorilleux racontait que ses cors l’avaient empêché de dormir, à partir de trois heures du matin. D’ailleurs, ça ne pouvait pas finir autrement; voilà trois jours qu’il faisait vraiment trop chaud.
– Oh! ça va peut-être couler, répétait Coupeau, debout à la porte, interrogeant le ciel d’un regard inquiet. On n’attend plus que ma sœur
; on pourrait tout de même partir, si elle arrivait.
Mme Lorilleux, en effet, était en retard. Mme Lerat venait de passer chez elle, pour la prendre; mais comme elle l’avait trouvée en train de mettre à peine son corset, elles s’étaient disputées toutes les deux. La grande veuve ajouta à l’oreille de son frère:
– Je l’ai plantée là. Elle est d’une humeur!… Tu verras quelle tête!
Et la noce dut patienter un quart d’heure encore, piétinant dans la boutique du marchand de vin, coudoyée, bousculée, au milieu des hommes qui entraient boire un canon sur le comptoir. Par moments, Boche, ou
Mme Fauconnier, ou Bibi la Grillade, se détachaient, s’avançaient au bord du trottoir, les yeux en l’air. Ça ne coulait pas du tout; le jour baissait, des souffles de vent, rasant le sol, enlevaient de petits tourbillons de poussière blanche. Au premier coup de tonnerre, Mlle Remanjou se signa. Tous les regards se portaient avec anxiété sur l’œil-de-bœuf, au-dessus de la glace: il était déjà deux heures moins vingt.
– Allez-y! cria Coupeau. Voilà les anges qui pleurent.
15cUne rafale de pluie balayait la chaussée, où des femmes fuyaient, en tenant leurs jupes à deux mains. Et ce fut sous cette première ondée que
Mme Lorilleux arriva enfin, essoufflée, furibonde, se battant sur le seuil avec son parapluie qui ne voulait pas se fermer.
– A-t-on jamais vu! bégayait-elle. Ça m’a pris juste à la porte. J’avais envie de remonter et de me déshabiller. J’aurais rudement bien fait… Ah! elle est jolie, la noce! Je le disais, je voulais tout renvoyer à samedi prochain. Et il pleut parce qu’on ne m’a pas écoutée! Tant mieux! tant mieux
, que le ciel crève!
Coupeau essaya de la calmer. Mais elle l’envoya coucher. Ce ne serait pas lui qui payerait sa robe, si elle était perdue. Elle avait une robe de soie noire, dans laquelle elle étouffait; le corsage, trop étroit, tirait sur les boutonnières, la coupait aux épaules; et la jupe, taillée en fourreau, lui serrait si fort les cuisses, qu’elle devait marcher à tout petits pas. Pourtant, les dames de la société la regardaient, les lèvres pincées, l’air ému de sa toilette. Elle ne parut
pas même voir Gervaise, assise à côté de Mme Coupeau. Elle appela Lorilleux, lui demanda son mouchoir; puis, dans un coin de la boutique, soigneusement, elle essuya une à une les gouttes de pluie roulées sur la soie.
Cependant
l’ondée avait brusquement cessé. Le jour baissait encore, il faisait presque nuit, une nuit livide traversée par de larges éclairs. Bibi la Grillade répétait en riant qu’il allait tomber des curés, bien sûr. Alors, l’orage éclata avec violence. Pendant une demi-heure l’eau tomba à seaux, la foudre gronda sans relâche. Les hommes, debout devant la porte, contemplaient le voile gris de l’averse, les ruisseaux grossis, la poussière d’eau volante montant du clapotement des flaques. Les femmes s’étaient assises, effrayées, les mains aux yeux. On ne causait plus, la gorge un peu serrée. Une plaisanterie faite sur le tonnerre par Boche, disant que saint Pierre éternuait là-haut, ne fit sourire per15dsonne. Mais, quand la foudre espaça ses coups, se perdit au loin, la société recommença à s’impatienter, se fâchant contre l’orage, jurant et montrant le poing aux nuées. Maintenant, du ciel couleur de cendre, une pluie fine tombait, interminable.
– Il est deux heures passées, cria
Mme Lorilleux. Nous ne pouvons pourtant pas coucher ici!
Mlle Remanjou ayant parlé d’aller à la campagne tout de même, quand on devrait s’arrêter dans les fossés des fortifications, la noce se récria: les chemins devaient être jolis, on ne pourrait seulement pas s’asseoir sur l’herbe; puis, ça ne paraissait pas fini, il reviendrait peut-être une saucée. Coupeau, qui suivait des yeux un ouvrier trempé marchant tranquillement sous la pluie, murmura:
– Si cet animal de Mes-Bottes nous attend sur la route de Saint-Denis, il n’attrapera pas un coup de soleil.
Cela fit rire. Mais la mauvaise humeur grandissait. Ça devenait crevant à la fin. Il fallait décider quelque chose. On ne comptait pas sans doute se regarder comme ça le blanc des yeux jusqu’au dîner. Alors, pendant un quart
-d’heure, en face de l’averse entêtée, on se creusa le cerveau. Bibi-la-Grillade proposait de jouer aux cartes; Boche, de tempérament polisson et sournois, savait un petit jeu bien drôle, le jeu du confesseur; Mme Gaudron parlait d’aller manger de la tarte aux oignons chaussée Clignancourt; Mme Lerat aurait souhaité qu’on racontât des histoires; Gaudron ne s’embêtait pas, se trouvait bien là, offrait seulement de se mettre à table à trois heures. Et, à chaque proposition, on discutait, on se fâchait: c’était bête, ça endormirait tout le monde, on les prendrait pour des moutards.
Puis, comme Lorilleux voulant, dire son mot, trouvait quelque chose de bien simple, une promenade sur les boulevards extérieurs jusqu’au Père-Lachaise, où on pourrait entrer voir le tombeau d’Héloïse et d’Abeilard, si l’on avait le temps, Mme Lorilleux 15ene se contenant plus, éclata. Elle fichait le camp, elle! Voilà ce qu’elle faisait. Est-ce qu’on se moquait du monde? Elle s’habillait, elle recevait la pluie, et c’était pour s’enfermer chez un marchand de vin! Non, non, elle en avait assez d’une noce comme ça, elle préférait son chez elle. Coupeau et Lorilleux durent barrer la porte. Elle répétait:
– Ôtez-vous de là
. Je vous dis que je m’en vais!
Son mari ayant réussi à la calmer, Coupeau s’approcha de Gervaise, toujours tranquille dans son coin, causant avec sa belle-mère et
Mme Fauconnier.
– Mais vous ne proposez rien, vous
, dit-il, sans oser encore la tutoyer.
– Oh! tout ce qu’on voudra, répondit-elle en riant. Je ne suis pas difficile. Sortons, ne sortons pas, ça m’est égal. Je me sens très-bien, je n’en demande pas plus.
Et elle avait, en effet, la figure
toute fraîche, d’une joie paisible. Depuis que les invités se trouvaient là, elle parlait à chacun d’une voix un peu basse et émue, l’air raisonnable, sans se mêler aux disputes. Pendant l’orage, elle était restée les yeux fixes, regardant les éclairs, comme voyant des choses graves, très loin, dans l’avenir, à ces lueurs brusques.
M. Madinier, pourtant, n’avait encore rien proposé. Il était appuyé contre le comptoir, les pans de son habit écartés, gardant son importance de patron. Il cracha longuement, roula ses gros yeux.
– Mon Dieu! dit-il, on pourrait aller au musée…
Et il se caressa le menton, en consultant la société d’un clignement de paupières.
– Il y a des antiquités, des images, des tableaux, un tas de choses. C’est très
instructif… Peut-être bien que vous ne connaissez pas ça. Oh! c’est à voir, au moins une fois.
La noce se regardait, se tâtait. Non, Gervaise
, ne connaissait pas ça; madame Fauconnier non plus, ni Boche, ni les autres. Coupeau croyait bien être monté un 15fdimanche, mais il ne se souvenait plus bien. On hésitait cependant, lorsque madame Lorilleux, sur laquelle l’importance de M. Madinier produisait une grande impression, trouva l’offre très comme il faut, très honnête. Puisqu’on sacrifiait la journée, et qu’on était habillé, autant valait-il visiter quelque chose pour son instruction. Tout le monde approuva. Alors, comme la pluie tombait encore un peu, on emprunta au marchand de vin des parapluies, de vieux parapluies, bleus, verts, marrons, oubliés par les clients; et l’on partit pour le musée.
La noce tourna à droite, descendit dans Paris par le faubourg Saint-Denis. Coupeau et Gervaise marchaient de nouveau en tête, courant, devançant les autres. M. Madinier donnait maintenant le bras à
Mme Lorilleux, maman Coupeau étant restée chez le marchand de vin, à cause de ses jambes. Puis venaient Lorilleux et Mme Lerat, Boche et Mme Fauconnier, Bibi-la-Grillade et Mlle Remanjou, enfin le ménage Gaudron. On était douze. Ça faisait encore une jolie queue sur le trottoir.
– Oh! nous n’y sommes pour rien, je vous jure, expliquait
Mme Lorilleux à M. Madinier. Nous ne savons pas même où il l’a prise, ou plutôt ne le savons que trop; mais ce n’est pas à nous de parler, n’est-ce pas?… Mon mari a dû acheter l’alliance. Ce matin, au saut du lit, il a fallu leur prêter dix francs, sans quoi rien ne se faisait plus… Tout à l’heure, vous avez vu, j’étais sortie des gonds. Mais, vraiment, c’est à se casser la tête contre un mur… Une mariée qui n’a seulement pas un parent à sa noce! Elle dit avoir à Paris une sœur charcutière. Pourquoi ne l’a-t-elle pas invitée, alors?

3 MAI 1876

III
– Suite –

16aElle s’interrompit, pour montrer Gervaise, que la pente du trottoir faisait fortement
boîter.
– Regardez-la! S’il est permis!… Oh! la banban

Et le
mot: la Banban, courut dans la société. Lorilleux ricanait, disait qu’on l’appellerait comme ça, à l’avenir. Mais Mme Fauconnier prenait la défense de Gervaise; on avait tort de se moquer d’elle; elle était propre comme un sou et abattait fièrement l’ouvrage, quand il le fallait. Mme Lerat appelait la jambe de la petite «une quille d’amour».
La noce, débouchant de la rue Saint-Denis, traversa le boulevard. Elle attendit un moment, devant le flot des voitures; puis
elle se risqua sur la chaussée, changée par l’orage en une mare de boue coulante. L’ondée reprenait, la noce venait d’ouvrir les parapluies; et, sous les rifflards lamentables, balancés à la main des hommes, les femmes se retroussaient, le défilé s’espaçait dans la crotte, tenant d’un trottoir à l’autre. Alors deux voyous crièrent à la chienlit; des promeneurs accoururent; des boutiquiers, l’air amusé, se 16bhaussèrent derrière leurs vitrines. Au milieu du grouillement de la foule, sur les fonds gris et mouillés du boulevard, les couples en procession mettaient des taches violentes, la robe gros bleu de Gervaise, la robe écrue à fleurs imprimées de madame Fauconnier, le pantalon jaune canari de Boche; une raideur de gens endimanchés donnait des drôleries de carnaval à la redingote luisante de Coupeau et à l’habit carré de M. Madinier; tandis que la belle toilette de Mme Lorilleux, les effilés de Mme Lerat, les jupes fripées de Mlle Remanjou, mêlaient les modes, traînaient à la file les décrochez-moi ça du luxe des pauvres.
Mais c’étaient surtout les chapeaux des messieurs qui égayaient, de vieux chapeaux conservés, ternis par l’obscurité de l’armoire, avec des formes pleines de comique, hautes, évasées, en pointe, des ailes extraordinaires, retroussées, plates, trop larges ou trop étroites. Et les sourires augmentaient encore, quand, tout au bout, pour clore le spectacle, Mme Gaudron, la cardeuse, s’avançait dans sa robe d’un violet cru, avec son ventre de femme enceinte, qu’elle portait énorme, très en avant. La noce, cependant, ne hâtait point sa marche, bonne enfant, heureuse d’être regardée, s’amusant des plaisanteries.
– Tiens! la mariée! cria l’un des voyous, en montrant
Mme Gaudron. Ah! malheur! elle a avalé un rude pépin!
Toute la société éclata de rire. Bibi
la Grillade, se tournant, dit que le gosse avait bien envoyé ça. La cardeuse riait le plus fort, s’étalait; ça n’était pas déshonorant, au contraire; il y avait plus d’une dame qui louchait en passant et qui aurait bien voulu être comme elle.
On s’était engagé dans la rue de Cléry. Ensuite, on prit la rue du Mail. Sur la place des Victoires
il y eut un arrêt. La mariée avait le cordon de son soulier gauche dénoué; et, comme elle le rattachait, 16cau pied de la statue de Louis XIV, les couples se serrèrent derrière elle, attendant, plaisantant sur le bout de mollet qu’elle montrait. Enfin, après avoir descendu la rue Croix-des-Petits-Champs, on arriva au Louvre.
M. Madinier, poliment, demanda à prendre la tête du cortége.
C’était très
grand; on pouvait se perdre; et lui, d’ailleurs, connaissait les beaux endroits, parce qu’il était souvent venu avec un artiste, un garçon bien intelligent, auquel une grande maison de cartonnage achetait des dessins, pour les mettre sur des boîtes. En bas, quand la noce se fut engagée dans le musée assyrien, elle eut un petit frisson. Fichtre! il ne faisait pas chaud; la salle aurait fait une fameuse cave. Et, lentement, les couples avançaient, le menton levé, les paupières battantes, entre les colosses de pierre, les dieux de marbre noir muets dans leur raideur hiératique, les bêtes monstrueuses, moitié chattes et moitié femmes, avec des figures de mortes, le nez aminci, les lèvres gonflées. Ils trouvaient tout ça très vilain. On travaillait joliment mieux la pierre au jour d’aujourd’hui. Une inscription en caractères phéniciens les stupéfia. Ce n’était pas possible, personne n’avait jamais lu ce grimoire. Mais M. Madinier, déjà sur le premier palier avec Mme Lorilleux, les appelait, criant sous les voûtes:
– Venez donc. Ce n’est rien, ces machines… C’est au premier qu’il faut voir.
La nudité sévère de l’escalier les rendit graves. Un huissier superbe, en gilet rouge, la livrée galonnée d’or, qui semblait les attendre sur le palier, redoubla leur émotion. Ce fut avec un grand respect, marchant le plus doucement possible, qu’ils entrèrent dans la galerie française.
Alors, sans s’arrêter, les yeux emplis de l’or des cadres, ils suivirent l’enfilade des petits salons, regardant passer les images, trop nombreuses pour être bien vues. Il 16daurait fallu une heure devant chacune, si l’on avait voulu comprendre. Que de tableaux, sacredié! ça ne finissait pas. Il devait y en avoir pour de l’argent. Puis,
tout au bout, M. Madinier les arrêta brusquement devant le Radeau de la Méduse; et il leur expliqua le sujet. Tous, les yeux en l’air, saisis, ne disaient rien. Quand on se remit à marcher, Boche résuma le sentiment général: c’était tapé.
Dans la galerie d’Apollon, le parquet surtout émerveilla la société, un parquet luisant, clair comme un miroir, où les pieds des banquettes se reflétaient.
Mlle Remanjou fermait les yeux, parcequ’elle croyait marcher sur de l’eau. On criait à Mme Gaudron de prendre garde de poser ses souliers à plat, à cause de sa position. M. Madinier voulait leur montrer les dorures et les peintures du plafond; mais ça leur cassait le cou, et ils ne distinguaient rien. Alors, avant d’entrer dans le salon carré, il indiqua une fenêtre du geste, en disant:
– Voilà le balcon d’où Charles IX a tiré sur le peuple.
Cependant, il surveillait la queue du cortége. D’un geste, il commanda une halte, au milieu du salon carré. Il n’y avait là que des chefs-d’œuvre, murmurait-il à demi-voix, comme dans
un temple. On fit le tour du salon. Gervaise demanda le sujet des Noces de Cana; c’était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres. Coupeau s’arrêta devant la Joconde, à laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi-la-Grillade ricanaient, en se montrant du coin de l’œil les femmes nues; les cuisses de l’Antiope surtout leur causèrent un saisissement. Et, tout au bout, le ménage Gaudron, l’homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient béants, attendris et stupides, en face de la Vierge de Murillo.
Le tour du salon terminé, M. Madinier voulut qu’on recommençât; ça en valait la 16epeine. Il s’occupait beaucoup de
Mme Lorilleux, à cause de sa robe de soie; et, à chaque question qu’elle lui posait, il répondait gravement, avec un grand aplomb. Comme elle s’intéressait à la maîtresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure jaune pareille à la sienne, il la lui donna pour la belle Ferronnière, une maîtresse d’Henri IV, sur laquelle on avait joué un drame, à l’Ambigu.
Puis
la noce se lança dans la longue galerie où sont les écoles italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu’on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violent tohu-bohu de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête. M. Madinier ne parlait plus, menait lentement le cortége, qui le suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en l’air.
Des siècles d’art et de génie passaient devant leur ignorance ahurie, la sécheresse fine des primitifs, les splendeurs des Vénitiens, la vie grasse et belle de lumière des Hollandais. Mais ce qui les intéressait le plus, c’étaient encore les copistes, avec leurs chevalets installés parmi le monde, peignant sans gêne; une vieille dame, montée sur une grande échelle, promenant un pinceau à badigeon dans le ciel tendre d’une immense toile, les frappa d’une façon particulière. Peu à peu, pourtant, le bruit avait dû se répandre qu’une noce visitait le Louvre; des peintres accouraient, la bouche fendue d’un rire; des curieux s’asseyaient à l’avance sur des banquettes pour assister commodément au défilé; tandis que les gardiens, les lèvres pincées, retenaient des mots d’esprit. Et la noce, déjà lasse, perdant de son respect, traînait ses souliers à clous, tapait ses talons sur les parquets sonores, avec le piétinement d’un troupeau débandé, lâché au 16fmilieu de la propreté nue et recueillie des salles.
M. Madinier se taisait pour ménager un effet. Il alla droit à la Kermesse de Rubens. Là, il ne dit toujours rien, il se contenta d’indiquer la toile, d’un coup d’œil égrillard. Les dames, quand elles eurent le nez sur la peinture, poussèrent de petits cris; puis
elles se détournèrent, très rouges. Les hommes les retinrent, rigolant, cherchant les détails orduriers.
– Voyez donc
, répétait Boche, ça vaut l’argent. En voilà un qui dégobille. Et celui-là, il arrose les pissenlits. Et celui-là, oh! celui-là… Ah bien! ils sont propres, ici!
– Allons-nous-en, dit M. Madinier, ravi de son succès. Il n’y a plus rien à voir de ce côté.
La noce retourna sur ses pas, traversa de nouveau le salon carré et la galerie d’Apollon.
Mme Lerat et Mlle Remanjou se plaignaient, déclaraient que les jambes leur rentraient dans le corps. Mais le cartonnier voulait montrer à Lorilleux les bijoux anciens. Ça se trouvait à deux pas, au fond d’une petite pièce, où il serait allé les yeux fermés. Pourtant il se trompa, égara la noce le long de sept ou huit salles, désertes, froides, garnies seulement de vitrines sévères où s’alignaient une quantité innombrables de pots cassés et de bonshommes très laids. Elle frissonnait, s’ennuyait, ferme. Puis, comme elle revenait sur ses pas, elle tomba dans les dessins. Ce fut une nouvelle course immense; les dessins n’en finissaient pas, les salons succédaient aux salons, sans rien de drôle, avec des feuilles de papier gribouillées, sous des vitres, contre les murs. M. Madinier, perdant la tête, ne voulut pas avouer qu’il était perdu, enfila un escalier, fit monter un étage à la noce.

4 MAI 1876

III
– Suite –

17aCette fois, elle voyageait au milieu du musée de marine, parmi des modèles d’instruments et de canons, des plans en relief, des vaisseaux grands comme des joujoux. Un autre escalier se rencontra très loin, au bout d’un quart d’heure de marche. Et, l’ayant descendu, elle se retrouva de nouveau en plein dans les dessins. Alors, le désespoir la prit, elle roula au hasard des salles, les couples toujours à la file, suivant M. Madinier qui s’épongeait le front, hors de lui, furieux contre l’administration qu’il accusait d’avoir changé les portes de place. Les gardiens et les visiteurs la regardaient passer, pleins d’étonnement. En moins de vingt minutes, on la revit au salon carré, dans la galerie française, le long des vitrines où dorment les petits dieux de l’Orient. Jamais plus elle ne sortirait. Les jambes cassées, s’abandonnant, la noce faisait un vacarme énorme, laissant dans sa course le ventre de Mme Gaudron en arrière.
– On ferme! on ferme! crièrent les voix puissantes des gardiens.
Et elle faillit se laisser enfermer. Il fallut qu’un gardien se
mit à sa tête, la reconduisit jusqu’à l’escalier. Puis, dans la cour du Louvre, lorsqu’elle eut repris ses parapluies au vestiaire, elle respira. M. Madinier retrouvait son aplomb; il avait eu tort de ne pas tourner à gauche; main17btenant, il se souvenait que les bijoux étaient à gauche. Toute la société, d’ailleurs, affectait d’être contente d’avoir vu ça.
Quatre heures sonnaient. On avait encore deux heures à employer avant le
diner. On résolut de faire un tour, pour tuer le temps. Les dames, très lasses, auraient bien voulu s’asseoir; mais, comme personne n’offrait des consommations, on se remit en marche, on suivit le quai. Là, une nouvelle averse arriva, si drue, que malgré les parapluies, les toilettes des dames s’abîmaient. Mme Lorilleux, le cœur noyé à chaque goutte qui mouillait sa robe, proposa de se réfugier sous le Pont-Royal; d’ailleurs, si on ne la suivait pas, elle y descendrait toute seule. Et le cortége alla sous le Pont-Royal. On y était joliment bien. Par exemple, on pouvait appeler ça une idée chouette! Les dames étalèrent leurs mouchoirs sur les pavés, se reposèrent là, les genoux écartés sous les jupes tendues, arrachèrent des deux mains des brins d’herbe poussés entre les pierres, regardant couler l’eau noire, comme si elles se trouvaient à la campagne.
Les hommes s’amusèrent à crier très fort, pour éveiller l’écho de l’arche et de la première pile, en face d’eux; Boche et Bibi-la-Grillade, l’un après l’autre, injuriaient le vide, lui lançaient à toute volée: «Cochon!» et riaient beaucoup, quand l’écho leur renvoyait le mot; puis, la gorge enrouée, ils prirent des cailloux plats, jouèrent à faire des ricochets. L’averse avait cessé, la société restait là. La Seine charriait des eaux grasses, de vieux bouchons et des épluchures de légumes, un tas d’ordures qu’un tourbillon retenait un instant, dans l’eau inquiétante, toute assombrie par l’ombre de la voûte; tandis que, sur le pont, passait le roulement des omnibus et des fiacres, la cohue de Paris, dont on apercevait seulement des toits, à droite et à gauche, comme du fond d’un trou. Mlle Re17cmanjou soupirait; s’il y avait eu des feuilles, ça lui aurait rappelé, disait-elle, un coin de la Marne où elle allait, vers 1817, avec un jeune homme dont elle portait encore le deuil.
Cependant, M
. Madinier donna le signal du départ. On traversa le jardin des Tuileries, au milieu d’un petit peuple d’enfants dont les cerceaux et les ballons dérangèrent le bel ordre des couples. Puis, comme la noce, arrivée sur la place Vendôme, regardait la colonne, M. Madinier songea à faire une galanterie aux dames; il leur offrit de monter dans la colonne, pour voir Paris. Son offre parut très farce. Oui, oui, il fallait monter, on en rirait longtemps. D’ailleurs, ça ne manquait pas d’intérêt pour les personnes qui n’avaient jamais quitté le plancher aux vaches.
– Si vous croyez que la Banban va se risquer là
-dedans, avec sa quille! murmurait Mme Lorilleux.
– Moi, je monterais volontiers, disait
Mme Lerat, mais je ne veux pas qu’il y ait d’homme derrière moi.
Et la noce monta. Dans l’étroite spirale de l’escalier, les douze grimpaient à la file, butant contre les marches usées, se tenant aux murs. Puis, quand l’obscurité devint complète, ce fut une bosse de rires. Les dames poussaient de petits cris. Les messieurs les chatouillaient, leur pinçaient les jambes. Mais elles étaient bien bêtes de causer
; on a l’air de croire que ce sont les souris. D’ailleurs, ça restait sans conséquence; ils savaient s’arrêter où il fallait, pour l’honnêteté. Puis, Boche trouva une plaisanterie que toute la société répéta: On appelait Mme Gaudron, comme si elle était restée en chemin, et on lui demandait si son ventre passait. Songez donc! si elle s’était trouvée prise là, sans pouvoir monter ni descendre, elle aurait bouché le trou, on n’aurait jamais su comment s’en aller. Et l’on riait de ce ventre de femme enceinte, avec une gaieté formidable qui 17dsecouait la colonne. Ensuite, Boche, tout à fait lancé, déclara qu’on se faisait vieux, dans ce tuyau de cheminée; ça n’allait donc pas finir, on allait donc au ciel? et il cherchait à effrayer les dames, ça remuait pour sûr. Cependant, Coupeau ne disait rien; il venait derrière Gervaise, la tenait à la taille, la sentait s’abandonner. Lorsque, brusquement, on rentra dans le jour, il était juste en train de lui embrasser le cou.
– Eh bien! vous êtes propres, ne vous gênez pas tous les deux! dit madame Lorilleux d’un air scandalisé.
Bibi
la Grillade paraissait furieux. Il répétait entre ses dents:
– Vous en avez fait un bruit! Je n’ai pas seulement pu compter les marches.
Mais M. Madinier, sur la
plate-forme, montrait déjà les monuments. Jamais Mme Fauconnier ni Mlle Remanjou ne voulurent sortir de l’escalier; la pensée seule du pavé, en bas, leur tournait les sangs; et elles se contentaient de risquer des coups d’œil par la petite porte. Mme Lerat, plus crâne, faisait le tour de l’étroite terrasse, en se collant contre le bronze du dôme. Mais c’était tout de même rudement émotionnant, quand on songeait qu’il aurait suffi de passer une jambe. Quelle culbute, sacré Dieu! Les hommes, un peu pâles, regardaient la place. On se serait cru en l’air, séparé de tout. Non, décidément, ça vous faisait froid aux boyaux.
M. Madinier, pourtant, recommandait de lever les yeux, de les diriger devant soi, très loin; ça empêchait le vertige. Et il continuait à indiquer du doigt les Invalides, le Panthéon, Notre-Dame, la tour Saint-Jacques, les buttes Montmartre. Puis, madame Lorilleux eut l’idée de demander si l’on apercevait, sur le boulevard de la Chapelle, le marchand de vin où l’on allait manger, au Moulin d’Argent. Alors, pendant dix minutes, on chercha, on se disputa même; chacun plaçait le marchand de vin à un endroit. Paris, autour d’eux, étendait 17eson immensité grise, aux lointains bleuâtres, ses vallées profondes, où roulait une houle de toitures; toute la rive droite était dans l’ombre, sous un grand haillon de nuage cuivré; et, du bord de ce nuage frangé d’or un large rayon coulait, qui allumait les milliers de vitres de la rive gauche d’un pétillement d’étincelles, dans un brasier, détachant en lumière ce coin de la ville sur un ciel très pur, lavé par l’orage.
– Ce n’était pas la peine de monter pour nous manger le nez, dit Boche, furieux, en reprenant l’escalier.
La noce descendit, muette, boudeuse, avec la seule dégringolade des souliers sur les marches. En bas, M. Madinier voulait payer. Mais Coupeau se récria, se hâta de mettre dans la main du gardien vingt-quatre sous, deux sous par personne. Il était près de cinq heures et demie; on avait tout juste le temps de rentrer. Alors, on revint par les boulevards et par le faubourg Poissonnière. Coupeau, pourtant, trouvait que la promenade ne pouvait pas se terminer comme ça; il poussa tout le monde au fond d’un marchand de vin, où l’on prit du vermouth.
Le repas était commandé pour six heures. On attendait la noce depuis vingt minutes, au Moulin
d’Argent. Madame Boche, qui avait confié sa loge à une dame de la maison, causait avec maman Coupeau, dans le salon du premier, en face de la table servie; et les deux gamins, Claude et Étienne, amenés par elle, jouaient à courir sous la table, au milieu d’une débandade de chaises. Lorsque Gervaise, en entrant, aperçut les petits, qu’elle n’avait pas vus de la journée, elle les prit sur ses genoux, les caressa, avec de gros baisers.
– Ont-ils été sages? demanda-t-elle à madame Boche. Ils ne vous ont pas trop fait endêver, au moins?
Et, comme celle-ci lui racontait les mots à mourir de rire de ces vermines-là, pendant l’après-midi, elle les enleva de nouveau, les 17fserra contre elle, prise d’une rage de tendresse.
– C’est drôle pour Coupeau
, tout de même, disait Mme Lorilleux aux autres dames, dans le fond du salon.
Gervaise avait gardé sa tranquillité souriante de la matinée. Depuis la promenade pourtant, elle devenait par moments toute triste,
et elle regardait son mari et les Lorilleux de son air pensif et raisonnable. Elle trouvait Coupeau lâche devant sa sœur. La veille encore, il criait fort, il jurait de les remettre à leur place, ces langues de vipères, s’ils lui manquaient. Mais en face d’eux, elle le voyait bien, il faisait le chien couchant, guettait sortir leurs paroles, était aux cent coups quand il les croyait fâchés. Et cela, simplement, inquiétait la jeune femme pour l’avenir.
Cependant, on n’attendait plus que Mes-Bottes, qui n’avait pas encore paru.
– Ah! zut! cria
Coupeeu, mettons-nous à table. Vous allez le voir abouler; il a le nez creux, il sent la boustifaille de loin… Dites donc, il doit rire, s’il est toujours à faire le poireau sur la route de Saint-Denis!
Alors
la noce, très égayée, s’attabla avec un grand bruit de chaises. Au milieu, Lorilleux s’assit à la droite de , en priant M. Madinier de se mettre à sa gauche; de l’autre côté, Coupeau avait à sa droite Mme Lorilleux, et à sa gauche Mme. Les autres convives se placèrent à leur goût; parce que ça finissait toujours par des jalousies et des disputes lorsqu’on leur indiquait les couverts. Boche se glissa entre Mme Lerat et Mme Gaudron. Bibi la Grillade eut pour voisine Mlle Remanjou. Quant à Mme Boche et à maman Coupeau, tout au bout, elles gardèrent les enfants, elles se chargèrent de couper leur viande, de leur verser à boire, surtout pas beaucoup de vin.

5 MAI 1876

III
– Suite –

18aPersonne ne dit le benedicite? demanda Boche, pendant que les dames arrangeaient leurs jupes sous la nappe, par peur des taches.
Mais
Mme Lorilleux n’aimait pas ces plaisanteries-là. Et le potage au vermicelle, presque froid, fut mangé très vite, avec des sifflements de lèvres dans les cuillers. Deux garçons servaient, en petites vestes graisseuses, en tablier d’un blanc douteux. Par les quatre fenêtres, ouvertes sur les acacias de la cour le plein jour entrait, une fin de journée d’orage, lavée et chaude encore, d’une pureté éclatante. Le reflet des arbres dans ce coin humide verdissait la salle enfumée, faisait danser des ombres de feuilles au dessus de la nappe mouillée d’une odeur vague de moisi. Il y avait deux glaces, pleines de chiures de mouches, une à chaque bout, qui allongeaient la table à l’infini, couverte de sa vaisselle épaisse, tournant au jaune, où le gras des eaux de l’évier restait en noir dans les égratignures des couteaux. Au fond, chaque fois qu’un garçon remontait de la cuisine, la porte battait, soufflait une odeur forte de graillon.
– Ne parlons pas tous à la fois, dit Boche, comme chacun se taisait, le nez sur son assiette.
Et l’on buvait le premier verre de vin, en suivant des yeux deux tourtes aux godi18bveaux, servies par les garçons, lorsque Mes-Bottes entra.
– Eh bien! vous êtes de la jolie fripouille, vous autres! cria-t-il. J’ai usé mes plantes pendant trois heures sur la route, même qu’un gendarme m’a demandé mes papiers… Est-ce qu’on fait de ces cochonneries-là à un ami! Fallait au moins m’envoyer un sapin par un commissionnaire. Ah! non, vous savez, blague dans le coin, je la trouve raide. Avec ça, il pleuvait si fort
que j’avais de l’eau dans mes poches… Vrai, on y pêcherait encore une friture.
La société riait, se tordait. Cet animal de Mes-Bottes était allumé; il avait bien déjà ses deux litres; histoire seulement de ne pas se laisser embêter par tout ce sirop de grenouille que l’orage avait craché sur ses abattis.
– Eh! le comte de Gigot-Fin! dit Coupeau, va t’asseoir là-bas, à côté de
Mme Gaudron. Tu vois, on t’attendait.
Oh! ça ne l’embarrassait pas
; il rattraperait les autres; et il redemanda trois fois du potage, des assiettes de vermicelle, dans lesquelles il coupait d’énormes tranches de pain. Alors, quand on eut attaqué les tourtes, il devint la profonde admiration de toute la table. Comme il baffrait! Les garçons effarés faisaient la chaîne pour lui passer du pain, des morceaux finement coupés qu’il avalait d’une bouchée. Il finit par se fâcher; il voulut un pain à côté de lui. Le marchand de vin, très inquiet, se montra un instant sur le seuil de la salle. La société, qui l’attendait, se tordit de nouveau. Ça la lui coupait, au gargotier! Quel sacré zig tout de même, ce Mes-Bottes! Est-ce qu’un jour il n’avait pas mangé douze œufs durs et bu douze verres de vin pendant que les douze coups de midi sonnaient! On n’en rencontrait pas beaucoup de cette force-là. Et Mlle Remanjou, attendrie, regardait Mes-Bottes mâcher, tandis que M. Madinier, cherchant un mot pour exprimer son étonnement presque respectueux, déclara une telle capacité extraordinaire.
18cIl y eut un silence. Un garçon venait de poser sur la table une gibelotte de lapin, dans un vaste plat
creux comme un saladier. Coupeau, très blagueur, en lança une bonne:
– Dites donc? garçon, c’est du lapin de gouttière, ça… Il miaule encore.
En effet, un léger miaulement, parfaitement imité, semblait sortir du plat. C’était Coupeau, qui faisait ça avec la gorge, sans remuer les lèvres; un talent de société d’un succès certain, si bien qu’il ne mangeait jamais dehors sans commander une gibelotte. Ensuite, il ronronna. Les dames se tamponnaient la figure avec leurs serviettes, parce qu’elles riaient trop.
Madame Fauconnier demanda la tête; elle n’aimait que la tête. Mademoiselle Remanjou adorait les lardons. Et
comme Boche disait préférer les petits oignons, quand ils étaient bien revenus, madame Lerat pinça les lèvres en murmurant:
– Je comprends ça.
Elle était sèche comme un
copeau, menait une vie d’ouvrière cloîtrée dans son train-train, n’avait pas vu le nez d’un homme chez elle depuis son veuvage, tout en montrant une préoccupation continuelle de l’ordure, une manie de mots à double entente et d’allusions polissonnes, d’une telle profondeur, qu’elle seule les comprenait.
– Sans doute les petits ognons. Ça suffit, je pense.
Mais la conversation devenait sérieuse. Chacun parlait de son métier. M. Madinier exaltait le cartonnage; il y avait de vrais artistes, dans la partie; ainsi, il citait des boîtes d’étrennes, dont il connaissait les modèles, des merveilles de luxe. Lorilleux, pourtant, ricanait; il était très
vaniteux de travailler l’or, il en voyait comme un reflet sur ses doigts et sur toute sa personne. Enfin, disait-il souvent, les bijoutiers, au temps jadis, portaient l’épée; et il citait Bernard Palissy, sans savoir. Coupeau, lui, racontait une girouette, un chef-d’œuvre d’un de ses camarades; ça se composait d’une colonne, puis d’une gerbe, 18dpuis d’une corbeille de fruits, puis d’un drapeau; le tout, très bien reproduit, fait rien qu’avec des morceaux de zinc découpés et soudés. Mme Lerat montrait à Bibi-la-Grillade comment on tournait une queue de rose, en roulant le manche de son couteau entre ses doigts osseux. Cependant, les voix montaient, se croisaient; on entendait, dans le bruit, des mots lancés très haut par Mme Fauconnier, se plaignant de ses ouvrières, d’un petit chausson d’apprentie qui lui avait encore brûlé, la veille, une paire de draps.
– Vous avez beau dire, cria Lorilleux en donnant un coup de poing sur la table, l’or, c’est de l’or.
Et, au milieu du silence causé par cette vérité, il n’y eut plus que la voix fluette de
Mlle Remanjou, continuant:
– Alors, je leur relève la jupe, je couds en dedans… Je leur plante une épingle dans la tête pour tenir le bonnet… Et c’est fait
; on les vend treize sous.
Elle expliquait ses poupées à Mes-Bottes
, dont les mâchoires, lentement, roulaient comme des meules. Il n’écoutait pas, il hochait la tête, guettant les garçons, pour ne pas leur laisser emporter les plats sans les avoir torchés. On avait mangé un fricandeau au jus et des haricots verts. On apportait le rôti, deux poulets maigres, couchés sur un lit de cresson fané et cuit par le four. Au dehors, le soleil mourait sur les branches hautes des acacias. Dans la salle, le reflet verdâtre s’épaississait des buées montant de la table, tachée de vin et de sauce, encombrée de la débâcle du couvert; et, le long du mur, des assiettes sales, des litres vides, posés là par les garçons, semblaient des ordures balayées et culbutées de la nappe. Il faisait très chaud. Les hommes retirèrent leurs redingotes, continuèrent à manger en manches de chemises.
– Madame Boche, je vous en prie, ne les bourrez pas tant, dit Gervaise, qui parlait peu, surveillant de loin Claude et Étienne.
Elle se leva, alla causer un instant, de18ebout derrière les chaises des petits. Les enfants, ça n’avait pas de raison
: ça mangeait toute une journée sans refuser les morceaux; et elle leur servit elle-même du poulet, un peu de blanc. Mais maman Coupeau dit qu’ils pouvaient bien pour une fois se donner une indigestion, que ça n’arrivait pas tous les jours. Mme Boche, à voix basse, accusa Boche de pincer les genoux de Mme Lerat. Oh! c’était un sournois, il godaillait. S’il recommençait, jour de Dieu! elle était femme à lui flanquer une carafe à la tête.
Dans le silence, M. Madinier causait politique.
– Leur loi du 31 mai est une abomination. Maintenant, il faut deux ans de domicile. Trois millions de citoyens sont rayés des listes… On m’a dit que Bonaparte, au fond, est très
vexé, car il aime le peuple en somme; il en a donné des preuves.
Lui, était républicain; mais il admirait le prince
à cause de son oncle, un homme comme on n’en reverrait jamais plus. Bibi-la-Grillade se fâcha: il avait travaillé à l’Élysée, il avait vu le Bonaparte comme il voyait Mes-Bottes, là, en face de lui; eh bien! ce muffe de président ressemblait à un roussin, voilà! On disait qu’il allait faire un tour du côté de Lyon; ça serait un fameux débarras, s’il se cassait le cou dans un fossé. Et, comme la discussion tournait au vilain, Coupeau dut intervenir.
– Ah bien! vous êtes encore innocents
, de vous attraper pour la politique!.. En voilà une blague, la politique! Est-ce que ça existe pour nous?… On peut bien mettre ce qu’on voudra, un roi, un empereur, rien du tout, ça ne m’empêchera pas de gagner mes cinq francs, de manger et de dormir, pas vrai?… Non, c’est trop bête.
Lorilleux hochait la tête. Il était né le même jour que le comte de Chambord, le 29 septembre 1820. Cette coïncidence le frappait beaucoup, l’occupait d’un rêve vague, dans lequel il établissait une relation entre le retour en France du roi et sa fortune personnelle. Il ne disait pas nettement 18fce qu’il espérait, mais il donnait à entendre qu’il lui arriverait alors quelque chose d’extraordinairement agréable. Aussi, à chacun de ses désirs trop gros pour être contentés, il renvoyait ça à plus tard, «quand le roi reviendrait.»
– D’ailleurs, raconta-t-il, j’ai vu un soir le comte de Chambord…
Tous les visages se tournèrent vers lui.
– Parfaitement. Un gros homme, en paletot, l’air bon garçon… J’étais chez Péquignot, un de mes amis, qui vend des meubles, Grande-Rue de la Chapelle
!… Le comte de Chambord avait la veille laissé là un parapluie. Alors il est entré, il a dit comme ça, tout simplement: «Voulez-vous bien me rendre mon parapluie?» Mon Dieu! oui, c’était lui, Péquignot m’a donné sa parole d’honneur.
Aucun des convives n’émit le moindre doute. On était au dessert. Les garçons
venaient de débarrasser la table avec un grand bruit de vaisselle. Et Mme Lorilleux, jusque là très convenable, très dame, laissa échapper un: Sacré salaud! parce que l’un des garçons, en enlevant un plat, lui avait fait couler quelque chose de mouillé dans le cou. Pour sûr, sa robe de soie était tachée; M. Madinier dut lui regarder le dos; mais il n’y avait rien, il le jurait. Maintenant, au milieu de la nappe, s’étalaient des œufs à la neige dans un saladier, flanqués de deux assiettes de fromage et de deux assiettes de fruits. Les œufs à la neige, les blancs trop cuits nageant sur la crème jaune, causèrent un recueillement; on ne les attendait pas, on trouva ça distingué. Mes-Bottes mangeait toujours. Il avait redemandé du pain. Il acheva les deux fromages; et, comme il restait de la crème, il se fit passer le saladier; il tailla dedans de larges tranches, comme pour une soupe.
– Monsieur est vraiment bien remarquable, dit M. Madinier retombé dans son admiration.

7 MAI 1876

III
– Suite –

19aAlors
les hommes se levèrent pour prendre leurs pipes. Ils restèrent un instant derrière Mes-Bottes, à lui donner des tapes sur les épaules, en lui demandant si ça allait mieux. Bibi-la-Grillade le souleva avec la chaise: mais, tonnerre de Dieu! l’animal avait doublé de poids. Coupeau, par blague, racontait que le camarade commençait seulement à se mettre en train, qu’il allait à présent manger comme ça du pain toute la nuit. Les garçons, épouvantés, disparurent. Boche, descendu depuis un instant, remonta en racontant la bonne tête du marchand de vin, en bas; il était tout pâle dans son comptoir, la bourgeoise consternée venait d’envoyer voir si les boulangers restaient ouverts, jusqu’au chat de la maison qui avait l’air ruiné. Vrai, c’était trop cocasse, ça valait l’argent du dîner, il ne pouvait pas y avoir de pique-nique sans cet avale-tout de Mes-Bottes. Et les hommes, leurs pipes allumées, le couvaient d’un regard jaloux, car enfin, pour tant manger, il fallait être solidement bâti!
– Je ne voudrais pas être chargée de 19bvous nourrir, dit
Mme Gaudron. Ah! non par exemple!
– Dites donc, la petite mère, faut pas blaguer, répondit Mes
Bottes, avec un regard oblique sur le ventre de sa voisine. Vous en avez avalé plus long que moi.
On applaudit, on cria bravo: c’était envoyé. Il faisait nuit noire, trois becs de gaz flambaient dans la salle, remuant de grandes clartés troubles, au milieu de la fumée des pipes. Les garçons, après avoir servi le café et le cognac, venaient d’emporter les dernières piles d’assiettes sales. En bas, sous les trois acacias, le bastringue commençait, un cornet à pistons et deux violons jouant très
fort, avec des rires de femme, un peu rauques dans la nuit chaude.
– Faut faire un brûlot! cria Mes
Bottes; deux litres de casse-poitrine, beaucoup de citron et pas beaucoup de sucre!
Mais Coupeau, voyant en face de lui le visage inquiet de Gervaise, se leva en déclarant qu’on ne boirait pas davantage. On avait vidé vingt-cinq litres, chacun son litre et demi, en comptant les enfants comme des grandes personnes; c’était déjà trop raisonnable. On venait de manger un morceau ensemble, en bonne amitié, sans flafla, parce qu’on avait de l’estime les uns pour les autres et qu’on désirait célébrer entre soi une fête de famille. Tout se passait très
gentillement, on était gai, il ne fallait pas maintenant se cocarder cochonnément, si l’on voulait respecter les dames. En un mot, et comme fin finale, on s’était réuni pour porter une santé au conjungo, et non pour se mettre dans les brindezingues. Ce petit discours débité d’une voix convaincue par le zingueur, qui posait la main sur sa poitrine à la chute de chaque phrase, eut la vive approbation de Lorilleux et de M. Madinier. Mais les autres, Boche, Gaudron, Bibi-la-Grillade, surtout Mes-Bottes, très allumés tous les quatre, ricanèrent, la langue épaissie, ayant une sacrée coquine de soif, qu’il fallait pourtant arroser.
– Ceux qui ont soif, ont soif, et ceux qui n’ont pas soif, n’ont pas soif, fit remar19cquer Mes-Bottes. Pour lors, on va commander le brûlot… On n’esbrouffe personne. Les aristos feront monter de l’eau sucrée.
Et comme le zingueur recommençait à prêcher, l’autre, qui s’était mis debout, se donna une claque sur la fesse, en criant:
– Ah! tu sais, baise cadet!… Garçon, deux litres de vieille!
Alors, Coupeau dit que c’était très
bien, qu’on allait seulement régler le repas tout de suite. Ça éviterait des disputes. Les gens bien élevés n’avaient pas besoin de payer pour les soulards. Et, justement, Mes-Bottes, après s’être fouillé longtemps, ne trouva que trois francs sept sous. Aussi pourquoi l’avait-on laissé droguer sur la route de Saint-Denis? Il ne pouvait pas se laisser noyer, il avait cassé la pièce de cent sous. Les autres étaient fautifs, voilà. Enfin, il donna trois francs, gardant les sept sous pour son tabac du lendemain, Coupeau, furieux, aurait cogné, si Gervaise ne l’avait tiré par sa redingote, très effrayée, suppliante. Il se décida à emprunter deux francs à Lorilleux, qui, après les avoir refusés, se cacha pour les prêter, car sa femme, bien sûr, n’aurait jamais voulu.
Cependant, M. Madinier avait pris une assiette. Les demoiselles et les dames seules,
Mme Lerat, Mme Fauconnier, Mlle Remanjou, déposèrent leur pièce de cent sous les premières, discrètement. Ensuite, les messieurs s’isolèrent à l’autre bout de la salle, firent les comptes. On était quinze; ça montait donc à soixante-quinze francs. Lorsque les soixante-quinze francs furent dans l’assiette, chaque homme ajouta cinq sous pour les garçons. Il fallut un quart d’heure de calculs laborieux, avant de tout régler à la satisfaction de chacun.
Mais quand M. Madinier, qui voulait avoir affaire au patron, eut demandé le marchand de vin, la société resta saisie, en entendant celui-ci dire avec un sourire que ça ne faisait pas du tout son compte. Il y avait des suppléments. Et, comme ce mot de «supplément» était accueilli par des 19dexclamations furibondes, il donna le détail: vingt-cinq litres, au lieu de vingt, nombre convenu à l’avance; les œufs à la neige, qu’il avait ajoutés,
voyant le dessert un peu maigre; enfin un carafon de rhum, servi avec le café, dans le cas où des personnes aimeraient le rhum. Alors une querelle formidable s’engagea. Coupeau, pris à partie, se débattait: jamais il n’avait parlé de vingt litres; quant aux œufs à la neige, ils rentraient dans le dessert, tant pis si le gargotier les avait ajoutés de son plein gré; restait le carafon de rhum, une frime, une façon de grossir la note, en glissant sur la table des liqueurs dont on ne se méfie pas.
– Il était sur le plateau au café, criait-il; eh bien! il doit être compté avec le café… Fichez-nous la paix. Emportez votre argent, et du tonnerre si nous remettons jamais les pieds dans votre baraque!
– C’est six francs de plus, répétait le marchand de vin. Donnez-moi mes six francs… Et je ne compte pas les trois pains de monsieur, encore!
Toute la société, serrée autour de lui, l’entourait d’une rage de gestes, d’un glapissement de voix que la colère étranglait. Les femmes, surtout, sortaient de leur réserve, refusaient d’ajouter un centime. Ah bien! merci, elle était jolie, la noce!
C’était Mlle Remanjou, qui ne se fourrerait plus dans un de ces dîners là! Mme Fauconnier avait très mal mangé; chez elle, pour ses quarante sous, elle aurait eu un petit plat à se lécher les doigts. Mme Gaudron se plaignait amèrement d’avoir été poussée au mauvais bout de la table, à côté de Mes-Bottes, qui n’avait pas montré le moindre égard. Enfin, ces parties tournaient toujours mal. Quand on voulait avoir du monde à son mariage, on invitait les personnes, parbleu! Et Gervaise, réfugiée auprès de maman Coupeau, devant une des fenêtres, ne disait rien, honteuse, sentant que toutes ces récriminations retombaient sur elle.
M. Madinier finit par descendre avec le 19emarchand de vin. On les entendit discuter en bas. Puis, au bout d’une demi
heure, le cartonnier remonta; il avait réglé, en donnant trois francs. Mais la société restait vexée, exaspérée, revenant sans cesse sur la question des suppléments. Et le vacarme s’accrut d’un acte de vigueur de Mme Boche. Elle guettait toujours Boche, elle le vit, dans un coin, pincer la taille de Mme Lerat. Alors, à toute volée, elle lança une carafe qui s’écrasa contre le mur.
– On voit bien que votre mari est tailleur, madame, dit la grande veuve, avec son pincement de lèvres plein de sous-entendu. C’est un juponnier numéro un… Je lui ai pourtant allongé de fameux coups de pied, sous la table.
La soirée était gâtée. On devint de plus en plus aigre. M. Madinier proposa de chanter; mais Bibi
la Grillade, qui avait une belle voix, venait de disparaître; et Mlle Remanjou, accoudée à une fenêtre, l’aperçut, sous les acacias, dans le bastringue, faisant sauter une grosse fille en cheveux. Le cornet à pistons et les deux violons jouaient «le Marchand de moutarde,» un quadrille où l’on tapait dans ses mains, à la pastourelle. Alors, il y eut une débandade: Mes-Bottes et le ménage Gaudron descendirent; Boche lui-même fila. Des fenêtres, on voyait les couples tourner, entre les feuilles, auxquelles les lanternes pendues aux branches donnaient un vert peint et cru de décor. La nuit dormait, sans une haleine, pâmée par la grosse chaleur. Dans la salle, une conversation sérieuse s’était engagée entre Lorilleux et M. Madinier, pendant que les dames, ne sachant plus comment soulager leur besoin de colère, regardaient leurs robes, cherchant si elles n’avaient pas attrapé des tâches.
Les effilés de madame Lerat devaient avoir trempé dans le café. La robe écrue de madame Fauconnier était pleine de sauce. Le châle vert de
la maman Coupeau, tombé d’une chaise, venait d’être retrouvé dans un coin, roulé et piétiné. Mais c’était surtout madame Lorilleux qui ne décolé19frait pas. Elle avait une tache dans le dos, on avait beau lui jurer que non, elle la sentait bien! Et elle finit, en se tordant devant une glace, par l’apercevoir.
– Qu’est-ce que je disais?
criait-elle. C’est du jus de poulet. Le garçon paiera la robe. Je lui ferai plutôt un procès… Ah! la journée est complète. J’aurais mieux fait de rester couchée… Je m’en vais, d’abord. J’en ai assez de leur fichue noce.
Elle partit rageusement, en faisant trembler l’escalier sous les coups de ses talons. Lorilleux courut derrière elle. Mais tout ce qu’il put obtenir, ce fut qu’elle attendrait cinq minutes sur le trottoir, si l’on voulait partir ensemble. Elle aurait dû s’en aller après l’orage, comme elle en avait eu l’envie. Coupeau lui revaudrait cette journée-là. Quand ce dernier la sut si furieuse, il parut consterné; et Gervaise, pour lui éviter des ennuis, consentit à rentrer tout de suite. Alors, on s’embrassa rapidement. M. Madinier se chargea de reconduire maman Coupeau.
Mme Boche devait, pour la première nuit, emmener Claude et Étienne coucher chez elle: leur mère pouvait être sans crainte, les petits dormaient sur des chaises, alourdis par une grosse indigestion d’œufs à la neige. Enfin, les mariés se sauvaient avec Lorilleux, laissant le reste de la noce chez le marchand de vin, lorsqu’une bataille s’engagea en bas, dans le bastringue, entre leur société et une autre société; Boche et Mes-Bottes, qui avaient embrassé une dame, ne voulaient pas la rendre à deux militaires auxquels elle appartenait, et menaçaient de nettoyer tout le tremblement, dans le tapage enragé du cornet à pistons et des deux violons, jouant la polka des Perles.

9 MAI 1876

III
– Suite –

20aIl était à peine onze heures. Sur le boulevard de la Chapelle, et dans tout le quartier de la Goutte-d’Or, la paie de grande quinzaine, qui tombait ce samedi-là, mettait un vacarme énorme de soûlerie. Mme Lorilleux attendait, à vingt pas du Moulin d’Argent, debout sous un bec de gaz. Elle prit le bras de Lorilleux, marcha devant, sans se retourner, d’un tel pas que Gervaise et Coupeau s’essoufflaient à la suivre.
Par moments, ils descendaient du trottoir, pour laisser la place à un ivrogne tombé là, les quatre fers en l’air.
Lorilleux se retourna, cherchant à raccommoder les choses.
– Nous allons vous conduire à votre porte, dit-il.

Mais madame Lorilleux, à demi voix, de façon à être entendue pourtant, trouvait ça drôle tout de même, de passer sa nuit de noce dans ce trou infect de l’hôtel Boncœur. Est-ce qu’ils n’auraient pas dû re20bmettre le mariage, économiser quatre sous et acheter des meubles, pour rentrer chez eux, le premier soir? Ah! ils allaient être bien, sous les toits, à occuper à deux un cabinet de dix francs, où il n’y avait seulement pas d’air.
– J’ai donné congé, nous ne restons pas en haut, objecta Coupeau timidement. Nous gardons la chambre de Gervaise, qui est plus grande.
Mme Lorilleux s’oublia, se tourna d’un mouvement brusque.
– Ça, c’est plus fort! cria-t-elle. Tu vas coucher dans la chambre à la Banban
.
Gervaise devint toute pâle. Ce surnom, qu’elle recevait à la face pour la première fois, la frappait comme un soufflet. Puis, elle entendait bien l’exclamation de sa belle-sœur
; la chambre de la Banban, c’était la chambre où elle avait vécu un mois avec Lantier, où les loques de sa vie passée traînaient encore. Coupeau ne comprit pas, fut seulement blessé du surnom.
– Tu as tort de baptiser les autres, répondit-il avec humeur. Tu ne sais pas, toi, qu’on t’appelle Queue-de-Vache, dans le quartier, à cause de tes cheveux. Là, ça ne te fait pas plaisir, n’est-ce pas?… Pourquoi ne garderions-nous pas la chambre du premier? Ce soir, les enfants n’y couchent pas, nous y serons très-bien.
Mme Lorilleux n’ajouta rien, se renfermant dans sa dignité, horriblement vexée de s’appeler Queue-de-Vache. Coupeau, pour consoler Gervaise, lui serrait doucement le bras, et il réussit même à l’égayer, en lui racontant à l’oreille qu’ils entraient en ménage avec la somme de sept sous toute ronde, trois gros sous et un petit sou, qu’il faisait sonner de la main dans la poche de son pantalon. Quand on fut arrivé à l’Hôtel Boncœur, on se dit bonsoir d’un air fâché. Et au moment où Coupeau poussait les deux femmes à s’embrasser, en les traitant de bêtes, un pochard, qui semblait vouloir passer à droite, eut un brusque 20ccrochet à gauche et vint se jeter entre elles.
– Tiens
! c’est le père Bazouge, dit Lorilleux. Il a son compte, aujourd’hui.
Gervaise, effrayée, se collait contre la porte de l’hôtel. Le père Bazouge, un croque-mort d’une cinquantaine d’années, avait son pantalon noir taché de boue, son manteau noir agrafé sur l’épaule, son chapeau de cuir noir cabossé, aplati dans quelque chute.
– N’ayez pas peur, il n’est pas méchant, continuait Lorilleux. C’est un voisin; la troisième chambre dans le corridor, avant d’arriver chez nous… Il serait propre, si son administration le voyait comme ça!
Cependant, le père Bazouge s’offusquait de la terreur de la jeune femme.
– Eh bien, quoi! bégaya-t-il, on ne mange personne dans notre partie… J’en vaux un autre, allez, ma petite… Sans doute que j’ai bu un coup! Quand l’ouvrage donne, faut bien se graisser les roues. Ce n’est pas vous, ni la compagnie, qui
descendriez le particulier de six cents livres que nous avons amené à deux du quatrième sur le trottoir, et sans le casser encore… Moi, j’aime les gens rigolos.
Mais Gervaise se rentrait davantage dans l’angle de la porte, prise d’une grosse envie de pleurer
qui lui gâtait toute sa journée de joie raisonnable. Elle ne songeait plus à embrasser sa belle-sœur, elle suppliait Coupeau d’éloigner l’ivrogne. Alors, Bazouge, en chancelant, eut un geste plein de dédain philosophique.
– Ça ne vous empêchera pas d’y passer, ma petite… Vous serez peut-être bien contente d’y passer, un jour… Oui, j’en
conconnais, des femmes, qui diraient merci, si on les emportait.
Et, comme les Lorilleux se décidaient à l’emmener, il se retourna, il balbutia une dernière phrase, entre deux hoquets.
– Quand on est mort… écoutez ça…
. quand on est mort, c’est pour longtemps.

IV

20dCe furent quatre années de dur travail.

Dans le quartier, Gervaise et Coupeau étaient un bon ménage, vivant à l’écart, sans batteries, avec un tour de promenade régulier le dimanche, du côté de Saint-Ouen. La femme faisait des journées de douze heures chez Mme Fauconnier, et trouvait le moyen de tenir son chez elle propre comme un sou, de donner la pâtée à tout son monde, matin et soir. L’homme ne se soûlait pas, rapportait ses quinzaines, fumait une pipe à sa fenêtre avant de se coucher, pour prendre l’air. On les citait, à cause de leur gentillesse. Et, comme ils gagnaient à eux deux près de neuf francs francs par jour, on calculait qu’ils devaient mettre de côté pas mal d’argent.
Mais, dans les premiers temps surtout, il leur fallut joliment trimer, pour joindre les deux bouts. Leur mariage leur avait mis sur le dos une dette de deux cents francs. Puis, ils s’abominaient, à l’hôtel Boncœur; ils trouvaient ça dégoûtant, plein de
sale fréquentation; et ils rêvaient d’être chez eux, avec des meubles à eux, qu’ils soigneraient. Vingt fois, ils calculèrent la somme nécessaire; ça montait, en chiffre rond, à trois cent cinquante francs, s’ils voulaient tout de suite n’être pas embarrassés pour serrer leurs affaires et avoir sous la main une casserole ou un poêlon, quand ils en auraient besoin. Ils désespéraient d’économiser une si grosse somme en moins de deux années, lorsqu’il leur arriva une bonne chance: un vieux monsieur de Plassans leur demanda Claude, l’aîné des petits, pour le placer là-bas au collége; une toquade généreuse d’un original, amateur de tableaux, que des bonshommes barbouillés autrefois par le mioche avaient frappé vivement. Claude leur coûtait déjà les yeux de la tête.
20eQuand ils n’eurent plus à leur charge que le cadet, Étienne, ils amassèrent les trois cents cinquante francs en sept mois et demi. Le jour où ils achetèrent leurs meubles, chez un revendeur de la rue Belhomme, ils firent avant de rentrer une promenade sur les boulevards extérieurs, le cœur gonflé d’une grosse joie. Il y avait un lit, une table de nuit, une commode à dessus de marbre, une armoire, une table ronde avec sa toile cirée, six chaises, le tout en vieil acajou; sans compter la literie, du linge, des ustensiles de cuisine presque neufs. C’était pour eux comme une entrée sérieuse et définitive dans la vie, quelque chose qui, en les faisant propriétaires, leur donnait de l’importance, au milieu des gens du quartier, qu’ils coudoyaient.
Le choix d’un logement, depuis deux mois, les occupait. Ils voulurent, avant tout, en louer un dans la grande maison, rue de la Goutte-d’Or. Mais pas une chambre n’y était libre, ils durent renoncer à leur ancien rêve.
À la vérité, Gervaise ne fut pas fâchée, au fond: le voisinage des Lorilleux, porte à porte, l’effrayait beaucoup. Alors, ils cherchèrent ailleurs. Coupeau, très justement, tenait à ne pas s’éloigner de l’atelier de Mme Fauconnier, pour que Gervaise pût, d’un saut, être chez elle à toutes les heures du jour. Et ils eurent enfin une trouvaille, une grande chambre, avec un cabinet et une cuisine, rue Neuve-de-la-Goutte-d’Or, presque en face de la blanchisseuse. C’était une petite maison à un seul étage, un escalier très raide, en haut duquel il y avait seulement deux logements, l’un à droite, l’autre à gauche; le bas se trouvait habité par un loueur de voitures, dont le matériel occupait des hangars dans une vaste cour, le long de la rue. La jeune femme, charmée, croyait retourner en province; pas de voisines, pas de cancans à craindre, un coin de tranquillité qui lui rappelait une ruelle de Plassans, derrière les remparts; 20fet, pour comble de chance, elle pouvait voir sa fenêtre, de son établi, sans quitter ses fers, en allongeant la tête.
L’emménagement eut lieu au terme d’avril. Gervaise était alors enceinte de huit mois. Mais elle montrait une belle vaillance, disant avec un rire que l’enfant l’aidait
lorsqu’elle travaillait; elle sentait, en elle, ses petites menottes pousser et lui donner des forces. Ah bien! elle recevait joliment Coupeau, les jours où il voulait la faire coucher pour se dorloter un peu! Elle se coucherait aux grosses douleurs. Ce serait toujours assez tôt; car, maintenant, avec une bouche de plus, il allait falloir donner un rude coup de collier. Et ce fut elle qui nettoya le logement, avant d’aider son mari à mettre les meubles en place. Elle eut une religion pour ces meubles, les essuyant avec des soins maternels, le cœur crevé à la vue de la moindre égratignure. Elle s’arrêtait, saisie, comme si elle se fût atteinte elle-même, quand elle les heurtait en balayant. La commode surtout lui était chère; elle la trouvait belle, solide, l’air sérieux. Un rêve, dont elle n’osait parler, était d’avoir une pendule pour la mettre au beau milieu du marbre, où elle aurait produit un effet magnifique. Sans le bébé qui venait, elle se serait peut-être risquée à acheter sa pendule. Enfin, elle renvoyait ça à plus tard, avec un soupir.

10 MAI 1876

III
– Suite –

21aLe ménage vécut dans l’enchantement de sa nouvelle demeure. Le lit d’Étienne occupait le cabinet, où l’on pouvait encore installer une autre couchette d’enfant. La cuisine était grande comme la main et toute noire; mais
en laissant la porte ouverte, on y voyait assez clair; puis, Gervaise n’avait pas à y faire des repas de trente personnes, il suffisait qu’elle y trouvât la place de son pot-au-feu. Quant à la grande chambre, elle était leur orgueil. Dès le matin, ils fermaient les rideaux de l’alcôve, des rideaux de calicot blanc; et la chambre se trouvait transformée en salle à manger, avec la table au milieu, l’armoire et la commode en face l’une de l’autre. Comme la cheminée brûlait jusqu’à quinze sous de charbon de terre par jour, ils l’avaient bouchée; un petit poêle de fonte, posé sur la plaque de marbre, les chauffait pour sept sous, pendant les grands froids. Ensuite, Coupeau avait orné les 21bmurs de son mieux, en se promettant des embellissements: une haute gravure représentant un maréchal de France, caracolant avec son bâton à la main, entre un canon et un tas de boulets, tenait lieu de glace; au dessus de la commode, les photographies de la famille étaient rangées en carré, autour d’un ancien bénitier de porcelaine dorée, qui servait à mettre les allumettes; sur la corniche de l’armoire, un buste de Pascal faisait pendant à un buste de Béranger, l’un grave, l’autre souriant, à côté du coucou, dont ils semblaient écouter le tic-tac. C’était vraiment une belle chambre.
– Devinez combien nous payons
, ici, disait Gervaise à chaque visiteur.
Et quand on estimait son loyer trop haut, elle triomphait, elle criait, ravie d’être si bien pour si peu d’argent:
– Cent cinquante francs, pas un liard de plus!…
hein!… c’est donné!
La rue Neuve
-de-la-Goutte-d’Or elle-même entrait pour une bonne part dans leur contentement. Gervaise y vivait, allant sans cesse de chez elle chez Mme Fauconnier. Coupeau, le soir, descendait maintenant, fumait sa pipe sur le pas de la porte. La rue, sans trottoir, le pavé défoncé, montait. En haut, du côté de la rue de la Goutte-d’Or, il y avait des boutiques sombres, aux carreaux sales, des cordonniers, des tonneliers, une épicerie borgne, un marchand de vin en faillite, dont les volets fermés depuis des semaines se couvraient d’affiches. À l’autre bout, vers Paris, des maisons de quatre étages barraient le ciel, occupées à leurs rez-de-chaussées par des blanchisseuses, les unes près des autres, en tas; seule, une devanture de perruquier de petite ville, peinte en vert, toute pleine de flacons aux couleurs tendres, égayait ce coin d’ombre du vif éclair de ses plats de cuivre, tenus très propres.
Mais la gaieté de la rue se trouvait au milieu, à l’endroit où les constructions devenaient basses, laissaient descendre l’air et le soleil. Les hangars du loueur de voitures, l’établissement voisin où l’on fabri21cquait de l’eau de Seltz, le lavoir, en face, élargissaient un vaste espace libre, silencieux, dans lequel les voix étouffées des laveuses et l’haleine régulière de la machine à vapeur semblaient grandir encore le recueillement. Des terrains profonds, des allées s’enfonçant entre des murs noirs, mettaient là un village. Et Coupeau, amusé par les rares passants qui enjambaient le ruissellement continu des eaux savonneuses, disait se souvenir d’un pays où l’avait conduit un de ses oncles, à l’âge de cinq ans. La joie de Gervaise était, un peu à gauche de sa fenêtre, un arbre planté dans une cour, un acacia allongeant une seule de ses branches, et dont la maigre verdure suffisait au charme de toute la rue.
Ce fut le dernier jour d’avril que la jeune femme accoucha. Les douleurs la prirent l’après-midi, vers quatre heures, comme elle repassait une paire de rideaux chez madame Fauconnier. Elle ne voulut pas s’en aller tout de suite, restant là à se tortiller sur une chaise, donnant un coup de fer quand ça se calmait un peu; les rideaux pressaient, elle s’entêtait à les finir; puis, ça n’était peut-être qu’une colique, il ne fallait pas s’écouter pour un mal de ventre. Mais, comme elle parlait de se mettre à des chemises d’homme, elle devint blanche
; elle dut quitter l’atelier, traverser la rue, courbée en deux, se tenant aux murs. Une ouvrière offrait de l’accompagner; elle refusa, elle la pria seulement de passer chez la sage-femme, à côté, rue de la Charbonnière. Le feu n’était pas à la maison, bien sûr. Elle en avait sans doute pour toute la nuit. Ça n’allait pas l’empêcher en rentrant de préparer le dîner de Coupeau; ensuite, elle verrait à se jeter un instant sur le lit, histoire de se reposer. Dans l’escalier, elle fut prise d’une telle crise qu’elle dut s’asseoir au beau milieu des marches; et elle serrait ses deux poings sur sa bouche, pour ne pas crier, parce qu’elle éprouvait une honte à être trouvée là par des hommes, s’il en montait. La douleur passa, elle put ouvrir sa porte, soulagée, pensant décidément s’être trom21dpée. Elle faisait ce soir-là un ragoût de mouton avec des hauts de côtelettes.
Tout marcha encore bien, pendant qu’elle épluchait ses pommes de terre. Les hauts de côtelettes revenaient dans un poêlon, quand les sueurs et les tranchées reparurent. Elle tourna son roux, en piétinant devant le fourneau, aveuglée par de grosses larmes; si elle accouchait, n’est-ce pas? ce n’était point une raison pour laisser Coupeau sans manger. Enfin le ragoût mijota sur un feu couvert de cendre. Elle revint dans la chambre, crut avoir le temps de mettre un couvert à un bout de la table. Et il lui fallut reposer bien vite le litre de vin; elle n’eut plus la force d’arriver au lit, elle tomba et accoucha par terre, sur un paillasson. Lorsque la sage-femme arriva, un quart d’heure plus tard, ce fut là qu’elle la délivra.
Le zingueur travaillait toujours à l’hôpital. Gervaise défendit d’aller le déranger. Quand il rentra, à sept heures, il la trouva couchée, bien enveloppée, très
pâle sur l’oreiller. L’enfant pleurait, emmailloté dans un châle, aux pieds de la mère.
– Ah! ma pauvre femme! dit Coupeau en embrassant Gervaise. Et moi qui rigolais, il
y a pas une heure, pendant que tu criais aux petits pâtés!… Dis donc, tu n’es pas embarrassée, tu vous lâches ça, le temps d’éternuer.
Elle eut un faible sourire; puis
elle murmura:
– C’est une fille.
– Juste! reprit le zingueur, blaguant pour la remettre, j’avais commandé une fille!… Hein! me voilà servi! Tu fais donc tout ce que je veux?
Et, prenant l’enfant, il continua:
– Qu’on vous voie un peu, mademoiselle Souillon!… Vous avez une petite frimousse bien noire. Ça blanchira, n’ayez pas peur. Il faudra être sage, ne pas faire la gourgandine, grandir raisonnable, comme papa et maman.
Gervaise, très
sérieuse, regardait sa fille, les yeux grands ouverts, lentement 21eassombris d’une tristesse. Elle hocha la tête; elle aurait voulu un garçon, parce que les garçons se débrouillent toujours et ne courent pas tant de risques, dans ce Paris. La sage-femme dut enlever le poupon des mains de Coupeau. Elle défendit aussi à Gervaise de parler; c’était déjà mauvais qu’on fît tant de bruit autour d’elle. Alors, le zingueur dit qu’il fallait prévenir maman Coupeau et les Lorilleux; mais il crevait de faim, il voulait dîner auparavant. Ce fut un gros ennui pour l’accouchée de le voir se servir lui-même, courir à la cuisine chercher le ragoût, manger dans une assiette creuse, ne pas trouver le pain. Malgré la défense, elle se lamentait, se tournait entre les draps. Aussi, c’était bien bête de n’avoir pas pu mettre la table; la colique l’avait assise par terre comme un coup de bâton. Son pauvre homme lui en voudrait, d’être là à se dorloter, quand il mangeait si mal. Les pommes de terre étaient-elles assez cuites, au moins? Elle ne se rappelait plus si elle les avait salées.
– Taisez-vous donc! cria la sage-femme.
– Ah! quand vous l’empêcherez de se miner, par exemple! dit Coupeau la bouche pleine. Si vous n’étiez pas là, je parie qu’elle se lèverait pour me couper mon pain…. Tiens-toi donc sur le dos, grosse dinde! Faut pas te démolir, autrement tu en as pour quinze jours à te remettre sur tes pattes…. Il est très
bon, ton ragoût. Madame va en manger avec moi. N’est-ce pas, madame?
La sage-femme refusa; mais elle voulut bien boire un verre de vin, parce que ça l’avait émotionnée, disait-elle, de trouver la malheureuse
jeune femme avec le bébé, sur le paillasson. Coupeau partit enfin, pour annoncer la nouvelle à la famille. Une demi-heure plus tard, il revint avec tout le monde, maman Coupeau, les Lorilleux, Mme Lerat, qu’il avait justement rencontrée chez ces derniers. Les Lorilleux, devant la prospérité du ménage, étaient devenus très aimables, faisaient un éloge outré de Gervaise, en laissant échap21fper de petits gestes restrictifs, des hochements de menton, des battements de paupières, comme pour ajourner leur vrai jugement. Enfin, ils savaient; seulement, ils ne voulaient pas aller contre l’opinion de tout le quartier.
– Je t’amène la séquelle! cria Coupeau. Tant pis! ils ont voulu te voir… N’ouvre pas le bec, ça t’est défendu. Ils resteront là, à te regarder tranquillement
, sans se formaliser, n’est-ce pas?…. Moi, je vais leur faire du café, et du chouette!
Il disparut dans la cuisine. Maman Coupeau, après avoir embrassé Gervaise, s’émerveillait de la grosseur de l’enfant. Les deux autres femmes avaient également appliqué de gros baisers sur les joues de l’accouchée. Et toutes trois, debout devant le lit, commentaient, en s’exclamant, les détails des couches, de
drôle de couches, une dent à arracher, pas davantage. Mme Lerat examinait la petite partout, la déclarait bien conformée, ajoutait même, avec intention, que ça ferait une fameuse femme; et, comme elle lui trouvait la tête trop pointue, elle la pétrissait légèrement, malgré ses cris, afin de l’arrondir. Mme Lorilleux lui arracha le bébé en se fâchant: ça suffisait pour donner tous les vices à une créature, de la tripoter ainsi, quand elle avait le crâne si tendre. Puis, elle chercha la ressemblance. On manqua se disputer. Lorilleux, qui allongeait le cou derrière les femmes, répétait que la petite n’avait rien de Coupeau; un peu le nez, peut-être, et encore! C’était toute sa mère, avec des yeux, d’ailleurs; pour sûr, ces yeux-là ne venaient pas de la famille.

12 MAI 1876

IV
– Suite –

22aCependant, Coupeau ne reparaissait plus. On l’entendait, dans la cuisine, se battre avec le fourneau et la cafetière. Gervaise se tournait les sangs; ce n’était pas l’occupation d’un homme
de faire du café; et elle lui criait comment il devait s’y prendre, sans écouter les chut! énergiques de la sage-femme.
– Enlevez le baluchon! dit Coupeau, qui rentra, la cafetière à la main. Hein? est-elle assez canulante! Il faut qu’elle se cauchemarde… Nous allons boire ça dans des verres, n’est-ce
-pas? Parce que, voyez-vous, les tasses sont restées chez le marchand.
On s’assit autour de la table, et le zingueur voulut verser le café lui-même. Il sentait joliment fort, ce n’était pas de la roupie de sansonnet. Quand la sage-femme eut siroté son verre, elle s’en alla: tout marchait bien, on n’avait plus besoin d’elle; si la nuit n’était pas bonne, on l’enverrait chercher le lendemain. Elle descendait encore l’escalier, que
Mme Lorilleux la traita de licheuse et de propre à rien. Ça se mettait quatre morceaux de sucre dans son café, ça se faisait donner 22bdes quinze francs, pour vous laisser accoucher toute seule. Mais Coupeau la défendait; il allongerait les quinze francs de bon cœur; après tout, ces femmes-là passaient leur jeunesse à étudier, elles avaient raison de demander cher.
Ensuite, Lorilleux se disputa avec Mme Lerat: lui, prétendait que, pour avoir un garçon, il fallait tourner la tête de son lit vers le nord, tandis qu’elle haussait les épaules, traitant ça d’enfantillage, donnant une autre recette, qui consistait à cacher sous le matelas, sans le dire à sa femme, une poignée d’orties fraîches, cueillies au soleil. On avait poussé la table près du lit. Jusqu’à dix heures, Gervaise, prise peu à peu d’une fatigue immense, resta souriante et stupide, la tête tournée sur l’oreiller; elle voyait, elle entendait, mais elle ne trouvait plus la force de hasarder un geste ni une parole; il lui semblait être morte, d’une mort très douce, du fond de laquelle elle était heureuse de regarder les autres vivres. Par moments, un vagissement de la petite montait, au milieu des grosses voix, des réflexions interminables sur un assassinat, commis la veille rue du Bon-Puits, à l’autre bout de la Chapelle.
Puis, comme la société songeait au départ, on parla du baptême. Les Lorilleux avaient accepté d’être parrain et marraine; en arrière, ils rechignaient; pourtant, si le ménage ne s’était pas adressé à eux, ils auraient fait une drôle de figure. Coupeau ne voyait guère la nécessité de baptiser la petite; ça ne lui donnerait pas dix mille livres de rente, bien sûr; et encore ça risquait de l’enrhumer. Moins on avait affaire aux curés, mieux ça valait. Mais maman Coupeau le traitait de païen. Les Lorilleux, sans aller manger le bon Dieu dans les églises, se piquaient d’avoir de la religion.
Ça sera pour dimanche, si vous voulez, dit le chaîniste.
Et Gervaise, ayant consenti d’un signe de tête, tout le monde l’embrassa en lui recommandant de se bien porter. On dit adieu aussi au bébé.

Chacun vint se pencher au dessus de ce 22cpauvre petit corps frissonnant, avec des risettes, des mots de tendresse, comme s’il avait pu comprendre. On l’appelait Nana, la caresse du nom d’Anna, que portait sa marraine.
– Bonsoir, Nana…
Allons, Nana, soyez belle fille…
Quand ils furent enfin partis, Coupeau mit sa chaise tout contre le lit, et acheva sa pipe, en tenant dans la sienne la main de Gervaise. Il fumait lentement, lâchant des phrases entre deux bouffées, très-ému.
– Hein? ma vieille, ils t’ont cassé la tête? Tu comprends, je n’ai pas pu les empêcher de venir. Après tout, ça prouve leur amitié… Mais, n’est-ce pas? on est mieux seul. Moi, j’avais besoin d’être un peu seul, comme ça, avec toi. La soirée m’a paru d’un long!… Cette pauvre poule! elle a eu bien du bobo! Ces crapoussins-là, quand ça vient au monde, ça ne se doute guère du mal que ça fait. Vrai, ça doit être comme si on vous ouvrait les reins… Où est-il le bobo, que je l’embrasse?
Il lui avait glissé délicatement sous le dos une de ses grosses mains, et il l’attirait, il
l’embrassait, pris d’un attendrissement d’homme rude pour cette fécondité endolorie encore. Il demandait s’il ne lui faisait pas du mal, il aurait voulu la guérir en soufflant dessus. Et Gervaise était bien heureuse. Elle lui jurait ne plus souffrir du tout. Elle songeait seulement à se relever le plus tôt possible, parce qu’il ne fallait pas se croiser les bras, maintenant. Mais lui, la rassurait. Est-ce qu’il ne se chargeait pas de gagner la pâtée de la petite? Il serait un grand lâche, si jamais il lui laissait cette gamine sur le dos. Ça ne lui semblait pas malin de savoir faire un enfant; le mérite, pas vrai? c’était de le nourrir.
Coupeau, cette nuit-là, ne dormit guère. Il avait couvert le feu du poêle. Toutes les heures, il dut se relever pour donner au bébé des cuillerées d’eau sucrée tiède. Ça ne l’empêcha pas de partir le matin au travail comme à son habitude. Il profita même de l’heure de son déjeuner, alla à la 22dmairie faire
la déclaration. Pendant ce temps, Mme Boche, prévenue, était accourue passer la journée auprès de Gervaise. Mais celle-ci, après dix heures de profond sommeil, se lamentait, disait déjà se sentir toute courbaturée de garder le lit. Elle tomberait malade, si on ne la laissait pas se lever.
Le soir, quand Coupeau revint, elle lui conta ses tourments: sans doute elle avait confiance en Mme Boche; seulement ça la mettait hors d’elle de voir une étrangère s’installer dans sa chambre, ouvrir les tiroirs, toucher à ses affaires. Le lendemain, vers six heures, la concierge, en revenant d’une commission, la trouva debout, habillée, balayant et s’occupant du dîner de son mari. Et jamais elle ne voulut se recoucher. On se moquait d’elle, peut-être! C’était bon pour les dames d’avoir l’air d’être cassée. Lorsqu’on n’était pas riche, on n’avait pas le temps. Trois jours après ses couches, elle repassait des jupons chez Mme Fauconnier, tapant ses fers, mise en sueur par la grosse chaleur du fourneau.
Dès le samedi soir,
Mme Lorilleux apporta ses cadeaux de marraine: un bonnet de trente-cinq sous et une robe de baptême, plissée et garnie d’une petite dentelle, qu’elle avait eue pour six francs, parce qu’elle était défraîchie. Le lendemain, Lorilleux, comme parrain, donna à l’accouchée six livres de sucre. Ils faisaient les choses proprement. Même le soir, au repas qui eut lieu chez les Coupeau, ils ne se présentèrent pas les mains vides. Le mari arriva avec un litre de vin cacheté sous chaque bras, tandis que la femme tenait un large flan, acheté chez un pâtissier de la chaussée Clignancourt, très en renom. Seulement, les Lorilleux allèrent raconter leurs largesses dans tout le quartier; ils avaient dépensé près de vingt francs. Gervaise, en apprenant leurs commérages, resta suffoquée et ne leur tint plus aucun compte de leurs bonnes manières.
Ce fut à ce dîner de baptême que les Coupeau achevèrent de se lier étroitement 22eavec les voisins du palier. L’autre logement de la petite maison était occupé par deux personnes, la mère et le fils, les Goujet
comme on les appelait. Jusque là, on s’était salué dans l’escalier et dans la rue, rien de plus; les voisins semblaient un peu ours. Puis, la mère lui ayant monté un seau d’eau, le lendemain de ses couches, Gervaise avait jugé convenable de les inviter au repas, d’autant plus qu’elle les trouvait très bien. Et là, naturellement, on avait fait connaissance.
Les Goujet étaient du département du Nord. La mère raccommodait les dentelles; le fils, forgeron de son état, travaillait dans une fabrique de boulons. Ils occupaient l’autre logement du palier depuis cinq ans. Derrière la paix muette de leur vie, se cachait tout un chagrin ancien
; le père Goujet, un jour d’ivresse furieuse, à Lille, avait assommé un camarade à coups de barre de fer, puis s’était étranglé dans sa prison, avec son mouchoir. La veuve et l’enfant, venus à Paris après leur malheur, sentaient toujours ce drame sur leurs têtes, le rachetaient par une honnêteté stricte, une douceur et un courage inaltérables. Même il se mêlait un peu de fierté dans leur cas, car ils finissaient par se voir meilleurs que les autres. Mme Goujet, toujours vêtue de noir, le front encadré d’une coiffe monacale, avait une face blanche et reposée de matrone, comme si la pâleur des dentelles, le travail minutieux de ses doigts, lui donnaient un reflet de sérénité. Goujet était un colosse de vingt-trois ans, superbe, le visage rose, les yeux bleus, d’une force herculéenne. À l’atelier, les camarades l’appelaient la Gueule-d’Or, à cause de sa belle barbe jaune.
Gervaise se sentit tout de suite prise d’une grande amitié pour ces gens. Quand elle pénétra la première fois chez eux, elle resta émerveillée de la propreté du
logement. Il n’y avait pas à dire, on pouvait souffler partout, pas un grain de poussière ne s’envolait. Et le carreau luisait d’une clarté de glace. Mme Goujet la fit entrer dans la chambre de son fils, pour voir. 22fC’était gentil et blanc comme dans la chambre d’une fille: un petit lit de fer garni de rideaux de mousseline, une table, une toilette, une étroite bibliothèque pendue au mur; puis des images du haut en bas, des bonhommes découpés, des gravures coloriées fixées à l’aide de quatre clous, des portraits de toutes sortes de personnages, détachés des journaux illustrés. Mme Goujet disait, avec un sourire, que son fils était un grand enfant; le soir, la lecture le fatiguait souvent; alors, il s’amusait à regarder ses images. Gervaise s’oublia une heure près de sa voisine, qui s’était remise à son tambour, devant une fenêtre. Elle s’intéressait aux centaines d’épingles attachant la dentelle, heureuse d’être là, respirant la bonne odeur de propreté du logement, où cette besogne délicate mettait un silence recueilli.
Les Goujet gagnaient encore à être fréquentés. Ils faisaient de grosses journées
à eux deux, et plaçaient plus du quart de leur quinzaine à la Caisse d’épargne. Dans le quartier, on les saluait, on parlait de leurs économies. Goujet n’avait jamais un trou, sortait avec des bourgerons propres, sans une tache. Il était très poli, même un peu timide, malgré ses larges épaules. Les blanchisseuses du bout de la rue s’égayaient à le voir baisser le nez, quand il passait. Il n’aimait pas leurs gros mots, trouvait ça dégoûtant, que des femmes eussent sans cesse des saletés à la bouche. Un jour pourtant, il était rentré gris.

13 MAI 1876

IV
– Suite –

23aAlors, Mme Goujet, pour tout reproche, l’avait mis en face d’un portrait de son père, une mauvaise peinture cachée pieusement au fond d’un tiroir de la commode. Et, depuis cette leçon, Goujet ne buvait plus qu’à sa suffisance, sans haine pourtant contre le vin, car le vin est nécessaire à l’ouvrier. Le dimanche, il sortait avec sa mère, à laquelle il donnait le bras; le plus souvent, il la menait à la campagne, du côté de Vincennes; d’autres fois il la conduisait au théâtre. Sa mère restait sa passion. Il lui parlait encore comme s’il était tout petit. La tête carrée, la chair alourdie par le rude travail du marteau, il tenait des grosses bêtes: dur d’intelligence, bon tout de même.
Les premiers jours, Gervaise le gêna beaucoup. Puis, en quelques semaines, il s’habitua à elle. Il la guettait pour lui monter ses paquets, la traitait en sœur, avec une brusque familiarité, découpant des images à son intention. Cependant, un matin, ayant tourné la clef sans frapper, il 23bla surprit
à sa toilette, à moitié nue, se lavant le cou; et, de huit jours, il ne la regarda pas en face, si bien qu’il finissait par la faire rougir elle-même.
Cadet-Cassis, avec son bagou parisien, trouvait la Gueule-d’Or bêta. C’était bien de ne pas licher, de ne pas souffler dans le nez des filles, sur les trottoirs; mais il fallait pourtant qu’un homme fût un homme, sans quoi autant valait-il tout de suite porter des jupons. Il le blaguait devant Gervaise, en l’accusant de faire de l’œil à toutes les femmes du quartier; et ce tambour-major de Goujet se défendait violemment. Ça n’empêchait pas les deux ouvriers d’être camarades. Ils s’appelaient le matin, partaient ensemble, buvaient parfois un verre de bière avant de rentrer. Depuis le
diner du baptême, ils se tutoyaient, parce que, dire toujours «vous,» ça allonge les phrases. Leur amitié en restait là, quand la Gueule-d’Or rendit à Cadet-Cassis un fier service, un de ces services signalés dont on se souvient la vie entière. C’était au 2 décembre: le zingueur, par rigolade, avait eu la belle idée de descendre voir l’émeute; il se fichait pas mal de la République, du Bonaparte et de tout le tremblement; seulement, il adorait la poudre, les coups de fusil lui semblaient drôles. Et il allait très bien être pincé derrière une barricade, si le forgeron ne s’était rencontré là, juste à point pour le protéger de son grand corps et l’aider à filer.
Goujet, en remontant à la Chapelle, marchait vite, la figure grave. Lui, s’occupait de politique, était républicain, sagement, au nom de la justice et du bonheur de tous. Cependant, il n’avait pas fait le coup de feu. Et il donnait ses raisons: le peuple se lassait de payer aux bourgeois les marrons qu’il tirait du feu, en se brûlant les pattes; février et juin étaient de fameuses leçons; aussi, désormais, les faubourgs laisseraient-ils la ville s’arranger comme elle l’entendrait. Puis, arrivé sur 23cla hauteur, rue des Poissonniers, il avait tourné la tête, regardant Paris; on bâclait tout de même là-bas de la fichue besogne, le peuple un jour pourrait se repentir de s’être croisé les bras. Mais Coupeau ricanait, appelait trop bêtes les ânes qui risquaient leur peau, à la seule fin de conserver leurs vingt-cinq francs aux sacrés fainéants de la Chambre. Le soir, les Coupeau invitèrent les Goujet à dîner. Au dessert, Cadet-Cassis et la Gueule-d’Or se posèrent chacun deux gros baisers sur les joues. Maintenant, c’était à la vie à la mort.
Pendant trois années, la vie des deux familles coula, aux deux côtés du palier, sans un événement. Gervaise avait élevé la petite, en trouvant le moyen de perdre, au plus, deux jours de travail par semaine. Elle devenait une bonne ouvrière de fin, gagnait jusqu’à trois francs. Aussi s’était-elle décidée à mettre Étienne, qui allait sur ses huit ans, dans une petite pension de la rue de Chartres, où elle payait cent sous. Le ménage, malgré la charge des deux enfants, plaçait des vingt francs et des trente francs chaque mois à la Caisse d’épargne. Quand leurs économies atteignirent la somme de six cents francs, la jeune femme ne dormit plus, obsédée d’un rêve d’ambition: elle voulait s’établir, louer une petite boutique, prendre à son tour des ouvrières.

Elle avait tout calculé. Au bout de vingt ans, si le travail marchait, ils pouvaient avoir une rente, qu’ils iraient manger quelque part, à la campagne. Pourtant, elle n’osait se risquer. Elle disait chercher une boutique, pour se donner le temps de la réflexion. L’argent ne craignait rien à la Caisse d’épargne; au contraire, il faisait des petits. En trois années, elle avait contenté une seule de ses envies, elle s’était acheté une pendule; encore cette pendule, une pendule de palissandre, à colonnes torses, à balancier de cuivre doré, devait-23delle être payée en un an, à raison de vingt sous tous les lundis. Elle se fâchait, lorsque Coupeau parlait de la monter: elle seule enlevait le globe essuyait les colonnes, avec religion, comme si le marbre de sa commode s’était transformé en chapelle. Sous ce globe, derrière la pendule, elle cachait le livret de la Caisse d’épargne. Et, souvent, quand elle rêvait à sa boutique, elle s’oubliait là, devant le cadran, à regarder fixement tourner les aiguilles, ayant l’air d’attendre quelque minute particulière et solennelle pour se décider.
Les Coupeau sortaient presque tous les dimanches avec les Goujet. C’étaient des parties gentilles, une friture à Saint-Ouen ou un lapin à Vincennes, mangés sans épate
sous le bosquet d’un traiteur. Les hommes buvaient à leur soif, revenaient sains comme l’œil, en donnant le bras aux dames. Le soir, avant de se coucher, les deux ménages comptaient, partageaient la dépense par moitié; et jamais un sou en plus ou en moins ne soulevait une discussion. Les Lorilleux étaient jaloux des Goujet. Ça leur paraissait drôle, tout de même, de voir Cadet-Cassis et la Banban aller sans cesse avec des étrangers, quand ils avaient une famille. Ah! bien, oui! ils s’en souciaient comme d’une guigne, de leur famille! Depuis qu’ils avaient quatre sous de côté, ils faisaient drôlement leur tête. Mme Lorilleux, très vexée de voir son frère lui échapper, recommençait à vomir des injures contre Gervaise.
Mme
Lerat, au contraire, prenait parti pour la jeune femme, la défendait à l’aide de contes extraordinaires, des tentatives de séduction, le soir, sur le boulevard, dont elle la montrait sortant en héroïne de drame, flanquant une paire de claques à ses lâches agresseurs. Quant à maman Coupeau, elle tâchait de raccommoder tout le monde, de se faire bien venir de tous ses enfants: sa vue baissait de plus en plus, elle n’avait 23eplus qu’un ménage, elle était contente de trouver cent sous chez les uns et chez les autres.
Le jour même où Nana prenait ses trois ans, Coupeau, en rentrant le soir, trouva Gervaise bouleversée. Elle refusait de parler, elle n’avait rien du tout, disait-elle. Mais, comme elle mettait la table à l’envers, s’arrêtant avec les assiettes
à la main pour tomber dans de grosses réflexions, son mari voulut absolument savoir.
– Eh bien! voilà, finit-elle par avouer, la boutique du petit mercier, rue de la Goutte-d’Or, est à louer… J’ai vu ça, il y a une heure, en allant acheter du fil. Ça m’a donné un coup.
C’était une boutique très
propre, juste dans la grande maison où ils rêvaient d’habiter autrefois. Il y avait la boutique, une arrière-boutique avec deux autres chambres, à droite et à gauche; enfin, ce qu’il leur fallait, les pièces un peu petites, mais bien distribuées. Seulement, elle trouvait ça trop cher: le propriétaire parlait de cinq cents francs.
– Tu as donc visité et demandé le prix? dit Coupeau.
– Oh! tu sais, par curiosité! répondit-elle, en affectant un air d’indifférence. On cherche, on entre à tous les écriteaux, ça n’engage à rien… Mais
, celle-là est trop chère, décidément. Puis, ce serait peut-être une bêtise de m’établir.
Cependant, après le dîner, elle revint à la boutique du mercier. Elle dessina les lieux
à Coupeau., sur la marge d’un journal. Et, peu à peu, elle en causait, mesurait les coins, disposait des pièces, comme si elle avait dû, dès le lendemain, y caser ses meubles. Alors Coupeau la poussa à louer, en voyant sa grande envie; pour sûr, elle ne trouverait rien de propre, à moins de cinq cents francs; d’ailleurs, on obtiendrait peut-être une diminution. La seule chose ennuyeuse, c’était d’aller habiter dans la 23fmaison des Lorilleux, qu’elle ne pouvait pas souffrir. Mais elle se fâcha, elle ne détestait personne; dans le feu de son désir, elle défendit même les Lorilleux; ils n’étaient pas méchants au fond, on s’entendrait très bien. Et, quand ils furent couchés, Coupeau dormait déjà qu’elle continuait ses aménagements intérieurs, sans avoir pourtant, d’une façon nette, consenti à louer.
Le lendemain, restée seule, elle ne put résister au besoin d’enlever le globe de la pendule et de regarder le livret de la Caisse d’épargne. Dire que sa boutique était là
-dedans, dans ces feuillets salis de vilaines écritures! Avant d’aller au travail, elle consulta Mme Goujet, qui approuva beaucoup son projet de s’établir; avec un homme comme le sien, bon sujet, ne buvant pas, elle était certaine de faire ses affaires et de ne pas être mangée. Au déjeuner, elle monta même chez les Lorilleux pour avoir leur avis; elle désirait ne pas paraître se cacher de la famille. Mme Lorilleux resta saisie. Comment! la Banban allait avoir une boutique, à cette heure! Et, le cœur crevé, elle balbutia, elle dut se montrer très contente: sans doute, la boutique était commode, Gervaise avait raison de la prendre. Pourtant, lorsqu’elle se fut un peu remise, elle et son mari parlèrent de l’humidité de la cour, du jour triste des pièces du rez-de-chaussée. Oh! c’était un bon coin pour les rhumatismes. Enfin, si elle était décidée à louer, n’est-ce pas? leurs observations, bien certainement, ne l’empêcheraient pas de louer.

14 MAI 1876

IV
– Suite –

24aLe soir, Gervaise avouait franchement en riant qu’elle en serait tombée malade
si on l’avait empêchée d’avoir la boutique. Toutefois, avant de dire: C’est fait! elle voulait emmener Coupeau voir les lieux et tâcher d’obtenir une diminution sur le loyer.
– Alors, demain, si ça te plaît, dit son mari. Tu viendras me prendre vers six heures à la maison où je travaille, rue de la Nation, et nous passerons rue de la Goutte-d’Or, en rentrant.
Coupeau terminait alors la toiture d’une maison neuve, à trois étages. Ce jour-là, il devait justement poser les dernières feuilles de zinc. Comme le toit était presque plat, il y avait installé son établi, un large volet sur deux tréteaux. Un beau soleil de mai se couchait, dorant les cheminées. Et, tout là-haut, dans le ciel clair, l’ouvrier taillait tranquillement son zinc à coups de cisaille, penché sur l’établi, pareil à un tailleur coupant chez lui une paire de culottes. Contre le mur de la maison voisine, son aide, un gamin de dix-sept ans, fluet et blond, entretenait le feu du réchaud en manœuvrant un énorme soufflet, dont chaque haleine faisait envoler un pétillement d’étincelles.
– Hé! Zidore, mets les fers! cria Coupeau.
L’aide enfonça les fers à souder au milieu de la braise, d’un rose pâle dans le 24bplein jour. Puis, il se remit à souffler. Coupeau tenait la dernière feuille de zinc. Elle restait à poser au bord du toit, près de la gouttière; là, il y avait une brusque pente, et le trou béant de la rue se creusait. Le zingueur, comme chez lui, en chaussons de lisières, s’avança, traînant les pieds, sifflotant l’air d’Ohé! les p’tits agneaux. Arrivé devant le trou, il se laissa couler, s’arc-bouta d’un genou contre la maçonnerie d’une cheminée, resta à moitié chemin du pavé. Une de ses jambes pendait. Quand il se renversait pour appeler cette couleuvre de Zidore, il se rattrapait à un coin de la maçonnerie, à cause du trottoir, là-bas, sous lui.
– Sacré lambin, va!… Donne donc les fers! Quand tu regarderas en l’air, bougre d’efflanqué! les alouettes ne te tomberont pas toutes rôties!
Mais Zidore ne se pressait pas. Il s’intéressait aux toits voisins, à une grosse fumée qui montait au fond de Paris, du côté de Grenelle; ça pouvait bien être un incendie. Pourtant, il vint se mettre à plat ventre, la tête au-dessus du trou; et il passa les fers à Coupeau. Alors, celui-ci commença à souder la feuille. Il s’accroupissait, s’allongeait, trouvant toujours son équilibre, assis d’une fesse, perché sur la pointe d’un pied, retenu par un doigt. Il avait un sacré aplomb, un toupet du tonnerre, familier,
blaguant le danger. Ça le connaissait. C’était la rue qui avait peur de lui. Comme il ne lâchait pas sa pipe, il se tournait de temps à autre, il crachait paisiblement dans la rue.
– Tiens!
Mme Boche! cria-t-il tout d’un coup. Ohé! madame Boche!
Il venait d’apercevoir la concierge traversant la chaussée. Elle leva la tête, le reconnut. Et une conversation s’engagea du toit au trottoir. Elle cachait
les mains sous son tablier, le nez en l’air. Lui, debout maintenant, son bras gauche passé autour d’un tuyau, se penchait.
– Vous n’avez pas vu ma femme? demanda-t-il.
– Non, bien sûr, répondit la concierge. Elle est par ici?
– Elle doit venir me prendre… Et
on se porte bien chez vous?
– Mais oui, merci, c’est moi la plus malade, vous voyez… Je vais chaussée Cli24cgnancourt chercher un petit gigot. Le boucher, près du Moulin-Rouge, ne le vend que seize sous.
Ils haussaient la voix, parce qu’une voiture passait. Dans la rue de la Nation, large, déserte, leurs paroles, lancées à toute volée, avaient seulement fait mettre à sa fenêtre une petite vieille; et cette
dernière restait là, accoudée, se donnant la distraction d’une grosse émotion, à regarder cet homme, sur la toiture d’en face, comme si elle eût espéré le voir tomber d’une minute à l’autre.
– Eh bien! bonsoir, cria encore madame Boche. Je ne veux pas vous déranger.
Coupeau se tourna, reprit le fer que Zidore lui tendait. Mais au moment où la concierge s’éloignait, elle aperçut sur l’autre trottoir Gervaise, tenant Nana par la main. Elle relevait déjà la tête pour avertir le zingueur, lorsque la jeune femme lui ferma la bouche d’un geste énergique. Et, à demi
voix, afin de n’être pas entendue là-haut, elle dit sa crainte: elle redoutait, en se montrant tout d’un coup, de donner à son mari une secousse, qui le précipiterait. En quatre ans, elle était allée le chercher une seule fois à son travail. Ce jour-là, c’était la seconde fois. Elle ne pouvait pas assister à ça, son sang ne faisait qu’un tour, quand elle voyait son homme entre ciel et terre, à des endroits où les moineaux eux-mêmes ne se risquaient pas.
– Sans doute
ce n’est pas agréable, murmurait Mme Boche. Moi, le mien est tailleur, je n’ai pas ces tremblements.
– Si vous saviez, dans les premiers temps, dit encore Gervaise, j’avais des frayeurs du matin au soir. Je le voyais toujours, la tête cassée, sur une civière… Maintenant, je n’y pense plus autant. On s’habitue à tout. Il faut bien que le pain se gagne… N’importe, c’est un pain joliment cher, car on y risque ses os plus souvent qu’à son tour.
Elle se tut, cachant Nana dans sa jupe, craignant un cri de la petite. Malgré elle, toute pâle, elle regardait. Justement, Coupeau soudait le bord extrême de la feuille, près de la gouttière; il se coulait le plus possible, ne pouvait atteindre le bout. Alors, il se risqua, avec ces mouvements ralentis des ouvriers, pleins d’aisance et de lourdeur. Un moment, il fut
là, au-dessus 24ddu pavé, ne se tenant plus, tranquille, à son affaire: et, d’en bas, sous le fer promené d’une main soigneuse, on voyait grésiller la petite flamme blanche de la soudure, Gervaise, muette, la gorge étranglée par l’angoisse, avait serré les mains, les élevait d’un geste machinal de supplication. Mais elle respira bruyamment, Coupeau venait de remonter sur le toit, sans se presser, en prenant le temps de cracher une dernière fois dans la rue.
– On moucharde donc! cria-t-il gaiement en l’apercevant. Elle a fait la bête, n’est-ce
-pas? madame Boche; elle n’a pas voulu appeler… Attends-moi, j’en ai encore pour dix minutes.
Il lui restait à
faire le chapiteau de cheminée. une bricole de rien du tout. La blanchisseuse et la concierge demeurèrent sur le trottoir, causant du quartier, surveillant Nana, pour l’empêcher de barbotter dans le ruisseau, où elle cherchait des petits poissons; et les deux femmes revenaient toujours à la toiture, avec des sourires, des hochements de tête, comme pour dire qu’elles ne s’impatientaient pas. En face, la vieille n’avait pas quitté sa fenêtre, regardant l’homme, attendant.
– Qu’est-ce qu’elle a
, à espionner, cette bique! dit madame Boche. Une fichue mine, n’est-ce pas?
Là-haut, on entendait la voix forte du zingueur chantant: Ah! qu’il fait donc bon cueillir la fraise! Maintenant, penché sur son établi, il coupait son zinc en artiste. D’un tour de compas, il avait tracé une ligne, et il détachait un large éventail, à l’aide d’une paire de cisailles cintrées; puis, légèrement, au marteau, il ployait cet éventail en forme de champignon pointu. Zidore s’était remis à souffler la braise du réchaud. Le soleil se couchait derrière la maison, dans une grande clarté rose,
peu à peu pâlie, tournant au lilas tendre. Et, en plein ciel, à cette heure recueillie du jour, les silhouettes des deux ouvriers, grandies démesurément, se découpaient sur le fond limpide de l’air, avec la barre sombre de l’établi et l’étrange profil du soufflet.
Quand le chapiteau fut taillé, Coupeau jeta son appel:
Isidore! les fers!
Mais
Isidore venait de disparaître. Le 24ezingueur, en jurant, le chercha du regard, l’appela par la lucarne du grenier restée ouverte. Enfin, il le découvrit sur un toit voisin, à deux maisons de distance. Le galopin se promenait, explorait les environs, ses maigres cheveux blonds s’envolant au grand air, clignant les yeux en face de l’immensité de Paris.
– Dis donc, la flâne! est-ce que tu te crois à la campagne! dit Coupeau furieux. Tu es comme
M. Béranger, tu composes des vers, peut-être! Veux-tu bien me donner les fers! A-t-on jamais vu! se ballader sur les toits! Amène-z-y ta connaissance tout de suite, pour lui chanter des mamours… Veux-tu me donner les fers, sacrée andouille!
Il souda, il cria à Gervaise:
– Voilà, c’est fini… Je descends.
Le tuyau auquel il devait adapter le chapiteau
se trouvait au milieu du toit. Gervaise, tranquillisée, le voyant loin du bord, continuait à sourire en suivant ses mouvements. Nana, amusée tout d’un coup par la vue de son père, tapait dans ses petites mains. Elle s’était assise sur le trottoir, pour mieux voir là-haut.
– Papa! papa!
répéta-t-elle de toute sa force; papa! regarde donc!
Le zingueur voulut se pencher, mais son pied glissa. Alors, brusquement, bêtement, comme un chat dont les pattes s’embrouillent, il roula, il descendit la pente légère de la toiture, sans pouvoir se rattraper.
– Nom de Dieu! dit-il d’une voix étouffée.
Et il tomba. Son corps décrivit une courbe molle, tourna deux fois sur lui-même, vint s’écraser au milieu de la rue
, avec le coup sourd d’un paquet de linge jeté de haut.
Gervaise stupide, la gorge déchirée d’un grand cri, resta les bras en l’air. Des passants accoururent, un attroupement se forma.
Mme Boche, bouleversée, fléchissant sur ses jambes, prit Nana entre ses bras, pour lui cacher la tête et l’empêcher de voir. Cependant, en face, la petite vieille, comme satisfaite, fermait tranquillement sa fenêtre.
Quatre hommes finirent par transporter Coupeau chez un pharmacien, au coin de la rue des Poissonniers; et il demeura là près d’une heure, au milieu de la boutique, sur une couverture, pendant qu’on était 24fallé chercher un brancard à l’hôpital Lariboisière. Il respirait encore, mais le pharmacien avait de petits hochements de tête. Maintenant, Gervaise, à genoux par terre, sanglotait d’une façon continue, barbouillée de
larmes, aveuglée, hébétée. D’un mouvement machinal, elle avançait les mains, tâtait les membres de son mari très doucement. Puis, elle les retirait, en regardant le pharmacien qui lui avait défendu de toucher; elle recommençait une minute plus tard, ne pouvant s’empêcher de s’assurer s’il restait chaud, croyant lui faire du bien. Quand le brancard arriva enfin, et qu’on parla de partir pour l’hôpital, elle se releva, disant violemment:
– Non, non, pas à l’hôpital!… Nous demeurons rue Neuve de la Goutte-d’Or.
On eut beau lui expliquer
: Son mari serait beaucoup mieux soigné à l’hôpital, ça lui coûterait trop d’argent de le prendre chez elle.
Elle répétait avec entêtement:
– Rue Neuve de la Goutte-d’Or, je montrerai la porte… Qu’est-ce que ça vous fait? J’ai de l’argent… C’est mon mari, n’est-ce pas? Il est à moi, je le veux.
Et l’on dut rapporter Coupeau chez lui. Lorsque le brancard traversa la foule qui s’écrasait devant la boutique du pharmacien, les femmes du quartier parlaient de Gervaise avec animation: elle boitait, la mâtine, mais elle avait tout de même du chien; bien sûr, elle sauverait son homme, tandis qu’à l’hôpital
, les médecins faisaient passer l’arme à gauche aux malades trop détériorés, histoire de ne pas se donner l’embêtement de les guérir. Mme Boche, après avoir emmené Nana chez elle, était revenue et racontait l’accident, avec des détails interminables, toute secouée encore d’émotion.
– J’allais chercher un gigot, j’étais là, je l’ai vu tomber, répétait-elle. C’est à cause de sa petite, il a voulu la regarder, et patatras!
Ah! Dieu de Dieu! je ne demande pas à en voir tomber un second… Il faut pourtant que j’aille chercher mon gigot.

16 MAI 1876

IV
– Suite –

25aPendant huit jours, Coupeau fut très
bas. La famille, les voisins, tout le monde, s’attendaient à le voir tourner de l’œil d’un instant à l’autre. Le médecin, un médecin très cher qui se faisait payer cent sous la visite, craignait des lésions intérieures; et ce mot effrayait beaucoup, on disait dans le quartier que le zingueur avait eu le cœur décroché par la secousse. Seule, Gervaise, pâlie par les veilles, sérieuse, résolue, haussait les épaules. Son homme avait la jambe droite cassée: ça, tout le monde le savait; on la lui remettrait, voilà tout. Quant au reste, au cœur décroché, ce n’était rien. Elle le lui raccrocherait elle-même, son cœur. Elle savait comment les cœurs se raccommodent, avec des soins, de la propreté, une amitié solide. Et elle montrait une conviction superbe, certaine de le guérir, rien qu’à rester autour de lui et à le toucher de ses mains, dans les heures de fièvre. Elle ne douta pas une minute. Toute une semaine, on la vit sur ses pieds, parlant peu, recueillie dans son entêtement de le sauver, oubliant les enfants, 25bla rue, la ville entière. Elle ne pleurait même plus. Le neuvième jour, le soir où le médecin répondit enfin du malade, elle tomba sur une chaise, les jambes molles, l’échine brisée, toute en larmes. Cette nuit-là, elle consentit à dormir deux heures, la tête posée sur le pied du lit.
L’accident de Coupeau avait mis la famille en l’air. Maman Coupeau passait les nuits avec Gervaise; mais, dès neuf heures, elle s’endormait sur sa chaise. Chaque soir, en rentrant du travail,
Mme Lerat faisait un grand détour pour prendre des nouvelles. Les Lorilleux étaient d’abord venus deux et trois fois par jour, offrant de veiller, apportant même un fauteuil pour Gervaise. Puis des querelles n’avaient pas tardé à s’élever sur la façon de soigner les malades. Mme Lorilleux prétendait avoir assez sauvé de gens dans sa vie pour savoir comment il fallait s’y prendre. Elle accusait aussi la jeune femme de la bousculer, de l’écarter du lit de son frère. Bien sûr, la Banban avait raison de vouloir quand même guérir Coupeau; car enfin, si elle n’était pas allée le déranger rue de la Nation, il ne serait pas tombé. Seulement, de la manière dont elle l’accommodait, elle était certaine de l’achever.
Lorsqu’elle vit Coupeau hors de danger, Gervaise cessa de garder son lit avec autant de rudesse jalouse. Maintenant, on ne pouvait plus le lui tuer, et elle laissait approcher les gens sans méfiance. La famille s’
établit dans la chambre. La convalescence devait être très longue, le médecin avait parlé de quatre mois. Alors, pendant les longs sommeils du zingueur, les Lorilleux traitèrent Gervaise de bête. Ça l’avançait beaucoup d’avoir son mari chez elle. À l’hôpital, il se serait remis sur pied deux fois plus vite. Lorilleux aurait voulu être malade, attraper un bobo quelconque, pour lui montrer s’il hésiterait une seconde à entrer à Lariboisière.
Mme
Lorilleux connaissait une dame 25cqui en sortait; eh bien! elle avait mangé du poulet matin et soir. Et tous deux, pour la vingtième fois, ils refaisaient le calcul de ce que coûteraient au ménage les quatre mois de convalescence: d’abord les journées de travail perdues, puis le médecin, les remèdes, et plus tard le bon vin, la viande saignante. Si les Coupeau croquaient seulement leurs quatre sous d’économies, ils devraient s’estimer fièrement heureux. Mais ils s’endetteraient, c’était à croire. Oh! ça les regardait. Surtout, ils n’avaient pas à compter sur la famille, qui n’était pas assez riche, pour entretenir un malade chez lui. Tant pis pour la Banban, n’est-ce pas? elle pouvait bien faire comme les autres, laisser porter son homme à l’hôpital. Ça la complétait, d’être une orgueilleuse.
Un soir,
Mme Lorilleux eut la méchanceté de lui demander brusquement:
– Eh bien! et votre boutique, quand la louez-vous?
– Oui, ricana Lorilleux,
elle est toujours à louer, le concierge vous attend encore.
Gervaise resta suffoquée. Elle
n’avait plus songé à la boutique. Mais elle voyait la joie mauvaise de ces gens, à la pensée qu’à présent la boutique était flambée. À partir de ce moment, en effet, ils guettèrent les occasions pour la plaisanter sur son rêve tombé à l’eau. Quand on parlait d’un espoir irréalisable, ils renvoyaient la chose au jour où elle serait patronne, dans un beau magasin, donnant sur la rue. Et, derrière elle, c’étaient des gorges chaudes. Elle ne voulait pas faire d’aussi vilaines suppositions; mais, en vérité, les Lorilleux avaient l’air maintenant d’être très contents de l’accident de Coupeau, qui l’empêchait de s’établir blanchisseuse rue de la Goutte-d’Or.
Alors, elle-même voulut rire et leur montrer combien elle sacrifiait volontiers l’argent pour la guérison de son mari. Chaque 25dfois qu’elle prenait en leur présence le livret de la Caisse d’épargne, sous le globe de la pendule, elle disait gaiement:
– Je sors, je vais louer ma boutique.
Elle n’avait pas voulu retirer l’argent tout d’une fois. Elle le redemandait par cent francs, pour ne pas garder un si gros tas de pièces dans sa commode; puis
elle espérait vaguement quelque miracle, un rétablissement brusque, qui leur permettrait de ne pas déplacer la somme entière. À chaque course à la Caisse d’épargne, quand elle rentrait, elle additionnait sur un bout de papier l’argent qu’ils avaient encore là-bas. C’était uniquement pour le bon ordre. Le trou avait beau se creuser dans la monnaie, elle tenait de son air raisonnable, avec son tranquille sourire. N’était-ce pas déjà une consolation d’employer si bien cet argent, de l’avoir sous la main, au moment de leur malheur? Et, sans un regret, d’une main soigneuse, elle replaçait le livret derrière la pendule, sous le globe.
Les Goujet se montrèrent très
gentils pour Gervaise pendant la maladie de Coupeau. Mme Goujet était à son entière disposition; elle ne descendait pas une fois sans lui demander si elle avait besoin de sucre, de beurre, de sel; elle lui offrait toujours le premier bouillon les soirs où elle mettait un pot au feu; même, si elle la voyait trop occupée, elle soignait sa cuisine, lui donnait un coup de main pour la vaisselle. Goujet, chaque matin, prenait les seaux de la jeune femme, allait les emplir à la fontaine de la rue des Poissonniers; c’était une économie de deux sous. Puis, après le dîner, quand la famille n’envahissait pas la chambre, les Goujet venaient tenir compagnie aux Coupeau. Pendant deux heures, jusqu’à dix heures, le forgeron fumait sa pipe, en regardant Gervaise tourner autour du lit du malade. Il ne disait pas dix paroles de la soirée. Sa grande 25eface blonde enfoncée entre ses épaules de colosse, il s’attendrissait à la voir verser de la tisane dans une tasse, remuer le sucre sans faire de bruit avec la cuiller.
Lorsqu’elle bordait le lit et qu’elle encourageait Coupeau d’une voix douce, comme un enfant, il restait tout secoué. Jamais il n’avait rencontré une aussi brave femme. Ça ne lui allait même pas mal de boiter, car elle en avait plus de mérite encore à se décarcasser tout le long de la journée auprès de son mari. On ne pouvait pas dire, elle ne s’asseyait pas un quart d’heure pour manger. Elle courait sans cesse chez le pharmacien, mettait son nez dans des choses pas propres, se donnait un mal du tonnerre à tenir en ordre cette chambre où l’on faisait tout; avec ça, pas une plainte, toujours aimable, même les soirs où elle dormait debout, les yeux ouverts, tant elle était lasse. Et le forgeron, dans cet air de dévouement, au milieu des drogues traînant sur les meubles, se prenait d’une grande affection pour Gervaise, à la regarder ainsi aimer et soigner Coupeau de tout son cœur.
– Hein? mon vieux, te voilà recollé, dit-il un jour
à Coupeau. Je n’étais pas en peine, ta femme est le bon Dieu!
Lui, devait se marier. Du moins, sa mère avait trouvé une jeune fille très
convenable, une dentellière comme elle, qu’elle désirait vivement lui voir épouser. Pour ne pas la chagriner, il disait oui, et la noce était même fixée aux premiers jours de septembre. L’argent de l’entrée en ménage dormait depuis longtemps à la Caisse d’épargne. Mais il hochait la tête quand Gervaise lui parlait de ce mariage, et il murmurait de sa voix lente:
– Toutes les femmes ne sont pas comme vous, madame Coupeau. Si toutes les femmes étaient comme vous, on en épouserait dix.
Cependant
Coupeau, au bout de deux mois, put commencer à se lever. Il ne se 25fpromenait pas loin, du lit à la fenêtre, et encore soutenu par Gervaise. Là, il s’asseyait dans le fauteuil des Lorilleux, la jambe droite allongée sur un tabouret. Ce blagueur, qui allait rigoler des pattes cassées les jours de verglas, était très vexé de son accident. Il manquait de philosophie, ne savait pas souffrir, se fâchait pour le moindre bobo. Il avait passé ses deux mois dans le lit, à jurer, à faire enrager le monde autour de lui. Ce n’était pas une existence, vraiment, de vivre sur le dos, avec une quille ficelée et raide comme un saucisson. Ah! il connaîtrait le plafond, par exemple; il y avait une fente au coin de l’alcôve, qu’il aurait dessinée les yeux fermés. Puis, quand il s’installa dans le fauteuil, ce fut une autre histoire. Est-ce qu’il resterait longtemps cloué là, pareil à une momie?
La rue n’était pas si drôle, il n’y passait personne, ça puait l’eau de javelle toute la journée. Non, vrai, il se faisait trop vieux, il aurait donné dix ans de sa vie pour savoir seulement comment se portaient les fortifications. Et il revenait toujours à des accusations violentes contre le sort. Ça n’était pas juste, son accident; ça n’aurait pas dû lui arriver, à lui un bon ouvrier, pas fainéant, pas soulard. À d’autres peut-être, il aurait compris.
– Le papa Coupeau, disait-il, s’est cassé le cou, un jour de ribotte. Je ne puis pas dire que c’était mérité, mais enfin la chose s’expliquait… Moi, j’étais à jeun, tranquille comme Baptiste, sans une goutte de liquide dans le corps, et voilà que je dégringole, en voulant me tourner pour faire une risette à Nana
… Vous ne trouvez pas ça trop fort? S’il y a un bon Dieu, il arrange drôlement les choses. Jamais je n’avalerai ça.

17 MAI 1876

IV
– Suite –

26aEt
quand les jambes lui revinrent, il garda une sourde rancune contre le travail. C’était un métier de malheur, de passer ses journées comme des chats le long des gouttières. Eux pas bêtes, les bourgeois! ils vous envoyaient à la mort, bien trop poltrons pour se risquer sur une échelle, s’installant solidement au coin de leur feu et se fichant du pauvre monde. Et il en arrivait à dire que chacun aurait dû mettre son zinc sur sa maison. Dame! en bonne justice, on devait en venir là: si tu ne veux pas être mouillé, mets-toi à couvert. Puis, il regrettait de ne pas avoir appris un autre métier, plus joli et moins dangereux, celui d’ébéniste, par exemple. Ça, c’était encore la faute du père Coupeau; les pères avaient cette bête d’habitude de fourrer quand même les enfants dans leur partie.
Pendant deux mois encore, Coupeau marcha avec des béquilles. Il avait d’abord pu descendre dans la rue, fumer une pipe 26bdevant la porte. Ensuite, il était allé jusqu’au boulevard extérieur, se traînant au soleil, restant des heures assis sur un banc. La gaieté lui revenait, son bagou d’enfer s’aiguisait dans ses longues flâneries. Et il prenait là, avec le plaisir de vivre, une joie à ne rien faire, les membres abandonnés, les muscles glissant à un sommeil très
doux; c’était comme une lente conquête de la paresse, qui profitait de sa convalescence pour entrer dans sa peau et l’engourdir, en le chatouillant. Il revenait bien portant, goguenard, trouvant la vie belle, ne voyant pas pourquoi ça ne durerait pas toujours.
Lorsqu’il put se passer de béquilles, il poussa ses promenades plus loin, courut les chantiers pour revoir les camarades. Il restait les bras croisés en face des maisons en construction, avec des ricanements, des hochements de tête; et il blaguait les ouvriers qui trimaient, allongeait sa jambe, pour leur montrer où ça menait de s’esquinter le tempérament. Ces stations gouailleuses devant la besogne des autres satisfaisaient sa rancune contre le travail. Sans doute, il s’y remettrait, il le fallait bien; mais ce serait le plus tard possible. Oh! il était payé pour manquer d’enthousiasme. Puis, ça lui semblait si bon de faire un peu la vache!
Les après-midi où Coupeau s’ennuyait, il montait chez les Lorilleux. Ceux-ci le plaignaient beaucoup, l’attiraient par toutes sortes de prévenances aimables. Dans les premières années de son mariage, il leur avait échappé, grâce
l’influence de Gervaise. Maintenant, ils le reprenaient peu à peu, en le plaisantant sur la peur que sa femme lui faisait. Il n’était donc pas un homme, il avait tort de ne pas mieux veiller à son ménage. Pourtant, les Lorilleux montraient une grande discrétion, célébraient d’une façon outrée les mérites de Gervaise. Coupeau, sans se disputer encore, jurait à celle-ci que sa sœur l’ado26crait, et lui demandait d’être moins mauvaise pour elle.
La première querelle du ménage, un soir, était venue à propos d’Étienne. Le zingueur avait passé deux heures chez les Lorilleux. En rentrant, comme le diner se faisait attendre et que les enfants criaient après la soupe, il s’en était pris brusquement à Étienne, lui envoyant une paire de calottes soignées. Et, pendant une heure, il avait ronchonné: ce mioche n’était pas à lui, il ne savait pas pourquoi il le tolérait dans la maison; il finirait par le flanquer à la porte. Jusque-là, il avait accepté le gamin sans tant d’histoires. Le lendemain, il parlait de sa dignité. Trois jours après, il lançait des coups de pied au derrière du petit, matin et soir, si bien que l’enfant, quand il l’entendait monter, se sauvait chez les Goujet, où la vieille dentelière lui gardait un coin de la table pour faire ses devoirs.
Gervaise, depuis longtemps, s’était remise au travail. Elle n’avait plus la peine d’enlever et de replacer le globe de la pendule; toutes les économies se trouvaient mangées; et il fallait piocher dur, piocher pour quatre, car ils étaient quatre bouches à table. Elle seule nourrissait tout ce monde. Quand elle entendait les gens la plaindre, elle excusait vite Coupeau. Pensez donc! il avait tant souffert, ce n’était pas étonnant
si son caractère prenait de l’aigreur! Mais ça passerait avec la santé. Et si on lui laissait entendre que Coupeau semblait solide à présent, qu’il pouvait bien retourner au chantier, elle se récriait. Non, non, pas encore! Elle ne voulait pas l’avoir de nouveau au lit. Elle savait bien ce que le médecin lui disait, peut-être! C’était elle qui l’empêchait de travailler, en lui répétant chaque matin de prendre son temps, de ne pas se forcer. Elle lui glissait même des pièces de vingt sous dans la poche de son gilet. Coupeau acceptait ça comme une chose naturelle; il se plaignait 26dde toutes sortes de douleurs pour se faire dorloter; au bout de six mois, sa convalescence durait toujours.
Maintenant, les après-midi où il allait regarder travailler les autres afin de tuer une heure ou deux, il entrait volontiers boire un canon avec les camarades. Tout de même, on n’était pas mal chez le marchand de vin: on rigolait, on restait là cinq minutes. Ça ne déshonorait personne. Les poseurs seuls affectaient de crever de soif à la porte. Autrefois, on avait bien raison de le blaguer, attendu qu’un verre de vin n’a jamais tué un homme. Mais il se tapait la poitrine en se faisant un honneur de ne boire que du vin; toujours du vin, jamais de l’eau-de-vie; le vin prolongeait l’existence, n’indisposait pas, ne saoulait pas. Pourtant, à plusieurs reprises, après des journées de désœuvrement, passées de chantier en chantier, de cabaret en cabaret, il était rentré éméché. Gervaise, ces jours-là, avait fermé sa porte, en prétextant elle-même un gros mal de tête, pour empêcher les Goujet d’entendre les bêtises de Coupeau.
Peu à peu
cependant, la jeune femme s’attrista. Matin et soir, elle allait, rue de la Goutte–d’Or, voir la boutique, qui était toujours à louer; et elle se cachait, comme si elle commettait un enfantillage indigne d’une grande personne. Cette boutique recommençait à lui tourner la tête; la nuit, quand la lumière était éteinte, elle trouvait, à y songer, les yeux ouverts, le charme d’un plaisir défendu; elle faisait de nouveau ses calculs, deux cent cinquante francs pour le loyer, cent cinquante francs d’outils et d’installation, cent francs d’avance afin de vivre quinze jours, en tout cinq cents francs, au chiffre le plus bas. Si elle n’en parlait pas à voix haute, continuellement, c’était de crainte de paraître regretter les économies mangées par la maladie de Coupeau. Elle devenait toute pâle souvent, ayant failli laisser 26eéchapper un mot, rattrapant sa phrase avec la confusion d’une vilaine pensée.
Maintenant, il faudrait travailler quatre ou cinq années encore, avant d’avoir mis de côté une si grosse somme. Sa grande désolation était justement de ne pouvoir s’établir tout de suite: elle aurait fourni aux besoins du ménage, sans compter sur Coupeau, en lui laissant des mois pour reprendre goût au travail; elle se serait surtout tranquillisée, certaine de l’avenir, débarrassée des peurs secrètes dont elle se sentait prise parfois, lorsqu’il revenait très-gai, chantant, racontant quelque bonne farce de cet animal de Mes Bottes, auquel il avait payé un litre.
Un soir, Gervaise se trouvant seule chez elle, Goujet entra et ne se sauva pas, comme à son habitude. Il s’était assis, il fumait en la regardant. Il devait avoir une phrase grave à prononcer; il la retournait, la mûrissait, sans
parvenir à lui donner une forme convenable. Enfin, après un gros silence, il se décida à retirer sa pipe de la bouche, pour dire tout d’un trait:
– Madame Gervaise, voudriez-vous me permettre de vous prêter de l’argent?
Elle était penchée sur un tiroir de sa commode, cherchant des torchons. Elle se releva, très-rouge. Il l’avait donc vue, le matin, rester en extase devant la boutique, pendant près de dix minutes? Lui, souriait d’un air gêné, comme s’il avait fait là une proposition blessante. Mais elle refusa vivement; jamais elle n’accepterait de l’argent, sans savoir quand elle pourrait le rendre. Puis, il s’agissait vraiment d’une trop forte somme. Et comme il insistait, consterné, elle finit par crier:
– Mais votre mariage? Je ne puis pas prendre l’argent de votre mariage, bien sûr!
– Oh! ne vous gênez pas, répondit-il en rougissant à son tour. Je ne me marie plus. Vous savez, une idée…. Vrai, j’aime mieux vous prêter l’argent.
26fAlors
tous deux baissèrent la tête. Il y avait entre eux quelque chose de très doux qu’ils ne disaient pas. Et Gervaise accepta. Goujet avait prévenu sa mère. Ils traversèrent le palier, allèrent la voir tout de suite. La dentellière était grave, un peu triste, son calme visage penché sur son tambour. Elle ne voulait pas contrarier son fils, mais elle n’approuvait pas le projet de Gervaise; et elle dit nettement pourquoi; Coupeau tournait mal, Coupeau lui mangerait sa boutique.
Elle ne pardonnait surtout point au zingueur d’avoir refusé d’apprendre à lire, pendant sa convalescence; le forgeron s’était offert pour lui montrer, mais l’autre l’avait envoyé dinguer, en accusant la science de maigrir le monde. Cela avait presque fâché les deux ouvriers; ils allaient chacun de leur côté. D’ailleurs, Mme Goujet, en voyant les regards suppliants de son grand enfant, se montra très bonne pour Gervaise. Il fut convenu qu’on prêterait cinq cents francs aux voisins; ils les rembourseraient en donnant chaque mois un à-compte de vingt francs; ça durerait ce que ça durerait.
– Dis donc! le forgeron te fait de l’œil, s’écria Coupeau en riant, quand il apprit l’histoire. Oh! je suis bien tranquille, il est trop godiche… On le lui rendra, son argent. Mais, vrai, s’il avait affaire à de la fripouille, il serait joliment jobardé.
Dès le lendemain, les Coupeau louèrent la boutique. Gervaise courut toute la journée, de la rue Neuve à la rue de la Goutte-d’Or. Dans le quartier, à la voir passer ainsi, légère, ravie au point de ne plus boiter, on racontait qu’elle avait dû se laisser faire une opération.

18 MAI 1876


V

27aJustement, les Boche, depuis le terme d’avril, avaient quitté la rue des Poissonniers et tenaient la loge de la grande maison, rue de la Goutte-d’Or. Comme ça se rencontrait
tout de même! Un des gros ennuis de Gervaise, qui avait vécu si tranquille sans concierge dans son trou de la rue Neuve, était de retomber sous la sujétion de quelque mauvaise bête, avec laquelle il faudrait se disputer pour un peu d’eau répandue ou pour la porte refermée trop fort, le soir. Les concierges sont une si sale espèce! Mais, avec les Boche, ce serait un plaisir. On se connaissait, on s’entendrait toujours. Enfin ça se passerait en famille.
Le jour de la location, quand les Coupeau vinrent signer le bail, Gervaise se sentit le cœur tout gros, en passant sous la haute porte. Elle allait donc habiter cette maison vaste comme une petite ville, allongeant et entrecroisant les rues interminables de ses escaliers et de ses corri27bdors. Les façades grises avec les loques des fenêtres séchant au soleil, la cour blafarde aux pavés défoncés de place publique, le ronflement de travail qui sortait des murs, lui causaient un
trouble vague, une joie d’être enfin près de contenter son ambition, une peur de ne pas réussir et de se trouver écrasée dans cette lutte énorme contre la faim, dont elle entendait le souffle.
Il lui semblait faire quelque chose de très hardi, se jeter au beau milieu d’une machine en branle, pendant que les marteaux du serrurier et les rabots de l’ébéniste tapaient et sifflaient, au fond des ateliers du rez-de-chaussée. Ce jour-là, les eaux de la teinturerie coulant sous le porche étaient d’un vert pomme très tendre. Elle les enjamba, en souriant; elle voyait dans cette couleur un heureux présage.
Le rendez-vous avec le propriétaire était dans la loge même des Boche. M. Marescot, un grand coutelier de la rue de la Paix, avait
autrefois tourné la meule, le long des trottoirs. On le disait riche aujourd’hui à plusieurs millions. C’était un homme de cinquante-cinq ans, fort, osseux, décoré, étalant ses mains immenses d’ancien ouvrier; et un de ses bonheurs était d’emporter les couteaux et les ciseaux de ses locataires, qu’il aiguisait lui-même, par plaisir. Il passait pour n’être pas fier, parce qu’il restait des heures chez ses concierges, caché dans l’ombre de la loge, à demander des comptes.
Il traitait là toutes ses affaires. Les Coupeau le trouvèrent devant la table graisseuse de Mme Boche, écoutant comment la couturière du second, dans l’escalier A, avait refusé de payer, d’un mot dégoûtant. Puis, quand on eut signé le bail, il donna une poignée de main au zingueur. Lui, aimait les ouvriers. Autrefois, il avait eu joliment du tirage. Mais le travail menait à tout. Et, après avoir compté les deux cent cinquante francs du premier semes27ctre, qu’il engloutit dans sa vaste poche, il dit sa vie, il montra sa décoration.
Gervaise, cependant, demeurait un peu gênée en voyant l’attitude des Boche. Ils affectaient de ne pas la connaître. Ils s’empressaient autour du propriétaire, courbés en deux, guettant ses paroles, les approuvant de la tête.
Mais, vis-à-vis du monde, ils gardaient plus de dignité et plus de majesté que lui. Mme Boche sortit vivement, alla chasser une bande d’enfants qui pataugeaient devant la fontaine dont le robinet grand ouvert inondait le pavé; et quand elle revint, droite et sévère dans ses jupes, traversant la cour avec de lents regards à toutes les fenêtres, comme pour s’assurer du bon ordre de la maison, elle eut un pincement de lèvres disant de quelle autorité elle était investie, maintenant qu’elle avait sous elle trois cents locataires.
Boche, de nouveau, parlait de la couturière du second; il était d’avis de l’expulser; il calculait les termes en retard, avec une importance d’intendant dont la gestion pouvait être compromise. M. Marescot approuva l’idée de l’expulsion; mais il voulait attendre jusqu’au demi-terme. C’était dur de jeter les gens à la rue, d’autant plus que ça ne mettait pas un sou dans la poche du propriétaire. Et Gervaise, avec un léger frisson, se demanderait si on la jetterait, elle aussi,, le jour ou un malheur viendrait à l’empêcher de payer. La loge, enfumée, emplie de meubles noirs, avait une humidité et un jour livide de cave; devant la fenêtre, toute la lumière tombait sur l’établi du tailleur, où traînait une vieille redingote à retourner; tandis que Pauline, la petite des Boche, une enfant rousse de quatre ans, assise par terre, regardait sagement cuire un morceau de veau, baignée et ravie dans l’odeur forte de cuisine montant du poêlon.
M. Marescot
tendit de nouveau la main au zingueur, lorsque celui-ci lui parla des ré27dparations, en lui rappelant sa promesse verbale de causer de cela plus tard. Mais le propriétaire se fâcha; il ne s’était engagé à rien, le bail se trouvait signé; jamais, d’ailleurs, on ne faisait des réparations dans une boutique. Pourtant, il consentit à aller voir les lieux, suivi des Coupeau et de Boche. Le petit mercier était parti en emportant son agencement de casiers et de comptoirs; la boutique, toute nue, montrait son plafond noir, ses murs crevés, où des lambeaux d’un ancien papier jaune pendaient.
Là, dans le vide sonore des pièces, une discussion furieuse s’engagea. M. Marescot criait que c’était aux commerçants à embellir leurs magasins, car enfin un commerçant pouvait vouloir de l’or partout, et lui, propriétaire, ne pouvait pas mettre de l’or; puis, il raconta sa propre installation rue de la Paix, où il avait dépensé plus de vingt mille francs. Gervaise, avec son entêtement de femme, répétait un raisonnement qui lui semblait irréfutable; dans un logement, n’est-ce pas, il ferait coller du papier? alors, pourquoi ne considérait-il pas la boutique comme un logement? Elle ne lui demandait pas autre chose, blanchir le plafond et coller du papier.
Boche, cependant, restait impénétrable et digne; il tournait, regardait en l’air, sans se prononcer. Coupeau avait beau lui adresser des clignements d’yeux, il affectait de ne pas vouloir abuser de sa grande influence sur le propriétaire. Il finit pourtant par laisser échapper un jeu de physionomie, un petit sourire mince accompagné d’un hochement de tête. Justement, M. Marescot, exaspéré, l’air malheureux, écartant ses dix doigts dans une crampe d’avare auquel on arrache son or, cédait à Gervaise, promettait le plafond et le papier, à la condition qu’elle paierait la moitié du papier. Et il se sauva vite, ne voulant plus entendre parler de rien.
Alors, quand Boche fut seul avec les 27eCoupeau, il leur donna des claques sur les épaules, très-expansif. Hein? c’était enlevé! Sans lui, jamais ils n’auraient eu leur papier ni leur plafond. Avaient-ils remarqué comme le propriétaire l’avait consulté du coin de l’œil et s’était brusquement décidé en le voyant sourire? Puis, en confidence, il avoua être le vrai maître de la maison: il décidait des congés, louait si les gens lui plaisaient, touchait les termes qu’il gardait des quinze jours dans sa commode. Le soir, les Coupeau, pour remercier les Boche, crurent poli de leur envoyer deux litres de vin. Ça méritait un cadeau.
Dès le lundi suivant, les ouvriers se mirent à la boutique. L’achat du papier fut surtout une grosse affaire. Gervaise voulait un papier gris à fleurs bleues, pour éclairer et égayer les murs. Boche lui offrit de l’emmener; elle choisirait. Mais il avait des ordres formels du propriétaire, il ne devait pas dépasser le prix de quinze sous le rouleau. Ils restèrent une heure chez le marchand, la blanchisseuse revenait toujours à une perse très
gentille de dix-huit sous, désespérée, trouvant les autres papiers affreux. Enfin, le concierge céda; il arrangerait la chose, il compterait un rouleau de plus, s’il le fallait. Et Gervaise, en rentrant, acheta des gâteaux pour Pauline. Elle n’aimait pas rester en arrière, il y avait tout bénéfice avec elle à se montrer complaisant.
En quatre jours, la boutique devait être prête. Les travaux durèrent trois semaines. D’abord, on avait parlé de lessiver simplement les peintures. Mais ces peintures, anciennement lie de vin, étaient si sales et si tristes, que Gervaise se laissa entraîner à faire remettre toute la devanture en bleu clair, avec des filets jaunes. Alors, les réparations s’éternisèrent. Coupeau, qui ne travaillait toujours pas, arrivait dès le matin, pour voir si ça marchait. Boche lâchait la redingote ou le pantalon dont il re27ffaisait les boutonnières, venait de son côté surveiller ses hommes. Et tous deux, debout en face des ouvriers, les mains derrière le dos, fumant, crachant, passaient la journée à juger chaque coup de pinceau. C’étaient des réflexions interminables, des rêveries profondes pour un clou à arracher. Les peintres, deux grands diables bons enfants, quittaient leurs échelles, se plantaient
aussi au milieu de la boutique, se mêlant à la discussion, hochant la tête pendant des heures, en regardant d’un œil songeur leur besogne commencée. Le plafond se trouva badigeonné assez rapidement. Ce furent les peintures dont on faillit ne jamais sortir. Ça ne voulait pas sécher.
Vers neuf heures, les peintres se montraient avec leurs pots à couleur, les posaient dans un coin, donnaient un coup d’œil à droite et à gauche, puis disparaissaient; et on ne les revoyait plus. Ils étaient allés déjeuner, ou bien ils avaient dû finir une bricole, là, à côté, rue Myrrha. D’autres fois, Coupeau emmenait toute la coterie boire un canon, Boche, les peintres, avec les camarades qui passaient; c’était encore une après-midi flambée. Gervaise se mangeait les sangs. Brusquement, en deux jours, tout fut terminé, les peintures vernies, le papier collé, les saletés jetées au tombereau. Les ouvriers avaient bâclé ça comme en se jouant, sifflant sur leurs échelles, chantant à étourdir le quartier.

20 MAI 1876

29aL’emménagement eut lieu tout de suite. Gervaise, les premiers jours, éprouvait des joies d’enfant, quand elle traversait la rue, en rentrant d’une commission. Elle s’attardait, souriait à son chez elle. De loin, au milieu de la file noire des autres devantures, sa boutique lui apparaissait toute claire, d’une gaieté neuve, avec son enseigne bleu tendre, où les mots: Blanchisseuse de fin, étaient peints en grandes lettres jaunes. Dans la vitrine, fermée au fond par des petits rideaux de mousseline, tapissée de papier bleu pour faire valoir la blancheur du linge, des chemises d’homme restaient en montre, des bonnets de femme pendaient, les brides nouées à des fils de laiton. Et elle trouvait sa boutique jolie, couleur du ciel. Dedans, on entrait encore dans du bleu; le papier, qui imitait une perse Pompadour, représentait une treille où couraient des liserons;
les étagères, à droite et à gauche, étaient tapissées comme les planches de l’étalage; l’établi, une immense table tenant les deux tiers de la pièce, garni d’une épaisse couverture, se drapait d’un bout de cretonne à grands ramages bleuâtres, pour cacher les tréteaux. Gervaise s’asseyait sur un tabouret, soufflait un peu de contentement, heureuse de 29bcette belle propreté, couvant des yeux ses outils neufs. Mais son premier regard allait toujours à sa mécanique, un poêle de fonte, où dix fers pouvaient chauffer à la fois, rangés autour du foyer, sur des plaques obliques. Elle venait se mettre à genoux, regardait avec la continuelle peur que sa petite bête d’apprentie ne fit éclater la fonte, en fourrant trop de coke.
Derrière la boutique, le logement était très
convenable. Les Coupeau couchaient dans la première chambre, où l’on faisait la cuisine et où l’on mangeait; une porte, au fond, ouvrait sur la cour de la maison.
Le lit de Nana se trouvait dans la chambre de droite, un grand cabinet, qui recevait le jour par une lucarne ronde, près du plafond.
Quant à Étienne, il partageait la chambre de gauche, avec le linge sale, dont d’énormes tas traînaient toujours sur le plancher. Pourtant, il y avait un inconvénient; les Coupeau ne voulaient pas en convenir d’abord; mais les murs pissaient l’humidité, et on ne voyait plus clair, dès trois heures de l’après-midi.
Dans le quartier, la nouvelle boutique produisit une grosse émotion. On accusa les Coupeau d’aller trop vite et de faire des embarras. Ils avaient, en effet, dépensé les cinq
cents francs des Goujet en installation, sans garder même de quoi vivre une quinzaine, comme ils se l’étaient promis.
Le matin où Gervaise enleva ses volets pour la première fois, il lui restait juste six francs dans son porte-monnaie. Mais elle n’était pas en peine, les pratiques arrivaient, ses affaires s’annonçaient très bien. Huit jours plus tard, le samedi, avant de se coucher, elle resta deux heures à calculer, sur un bout de papier; et elle réveilla Coupeau, la mine luisante, pour lui dire qu’il y avait des mille et des cents à gagner, si l’on était raisonnable.
– Ah bien! criait madame Lorilleux dans toute la rue de la Goutte-d’Or, mon 29cimbécile de frère en voit de drôles!.. Il ne manquait plus à la Banban que de faire la vie. Ça lui va bien, n’est-ce pas
!
Les Lorilleux s’étaient brouillés à mort avec Gervaise. D’abord, pendant les réparations de la boutique, ils avaient failli crever de rage; rien qu’à voir les peintres de loin, ils passaient sur l’autre trottoir, ils remontaient chez eux les dents serrées. Une boutique bleue à cette rien-du-tout, si ce n’était pas
une chose à casser les bras des honnêtes gens! Aussi, dès le second jour, comme l’apprentie vidait à la volée un bol d’amidon juste au moment où madame Lorilleux sortait, celle-ci avait-elle ameuté la rue en accusant sa belle-sœur de la faire insulter par ses ouvrières. Et tous rapports étaient rompus, on n’échangeait plus que des regards terribles, quand on se rencontrait.
– Oui, une jolie vie! répétait madame Lorilleux. On sait d’où il lui vient, l’argent de sa baraque! Elle a gagné ça avec le forgeron… Encore
du propre monde, de ce côté-là! Le père ne s’est-il pas coupé la tête avec un couteau, pour éviter la peine à la guillotine? Enfin, quelque sale histoire dans ce genre!
Elle accusait très
carrément Gervaise de coucher avec Goujet. Elle mentait, elle prétendait les avoir surpris un soir ensemble sur un banc du boulevard extérieur. La pensée de cette liaison, des plaisirs que devait goûter sa belle-sœur, l’exaspérait davantage dans son honnêteté de femme laide. Chaque jour, le cri de son cœur lui revenait aux lèvres:
– Mais qu’a-t-elle donc sur elle, cette infirme, pour se faire aimer!
Est-ce qu’on m’aime, moi!
Puis, c’étaient des potins interminables avec les voisines. Elle racontait toute l’histoire. Allez, le jour du mariage, elle avait fait une drôle de tête! Oh! elle avait le nez creux, elle sentait déjà comment ça devait tourner. Plus tard, mon Dieu! la 29dBanban s’était montrée si douce, si hypocrite, qu’elle et son mari, par égard pour Coupeau, avaient consenti à être parrain et marraine de Nana; même que ça coûtait bon, un baptême comme celui-là. Mais maintenant, voyez-vous
, la Banban pouvait être à l’article de la mort et avoir besoin d’un verre d’eau, ce ne serait pas elle, bien sûr, qui le lui donnerait. Elle n’aimait pas les insolentes, ni les coquines, ni les dévergondées. Si on avait fouillé dans le cœur de la blanchisseuse, on n’aurait amené que de la boue; et elle semblait fouiller de la main, retirer du vide des pelletées d’ordures.
Quant à Nana, elle continuerait à être bien reçue, si elle montait voir son parrain et sa marraine; la petite, n’est-ce pas? n’était point coupable des crimes de la mère. Coupeau, lui, n’avait pas besoin de conseil; à sa place, tout homme aurait trempé le derrière de sa femme dans un baquet, en lui allongeant une paire de claques; enfin ça le regardait, on lui demandait seulement d’exiger du respect pour sa famille. Jour de Dieu! si Lorilleux l’avait trouvée, elle, Mme Lorilleux, en flagrant délit! ça ne se serait pas passé tranquillement, il lui aurait planté ses cisailles dans le ventre.
Les Boche, pourtant, juges sévères des querelles de la maison, donnaient tort aux Lorilleux. Sans doute, les Lorilleux étaient des personnes comme il faut, tranquilles, travaillant toute la sainte journée, payant régulièrement leur terme. Mais là, franchement, la jalousie les enrageait. Avec
çà, ils auraient tondu un œuf. Des pingres, quoi! des gens qui cachaient leur litre, quand on montait, pour ne pas offrir un verre de vin; enfin, du monde pas propre. Un jour, Gervaise venait de payer aux Boche du cassis avec de l’eau de seltz qu’on buvait dans la loge, quand Mme Lorilleux était passée, très raide, en affectant de cracher devant la porte des concierges. Et, de29epuis lors, chaque samedi, Mme Boche, lorsqu’elle balayait les escaliers et les couloirs, laissait les ordures devant la porte des Lorilleux.
– Parbleu! criait
Mme Lorilleux, la Banban les gorge, ces goinfres! Ah! ils sont bien tous les mêmes!… Mais qu’ils ne m’embêtent pas! J’irais me plaindre au propriétaire…
Maman Coupeau voyait toujours les deux ménages, disant comme tout le monde, arrivant même à se faire retenir plus souvent à dîner, en écoutant complaisamment sa fille et sa belle-fille, un soir chacune.
Mme Lerat, pour le moment, n’allait plus chez les Coupeau, parce qu’elle s’était disputée avec la Banban, à propos d’un zouave qui venait de couper le nez de sa maîtresse d’un coup de rasoir: elle soutenait le zouave, elle trouvait le coup de rasoir très amoureux, sans donner ses raisons. Et elle avait encore exaspéré les colères de Mme Lorilleux, en lui affirmant que la Banban, dans la conversation, devant des quinze et des vingt personnes, l’appelait Queue-de-vache sans se gêner. Mon Dieu! oui, les Boche, les voisins maintenant l’appelaient Queue-de-vache.
Au milieu de ces cancans, Gervaise, tranquille, souriante, sur le seuil de sa boutique, saluait les amis d’un petit signe de tête affectueux. Elle se plaisait à venir là, une minute, entre deux coups de fer, pour rire à la rue, avec le gonflement de vanité d’une commerçante, qui a un bout de trottoir à elle. La rue de la Goutte-d’Or lui appartenait, et les rues voisines, et le quartier tout entier. Quand elle allongeait la tête, en camisole blanche, les bras nus, ses cheveux blonds envolés dans le feu du travail, elle jetait un regard à gauche, un regard à droite, aux deux bouts, pour prendre d’un trait les passants, les maisons, le pavé et le ciel
; à gauche, la rue de la Goutte–d’Or s’enfonçait, paisible, déserte, dans un coin de province où des femmes 29fcausaient bas sur des portes; à droite, à quelques pas, la rue des Poissonniers mettait un vacarme de voitures, un continuel piétinement de foule, qui refluait et faisait de ce bout un carrefour de cohue populaire.
Gervaise aimait la rue, les cahots des camions dans les trous du gros pavé bossué, les bousculades des gens le long des minces trottoirs, interrompus par des cailloutis en pente raide; ses trois mètres de ruisseau, devant sa boutique, prenaient une importance énorme, un fleuve large, qu’elle voulait très propre, un fleuve étrange et vivant, dont la teinturerie de la maison colorait les eaux des caprices les plus tendres, au milieu de la boue noire. Puis, elle s’intéressait à des magasins, une vaste épicerie, avec un étalage de fruits secs garanti par des filets à petites mailles, une lingerie et bonneterie d’ouvriers, balançant au moindre souffle des cottes et des blouses bleues, pendues les jambes et les bras écartés. Chez la fruitière, elle apercevait des angles de comptoir, où des chats superbes et tranquilles ronronnaient. Sa voisine, Mme Vigouroux, la charbonnière, lui rendait son salut, une petite femme grasse, la face noire, les yeux luisants, fainéantant à rire avec des hommes, adossée contre sa devanture, que des bûches peintes sur un fond lie de vin décoraient d’un dessin compliqué de chalet rustique. Mmes Cudorge, la mère et la fille, ses autres voisines qui tenaient la boutique de parapluies, ne se montraient jamais, leur vitrine assombrie, leur porte close, ornée de deux petites ombrelles de zinc enduites d’une épaisse couche de vermillon vif.

21 MAI 1876

V
– Suite –

30aMais Gervaise, avant de rentrer, donnait toujours un coup d’œil, en face d’elle, à un grand mur blanc, sans une fenêtre, percé d’une immense porte cochère, par laquelle on voyait le flamboiement d’une forge, dans une cour encombrée de charrettes et de carrioles, les brancards en l’air; sur le mur, le mot: Maréchalerie était écrit en grandes lettres, encadré d’un éventail de fers à cheval; toute la journée, les marteaux sonnaient sur l’enclume, des incendies d’étincelles éclairaient l’ombre blafarde de la cour. Et, au bas de ce mur, au fond d’un trou, grand comme une armoire, entre une marchande de ferraille et une marchande de pommes de terre frites, il y avait un horloger, un monsieur en redingote, l’air propre, qui fouillait continuellement des montres avec des outils mignons, devant un établi où des choses délicates dormaient sous des verres; tandis que, derrière lui, les balanciers de deux ou trois douzaines de coucous tout petits battaient à la fois, dans la misère noire de la rue et 30ble vacarme cadencé de la maréchalerie.
Le quartier trouvait Gervaise bien gentille. Sans doute, on clabaudait sur son compte, mais il n’y avait qu’une voix pour lui reconnaître de grands yeux, une bouche pas plus longue que ça, avec des dents très
blanches. Enfin, c’était une jolie blonde, et elle aurait pu se mettre parmi les plus belles, sans le malheur de sa jambe. Elle était dans ses vingt-huit ans, elle avait engraissé. Ses traits fins s’empâtaient, ses gestes prenaient une lenteur heureuse. Maintenant, elle s’oubliait parfois sur le bord d’une chaise, le temps d’attendre son fer, avec un sourire vague, la face noyée d’une joie gourmande. Elle devenait gourmande; ça, tout le monde le disait; mais ce n’était pas un vilain défaut, au contraire. Quand on gagne de quoi se payer de fins morceaux, n’est-ce pas? on serait bien bête de manger des pelures de pommes de terre. D’autant plus qu’elle travaillait toujours dur, se mettant en quatre pour ses pratiques, passant elle-même les nuits, les volets fermés, lorsque la besogne était pressée. Comme on disait dans le quartier, elle avait la veine: tout lui prospérait. Elle blanchissait la maison, M. Madinier, mademoiselle Remanjou, les Boche; elle enlevait même à son ancienne patronne, Mme Fauconnier, des dames de Paris logées rue du Faubourg-Poissonnière.
Dès la seconde quinzaine, elle avait dû prendre deux ouvrières, Mme Putois et la grande Clémence, cette fille qui habitait autrefois la maison; ça lui faisait trois personnes chez elle, avec son apprentie, ce petit louchon d’Augustine, laide comme un derrière de pauvre homme. D’autres auraient pour sûr perdu la tête, dans ce coup de fortune. Elle était bien pardonnable de fricoter un peu le lundi, après avoir trimé la semaine entière. D’ailleurs, il lui fallait ça; elle serait restée gnangnan, à regarder les chemises se repasser toutes seules, si elle ne s’était pas collé un velours sur la 30cpoitrine, quelque chose de bon dont l’envie lui chatouillait le jabot.
Jamais Gervaise n’avait encore montré tant de complaisance. Elle était douce comme un mouton, bonne comme du pain. À part
Madame Lorilleux, qu’elle appelait Queue-de-vache, pour se venger, elle ne détestait personne, elle excusait tout le monde. Dans le léger abandon de sa gueulardise, quand elle avait bien déjeuné et pris son café, elle cédait au besoin d’une indulgence générale. Son mot était: «On doit se pardonner entre soi, n’est-ce pas? si l’on ne veut pas vivre comme des sauvages.» Quand on lui parlait de sa bonté, elle riait. Il n’aurait plus manqué qu’elle fût méchante: elle se défendait, elle disait n’avoir aucun mérite à être bonne. Est-ce que tous ses rêves n’étaient pas réalisés, est-ce qu’il lui restait à ambitionner quelque chose dans l’existence? Elle rappelait son idéal d’autrefois, lorsqu’elle se trouvait sur le pavé: travailler, manger du pain, avoir un trou à soi, élever ses enfants, ne pas être battue, mourir dans son lit. Et maintenant son idéal était dépassé; elle avait tout, et en plus beau; quant à mourir dans son lit, ajoutait-elle en plaisantant, elle y comptait, mais le plus tard possible, bien entendu.
C’était surtout pour Coupeau que Gervaise se montrait gentille. Jamais une mauvaise parole, jamais une plainte, derrière le dos de son mari. Le zingueur avait fini par se remettre au travail; et, comme son chantier était alors à l’autre bout de Paris, elle lui donnait tous les matins quarante sous pour son déjeuner, sa goutte et son tabac. Seulement, deux jours sur six, Coupeau s’arrêtait en route, buvait les quarante sous avec un ami, et revenait déjeuner en racontant une histoire. Une fois même, il n’était pas allé loin, il s’était payé avec Mes
Bottes et trois autres un gueuleton soigné, des escargots, du rôti et du vin cacheté, au Capucin, barrière de la 30dla Chapelle; puis, comme ses quarante sous ne suffisaient pas, il avait envoyé la note à sa femme par un garçon, en lui faisant dire qu’il était au clou. Celle-ci riait, haussait les épaules. Où était le mal, si son homme s’amusait un peu? Il fallait laisser aux hommes la corde longue, quand on voulait vivre en paix dans son ménage. D’un mot à un autre, on en arrivait aux coups. Mon Dieu! on devait tout comprendre, Coupeau souffrait encore de sa jambe, puis il se trouvait entraîné, il était bien forcé de faire comme les autres, sous peine de passer pour un muffe. D’ailleurs, ça ne tirait pas à conséquence; s’il rentrait émêché, il se couchait, et deux heures après il n’y paraissait plus.
Cependant, les fortes chaleurs étaient venues. Une après-midi de juin, un samedi que l’ouvrage pressait, Gervaise avait elle-même bourré de coke la mécanique, autour de laquelle dix fers chauffaient, dans le ronflement du tuyau.

À cette heure, le soleil tombait d’aplomb sur la devanture, le trottoir renvoyait une réverbération ardente, dont les grandes moires dansaient au plafond de la boutique; et ce coup de lumière, bleui par le reflet du papier des étagères et de la vitrine, mettait au-dessus de l’établi un jour aveuglant, comme une poussière de soleil tamisée dans les linges fins. Il faisait là une température à crever. On avait laissé ouverte la porte de la rue; mais pas un souffle de vent ne venait; les pièces qui séchaient en l’air, pendues aux fils de laiton, fumaient, étaient raides comme des copeaux en moins de trois quarts d’heure. Depuis un instant, sous cette lourdeur de fournaise, un gros silence régnait, au milieu duquel les fers seuls tapaient sourdement, étouffés par l’épaisse couverture garnie de calicot.
– Ah bien! dit Gervaise, si nous ne fondons pas
aujourd’hui! On retirerait sa chemise!
30eElle était accroupie par terre, devant une terrine, occupée à passer du linge à l’amidon. En jupon blanc, la camisole retroussée aux manches et glissée des épaules, elle avait les bras nus, le cou nu, toute rose, si suante, que des petites mèches blondes de ses cheveux ébouriffés se collaient à sa peau. Soigneusement, elle trempait dans l’eau laiteuse des bonnets, des devants de chemises d’homme, des jupons entiers, des garnitures de pantalons de femme. Puis
elle roulait les pièces et les posait au fond d’un panier carré, après avoir plongé dans un seau et secoué sa main sur les corps des chemises et des pantalons qui n’étaient pas amidonnés.
– C’est pour vous, ce panier, madame Putois, reprit-elle. Dépêchez-vous, n’est-ce pas? Ça sèche tout de suite, il faudrait recommencer dans une heure.
Madame Putois, une femme de quarante
cinq ans, maigre, petite, repassait sans aucune goutte de sueur, boutonnée dans un vieux caraco marron. Elle n’avait pas même retiré son bonnet, un bonnet noir garni de rubans verts tournés au jaune. Et elle restait toute raide devant l’établi, trop haut pour elle, les coudes en l’air, poussant son fer avec des gestes cassés de marionnette. Tout d’un coup, elle s’écria:
– Ah! non, mademoiselle Clémence, remettez votre camisole. Vous savez, je n’aime pas les indécences
Pendant que vous y êtes, montrez toute votre boutique. Il y a déjà trois hommes arrêtés en face.
La grande Clémence la traita de vieille bête, entre ses dents. Elle suffoquait, elle pouvait bien se mettre à l’aise; tout le monde n’avait pas une peau d’amadou. D’ailleurs, est-ce qu’on voyait quelque chose? Et elle levait les bras, sa gorge puissante de belle fille crevait sa chemise, ses épaules faisaient craquer les courtes manches. Clémence s’en donnait à se vider les
moelles avant trente ans; le lendemain de noces sérieuses, elle ne sentait plus le 30fcarreau sous ses pieds; elle dormait sur la besogne, la tête et le ventre comme bourrés de chiffons. Mais on la gardait quand même, car pas une ouvrière ne pouvait se flatter de repasser une chemise d’homme avec son chic. Elle avait la spécialité des chemises d’homme.
– C’est à moi, allez! finit-elle par déclarer, en se donnant des claques sur la gorge. Et ça ne mord pas, ça ne fait bobo à personne.
– Clémence, remettez votre camisole, dit Gervaise.
Mme Putois a raison, ce n’est pas convenable… On prendrait ma maison pour ce qu’elle n’est pas.
Alors, la grande Clémence se rhabilla en bougonnant. En voilà des giries! Avec ça que les passants n’avaient jamais vu des
nénets! Et elle soulagea sa colère sur l’apprentie, ce louchon d’Augustine, qui repassait à côté d’elle du linge plat, des bas et des mouchoirs; elle la bouscula, la poussa avec son coude. Mais Augustine, hargneuse, d’une méchanceté sournoise de monstre et de souffre-douleur, cracha par derrière sur sa robe, sans qu’on la vit, pour se venger.
Gervaise pourtant venait de commencer un bonnet appartenant
Mme Boche, qu’elle voulait soigner. Elle avait préparé de l’amidon cuit pour le remettre à neuf; elle promenait doucement, dans le fond de coiffe, le polonais, un petit fer rond des deux bouts, lorsqu’une femme entra, osseuse, la face tachée de plaques rouges, les jupes trempées. C’était une maîtresse laveuse qui employait trois ouvrières au lavoir de la Goutte-d’Or.

23 MAI 1876

V
– Suite –

31aVous arrivez trop tôt, madame Bijard! cria Gervaise. Je vous
ai dit ce soir… Vous me dérangez joliment à cette heure-ci!
Mais comme la laveuse se lamentait, craignant de ne pouvoir mettre couler le jour même, elle voulut bien lui donner le linge sale tout de suite. Elles allèrent chercher les paquets dans la pièce de gauche où couchait Étienne,
revinrent avec des brassées énormes, qu’elles empilèrent sur le carreau, au fond de la boutique. Et le triage dura une grosse demi-heure. Gervaise faisait des tas autour d’elle, jetait ensemble les chemises d’homme, les chemises de femme, les mouchoirs, les chaussettes, les torchons. Quand une pièce d’un nouveau client lui passait entre les mains, elle la marquait d’une croix au fil rouge, pour la reconnaître. Dans l’air chaud, une puanteur fade montait de tout ce linge sale remué.
– Oh! la, la, ça gazouille! dit Clémence, en se bouchant le nez.
31bPardi! si c’était propre, on ne nous le donnerait pas, expliqua tranquillement Gervaise. Ça sent son fruit, quoi!… Nous disions quatorze chemises de femme, n’est-ce pas? madame Bijard… quinze, seize,
dix–sept
Elle continua à compter tout haut. Elle n’avait aucun dégoût, habituée à l’ordure; elle enfonçait ses bras nus et roses au milieu des chemises jaunes de crasse, des torchons raidis par la graisse des eaux de vaisselle, des chaussettes mangées et pourries de sueur. Pourtant, dans l’odeur forte qui battait son visage penché au-dessus des tas, une nonchalance la prenait. Elle s’était assise au bord d’un tabouret, se courbant en deux, allongeant les mains à droite, à gauche, avec des gestes ralentis, comme si elle se grisait de cette puanteur humaine, vaguement souriante, les yeux noyés. Et il semblait que ses premières paresses vinssent de là, de l’asphyxie des vieux linges empoisonnant l’air autour d’elle.
Juste au moment où
Gervaise secouait une couche d’enfant, qu’elle ne reconnaissait pas, tant elle était pisseuse, Coupeau entra.
– Cré coquin! bégaya-t-il, quel coup de soleil!…
Ça vous tape dans la tête!
Le zingueur se retint à l’établi
, pour ne pas tomber. C’était la première fois qu’il prenait une pareille cuite. Jusque là, il était rentré pompette, rien de plus. Mais, cette fois, il avait un gnon sur l’œil, une claque amicale égarée dans une bousculade. Ses cheveux frisés, où des fils blancs se montraient déjà, devaient avoir épousseté une encoignure de quelque salle louche de marchand de vin, car une toile d’araignée pendait à une mèche, sur la nuque. Il restait rigolo d’ailleurs, les traits un peu tirés et vieillis, la mâchoire inférieure saillant davantage, mais toujours bon enfant, disait-il, et la peau encore assez tendre pour faire envie à une duchesse.
31cJe vais t’expliquer, reprit-il en s’adressant à Gervaise. C’est Pied-de-Céleri, tu le connais bien, celui qui a une quille de bois… Alors, il part pour son pays, il a voulu nous régaler… Oh! nous étions d’aplomb, sans ce gueux de soleil… Dans la rue, le monde est malade. Vrai! le monde festonne…
Et comme la grande Clémence s’égayait de ce qu’il avait vu la rue soûle, il fut pris lui-même d’une joie énorme
, dont il faillit étrangler. Il criait:
– Hein! les sacrés pochards!
ils sont d’un farce!… Mais ce n’est pas leur faute, c’est le soleil…
Toute la boutique riait, même
Mme Putois, qui n’aimait pas les ivrognes. Ce louchon d’Augustine avait un chant de poule, la bouche ouverte, suffoquant. Cependant,Gervaise soupçonnait Coupeau de n’être pas rentré tout droit, d’avoir passé une heure chez les Lorilleux, où il recevait de mauvais conseils. Quand il lui eut juré que non, elle rit à son tour, pleine d’indulgence, ne lui reprochant même pas d’avoir encore perdu une journée de travail.
– Dit-il des bêtises, mon
dieu! murmura-t-elle. Peut-on dire des bêtises pareilles! Puis d’une voix maternelle:
– Va te coucher, n’est-ce pas
! Tu vois, nous sommes occupées; tu nous gênes… Ça fait trente deux mouchoirs, Mme Bijard; et deux autres, trente-quatre…
Mais Coupeau n’avait pas sommeil. Il resta là, à se dandiner, avec un mouvement de balancier d’horloge, ricanant d’un air entêté et taquin. Gervaise,
voulant se débarrasser de Mme Bijard, appela Clémence, lui fit compter le linge pendant qu’elle l’inscrivait. Alors, à chaque pièce, cette grande vaurienne lâcha un mot cru; elle étalait les misères des clients, les aventures des alcôves, elle avait des plaisanteries d’atelier sur tous les trous et toutes les taches qui lui passaient par les mains.
31dMme
Putois pinçait les lèvres, trouvait ça bête, de dire ces choses devant Coupeau: un homme n’a pas besoin de voir le linge; c’est un de ces déballages qu’on évite chez les gens comme il faut.
Quant à Gervaise, sérieuse, à son affaire, elle semblait ne pas entendre. Tout en écrivant, elle suivait les pièces d’un regard attentif, pour les reconnaître au passage; et elle ne se trompait jamais, elle mettait un nom sur chacune, au flair, à la couleur. Ces serviettes-là appartenaient aux Goujet; ça sautait aux yeux, elles n’avaient pas servi à essuyer le cul des poêlons. Voilà une taie d’oreiller qui venait certainement des Boche, à cause de la pommade dont Mme Boche emplâtrait tout son linge.
Il n’y avait pas besoin non plus de mettre son nez sur les gilets de flanelle de M. Madinier, pour savoir qu’ils étaient à lui; il teignait la laine, cet homme, tant il avait la peau grasse. Et elle savait d’autres particularités: les secrets de la propreté de chacun; les dessous des voisines, traversant la rue en jupe de soie; le nombre de bas, de mouchoirs, de chemises qu’on salissait par semaine; la façon dont les gens déchiraient certaines pièces, toujours au même endroit. Aussi était-elle pleine d’anecdotes. Les chemises de Mlle Remanjou, par exemple, fournissaient des commentaires interminables; elles s’usaient par le haut, la vieille fille devait avoir les os des épaules pointus; et jamais elles n’étaient sales, les eût-elle portées quinze jours, ce qui prouvait qu’à cet âge-là ont est quasiment comme un morceau de bois, dont on serait bien en peine de tirer une larme de quelque chose. Dans la boutique, à chaque triage, on déshabillait ainsi tout le quartier de la Goutte-d’Or.
– Ça, c’est
nanan! cria Clémence, en ouvrant un nouveau paquet.
Gervaise, prise brusquement d’une grande répugnance, s’était reculée.
31eLe paquet de
Mme Gaudron, dit-elle. Je ne veux plus la blanchir, je cherche un prétexte… Non, je ne suis pas plus difficile qu’une autre, j’ai touché à du linge bien dégoûtant dans ma vie; mais, vrai, celui-là, je ne peux pas. Ça me ferait jeter du cœur sur du carreau… Qu’est-ce qu’elle fait donc, cette femme, pour mettre son linge dans un état pareil!
Et elle pria Clémence de se dépêcher. Mais l’ouvrière continuait ses remarques, fourrait ses doigts dans les trous, avec des allusions sur les pièces, qu’elle agitait comme les drapeaux de l’ordure triomphante. Cependant, les tas avaient monté autour de Gervaise. Maintenant, toujours assise au bord du tabouret, elle disparaissait entre
le tas de chemises et le tas de jupons; elle avait devant elle les draps, les pantalons, les nappes, une débâcle de malpropreté; et, là-dedans, au milieu de cette mare grandissante, elle gardait ses bras nus, son cou nu, avec ses mèches de petits cheveux blonds collés à ses tempes, plus rose et plus alanguie. Elle retrouvait son air posé, son sourire de patronne attentive et soigneuse, oubliant le linge de Mme Gaudron, ne le sentant plus, fouillant d’une main dans les tas pour voir s’il n’y avait pas d’erreur. Ce louchon d’Augustine, qui adorait jeter des pelletées de coke dans la mécanique, venait de la bourrer à un tel point, que les plaques de fonte rougissaient. Le soleil oblique battait la devanture, la boutique flambait. Alors, Coupeau, que la grosse chaleur grisait davantage, fut pris d’une soudaine tendresse. Il sortit d’une profonde réflexion, il s’avança vers Gervaise, les bras ouverts, très ému.
– T’es une bonne femme, bégayait-il. Faut que je t’embrasse.
Mais il s’emberlificota dans
le tas des jupons, qui lui barrait le chemin, et faillit tomber.
– Es-tu bassin! dit Gervaise sans se fâcher. Reste tranquille, nous avons fini.
31fNon, il voulait l’embrasser, il avait besoin de ça, parce qu’il l’aimait bien. Tout en balbutiant, il tournait le tas des jupons, il butait dans le tas des chemises; puis, comme il s’entêtait, ses pieds s’accrochèrent, il s’étala, le nez au beau milieu des torchons. Gervaise, prise d’un commencement d’impatience, le bouscula, en criant qu’il allait tout mélanger. Mais Clémence, madame Putois elle-même, lui donnèrent tort. Il était gentil, après tout. Il voulait l’embrasser. Elle pouvait bien se laisser embrasser.
– Vous êtes heureuse, allez
, madame Coupeau, dit madame Bijard, que son soulard de mari, un serrurier tuait de coups chaque soir en rentrant. Si le mien était comme ça, quand il s’est piqué le nez, ce serait un plaisir.
Gervaise, calmée, regrettait déjà sa vivacité. Elle aida Coupeau à se remettre debout. Puis, elle
lui tendit la joue, en souriant. Mais lui, sans se gêner devant le monde, cherchait à lui prendre les seins.
– Ce n’est pas pour dire, murmurait-il, il chelingue rudement, ton linge! Mais je t’aime tout de même, vois-tu!

– Laisse-moi, tu me chatouilles, cria-t-elle en riant plus fort. Quelle grosse bête! On n’est pas bête comme ça!
Il l’avait empoignée, il ne la lâchait pas. Elle s’abandonnait, étourdie par le léger vertige qui lui venait du tas de linge, sans dégoût pour l’haleine vineuse de Coupeau. Et le gros baiser qu’ils échangèrent à pleine bouche, au milieu des saletés du métier, était comme une première chute, dans le lent avachissement de leur vie.

25 MAI 1876

V
– Suite –

32aCependant Mme Bijard nouait le linge en paquets. Elle parlait de sa petite, âgée de deux ans, une enfant nommée Eulalie, qui avait déjà de la raison comme un homme. On pouvait la laisser seule; elle ne pleurait jamais, elle ne jouait pas avec les allumettes. Enfin, elle emporta les paquets de linge un à un, sa grande taille cassée sous le poids, sa face se marbrant de taches violettes.
– Ce n’est plus tenable, nous grillons, dit Gervaise en s’essuyant la figure, avant de se remettre au bonnet de
Mme Boche.
Et l’on parla de ficher des claques à Augustine, quand on s’aperçut que la mécanique était rouge. Les fers, eux aussi, rougissaient. Elle avait donc le diable dans le corps! On ne pouvait pas tourner le dos sans qu’elle
fit quelque mauvais coup. Maintenant, il fallait attendre un quart d’heure pour se servir des fers. Gervaise couvrit le feu de deux pelletées de cendre. Elle imagina en outre de tendre une paire de draps sur les fils de laiton du plafond, 32ben manière de stores, afin d’amortir le soleil. Alors, on fut très bien dans la boutique. La température y était encore joliment douce; mais on se serait cru dans une alcôve, avec un jour blanc, enfermé comme chez soi, loin du monde, bien qu’on entendit derrière les draps les gens marchant vite sur le trottoir; et l’on avait la liberté de se mettre à son aise. Clémence retira sa camisole. Coupeau refusant toujours d’aller se coucher, on lui permit de rester, mais il dut promettre de se tenir tranquille dans un coin, car il s’agissait à cette heure de ne pas s’endormir sur le rôti.
– Qu’est-ce que cette vermine a encore fait du polonais? murmurait Gervaise, en parlant d’Augustine.
On cherchait toujours le petit fer, que l’on retrouvait dans des endroits singuliers, où l’apprentie, disait-on, le cachait par malice. Gervaise acheva enfin la coiffe du bonnet de
Mme Boche. Elle en avait ébauché les dentelles, les détirant à la main, les redressant d’un léger coup de fer. C’était un bonnet dont la passe, très ornée, se composait d’étroits bouillonnés alternant avec des entre-deux brodés. Aussi s’appliquait-elle, muette, soigneuse, repassant les bouillonnés et les entre-deux au coq, un œuf de fer fiché par une tige dans un pied de bois.
Alors
un silence régna. On n’entendit plus, pendant un instant, que les coups sourds, amortis sur la couverture. Aux deux côtés de la vaste table carrée, la patronne, les deux ouvrières et l’apprentie, debout, se penchaient, toutes à leur besogne, les épaules arrondies, les bras promenés dans un va-et-vient continu. Chacune, à sa droite, avait son carreau, une brique plate, brûlée par les fers trop chauds. Au milieu de la table, au bord d’une assiette creuse pleine d’eau claire, trempaient un chiffon et une petite brosse. À l’un des bouts, dans un ancien bocal de cerises à l’eau-de-vie, un s’épanouissait, mettait là un coin de jardin royal, avec la touffe de ses larges fleurs de neige.
Mme
Putois avait attaqué le panier de linge préparé par Gervaise, des serviettes, des pantalons, des camisoles, des paires de manches. Augustine faisait traîner ses bas et ses torchons, le nez en l’air, intéressée par une grosse mouche qui volait. Quant à la grande Clémence, elle en était, depuis le matin, à sa trente-cinquième chemise d’homme.
– Toujours du vin, jamais de casse-poitrine! dit tout d’un coup le zingueur, qui éprouva le besoin de faire cette déclaration. Le casse-poitrine, ça soûle, n’en faut pas!
Clémence prenait un fer à la mécanique, avec sa poignée de cuir garnie de tôle, et l’approchait de sa joue, pour s’assurer s’il était assez chaud. Elle le frotta sur son carreau, l’essuya
à un linge pendu à sa ceinture, et attaqua sa trente-cinquième chemise, en repassant d’abord l’empiècement et les deux manches.
– Bah! monsieur Coupeau, dit-elle
au bout d’une minute, un petit verre de cric, ce n’est pas mauvais. Moi, ça me donne du chien… Puis, vous savez, plus vite on est tortillé, plus c’est drôle. Oh! je ne me monte pas le bourrichon, je sais que je ne ferai pas de vieux os.
– Êtes-vous tannante avec vos idées d’enterrement! interrompit madame Putois, qui n’aimait pas les conversations tristes.
Coupeau s’était levé, et se fâchait
en croyant qu’on l’accusait d’avoir bu de l’eau-de-vie. Il le jurait sur sa tête, sur celles de sa femme et de son enfant, il n’avait pas une goutte d’eau de vie dans les veines.
Et il s’approchait de Clémence, lui soufflant dans la figure pour qu’elle le sentît. Puis, quand il eut le nez sur ses épaules nues, il se mit à ricaner. Il voulait voir Clémence, après avoir plié le dos de la che32dmise et donné un coup de fer des deux côtés, en était aux poignets et au col.
Mais, comme il se poussait toujours contre elle, il lui fit faire un faux pli; et elle dut prendre la brosse, au bord de l’assiette creuse pleine d’eau, pour lisser l’amidon.
– Madame
, dit-elle, empêchez-le donc d’être comme ça après moi.
– Laisse-la, tu n’es pas raisonnable, déclara tranquillement Gervaise. Nous sommes pressées, entends-tu!
Elles étaient pressées, eh bien! quoi?
ça n’était pas sa faute. Il ne faisait rien de mal. Il ne touchait pas, il regardait seulement. Est-ce qu’il n’était plus permis de regarder les belles choses que le bon Dieu a faites?
L’ouvrière cependant ne se défendait plus, riait de ces compliments tout crus d’homme en ribotte. Et elle en venait à plaisanter avec lui. Il la blaguait sur les chemises d’homme; elle continuait, les épaules secouées de son rire; elle avait marqué cinq ou six grands plis à plat dans le dos, en introduisant le fer par l’ouverture du plastron.
Clémence passa son fer à ce louchon d’Augustine; l’apprentie finissait les fers sur ses torchons et sur ses bas, quand ils n’étaient plus assez chauds pour les pièces amidonnées. Mais elle empoigna celui-là si maladroitement, qu’elle se fit une manchette, une longue brûlure au poignet. Et elle sanglota, elle accusa Clémence de l’avoir brûlée exprès. L’ouvrière, qui était allée chercher un fer très chaud pour le devant de la chemise, la consola tout de suite en la menaçant de lui repasser les deux oreilles, si elle continuait. Cependant, elle avait fourré une laine sous le plastron, elle poussait lentement le fer, laissant à l’amidon le temps de ressortir et de sécher. Le devant de chemise prenait une raideur et un luisant de papier fort.
– Sacré mâtin! jura Coupeau, qui pié32etinait derrière elle, avec une obstination d’ivrogne.
Il se haussait, riant d’un rire de poulie mal graissée. Clémence, appuyée fortement sur l’établi, les poignets retournés, les coudes en l’air et écartés, pliait le cou, dans un effort
. Coupeau continua à plaisanter.
– Madame!
Madame! cria Clémence, faites-le tenir tranquille, à la fin!… Je m’en vais, si ça continue. Je ne veux pas être insultée.
Gervaise venait de poser le bonnet de
Mme Boche sur un champignon garni d’un linge, et en tuyautait les dentelles minutieusement, au petit fer. Elle leva les yeux juste au moment où le zingueur envoyait encore les mains, fouillant dans la chemise.
– Décidément, Coupeau, tu n’es pas raisonnable, dit-elle d’un air d’ennui, comme si elle avait
parlé à un enfant s’entêtant à manger ses confitures sans pain. Tu vas venir te coucher.
– Oui, allez vous coucher,
Monsieur Coupeau, ça vaudra mieux, déclara Mme Putois.
– Ah
! bien! bégaya-t-il sans cesser de ricaner, vous êtes encore joliment toc On ne peut plus rigoler, alors. Les femmes, ça me connaît, je ne leur ai jamais rien cassé. On pince une dame, n’est-ce pas? mais on ne va pas plus loin; on honore simplement le sexe
Mais il ne put continuer. Gervaise, sans violence, l’empoignait d’une main et lui posait l’autre main sur la bouche. Il se débattit, par manière de blague, pendant qu’elle le poussait au fond de la boutique, vers la chambre.
Puis, on entendit Gervaise lui ôter ses souliers. Elle le déshabillait, en le bourrant un peu, naturellement. Enfin, elle l’emmaillota avec soin, comme un enfant. Était-il bien, au moins?
Quand Gervaise retourna dans la boutique, ce louchon d’Augustine recevait dé32fcidément une claque de Clémence. C’était venu à propos d’un fer sale, trouvé sur la mécanique par
Mme Putois; celle-ci, ne se méfiant pas, avait noirci toute une camisole; et comme Clémence, pour se défendre de ne pas avoir nettoyé son fer, accusait Augustine, jurait ses grands dieux que le fer n’était pas à elle, malgré la plaque d’amidon brûlé restée dessous, l’apprentie lui avait craché sur la robe, sans se cacher, par devant, outrée d’une pareille injustice. De là, une calotte soignée. Le louchon rentra ses larmes, nettoya le fer, en le grattant, puis en l’essuyant, après l’avoir frotté avec un bout de bougie; mais, chaque fois qu’elle devait passer derrière Clémence, elle gardait de la salive, elle crachait, riant en dedans, quand ça dégoulinait le long de la jupe.
Gervaise se remit à tuyauter les dentelles du bonnet. Et dans le calme brusque qui se fit, on distingua, au fond de l’arrière-boutique, la voix épaisse de Coupeau. Il restait bon enfant, il riait tout seul, en lâchant des bouts de phrase.
– Est-elle bête, ma femme!… Est-elle bête de me coucher!… Hein! c’est trop bête, en plein midi, quand on n’a pas dodo!
Mais, tout d’un coup, il ronfla. Alors, Gervaise eut un soupir de soulagement, heureuse de le savoir enfin en repos, cuvant sa soulographie sur deux bons matelas. Et elle parla dans le silence, d’une voix lente et continue, sans quitter des yeux le petit fer à tuyauter, qu’elle maniait vivement.


26 MAI 1876

V
– Suite –

33aQue voulez-vous, il n’a pas sa raison, on ne peut pas se fâcher. Quand je le bousculerais,
çà n’avancerait à rien. J’aime mieux dire comme lui et le coucher; au moins, c’est fini tout de suite et je suis tranquille… Puis il n’est pas méchant, il m’aime bien. Vous avez vu tout à l’heure, il se serait fait hacher pour m’embrasser. Et c’est encore très gentil, ça; car il y en a joliment, lorsqu’ils ont bu, qui vont voir les femmes… Lui, rentre tout droit ici. Il plaisante bien avec les ouvrières, mais ça ne va pas plus loin. Entendez-vous, Clémence, il ne faut pas vous blesser… vous savez ce que c’est, un homme saoûl; ça tuerait père et mère, et ça ne s’en souviendrait seulement pas. Oh! je lui pardonne de bon cœur. Il est comme tous les autres, pardi!
Elle disait ces choses mollement, sans passion, habituée
peu à peu aux bordées de Coupeau, raisonnant encore ses com33bplaisances pour lui. Quand elle se tut, le silence retomba, ne fut plus troublé. Madame Putois, à chaque pièce qu’elle prenait, tirait à elle la corbeille, enfoncée sous la tenture de cretonne qui garnissait l’établi; puis, la pièce repassée, elle haussait ses petits bras et la posait sur une étagère. Clémence achevait de plisser au fer sa trente-cinquième chemise d’homme.
L’ouvrage débordait; on avait calculé qu’il faudrait veiller jusqu’à onze heures, en se dépêchant. Tout l’atelier, maintenant, n’ayant plus de distraction, bûchait ferme, tapait dur. Les bras nus allaient, venaient, éclairant de leurs taches roses la blancheur des linges. On avait encore empli de coke la mécanique, et comme le soleil, glissant entre les draps, frappait en plein sur le fourneau, on voyait la grosse chaleur monter dans le rayon, une flamme invisible dont le frisson secouait l’air. L’étouffement devenait tel, sous les jupes et les nappes séchant au plafond, que ce louchon d’Augustine, à bout de salive, laissait passer un coin de langue au bord des lèvres. Ça sentait la fonte surchauffée, l’eau d’amidon aigrie, le roussi des fers, la fadeur chaude, dans laquelle les quatre ouvrières, se démanchant les épaules, mettaient l’odeur plus rude de leurs chignons et de leurs nuques trempées; tandis que le bouquet de grands lis, dans l’eau tiédie de son bocal, se fanait, en exhalant un parfum très pur, très fort. Et, par moments, au milieu du bruit des fers et du tisonnier grattant la mécanique, un ronflement de Coupeau roulait, avec la régularité d’un tic–tac énorme d’horloge, réglant la grosse besogne de l’atelier.
Les lendemains de culotte, le zingueur avait mal aux cheveux, un mal aux cheveux terrible qui le tenait tout le jour les crins défrisés, le bec
emporté, la margoulette enflée et de travers. Il se levait tard, secouait ses puces sur les huit heures seulement; et il crachait, traînaillait dans la 33cboutique, ne se décidait pas à partir pour le chantier. La journée était encore perdue. Le matin, il se plaignait d’avoir des guibolles de coton, il s’appelait trop bête de gueuletonner comme ça, puisque ça vous démantibulait le tempérament. Aussi, on rencontrait un tas de gouapes, qui ne voulaient pas vous lâcher le coude; on gobelottait malgré soi, on se trouvait dans toutes sortes de fourbis, on finissait par se laisser pincer! et raide! Ah! fichtre non! ça ne lui arriverait plus; il n’entendait pas laisser ses bottes chez le mastroquet, à la fleur de l’âge.
Mais, après le déjeuner, il se requinquait, poussant des hum! hum! pour se prouver qu’il avait encore un bon creux. Il commençait à nier la noce de la veille, un peu d’allumage peut-être. On n’en faisait plus de comme lui, solide au poste, une poigne du diable, buvant tout ce qu’il voulait sans cligner un œil. Alors, l’après-midi entière, il flânochait dans le quartier. Quand il avait bien embêté les ouvrières, sa femme lui donnait vingt sous pour qu’il débarrassât le plancher. Il filait, il allait acheter son tabac à la Petite Civette, rue des Poissonniers, où il prenait généralement une prune, lorsqu’il rencontrait un ami.
Puis, il achevait de casser la pièce de vingt sous chez François, au coin de la rue de la Goutte-d’Or, où il y avait un joli vin, tout jeune, chatouillant le gosier. C’était un mannezingue de l’ancien jeu, une boutique noire, sous un plafond bas, avec une salle enfumée, à côté, dans laquelle on vendait de la soupe. Et il restait là jusqu’au soir
à jouer des canons au tourniquet; il avait l’œil chez François, qui s’était engagé formellement à ne jamais présenter la note à la bourgeoise. N’est-ce pas? il fallait bien se rincer un peu la dalle, pour la débarrasser des crasses de la veille. Un verre de vin en pousse un autre. Lui, d’ailleurs, toujours bon zig, ne donnant pas une chiquenaude au sexe, aimant la 33drigolade, bien sûr, et se piquant le nez à son tour, mais gentillement, plein de mépris pour ces saloperies d’hommes tombés dans l’alcool, qu’on ne voit pas dessoûler! Il rentrait gai et galant comme un pinson.
– Est-ce que ton amoureux est venu? demandait-il parfois à Gervaise pour la taquiner. On ne l’aperçoit plus, il faudra que j’aille le chercher.
L’amoureux, c’était Goujet. Il évitait, en effet, de venir trop souvent, par peur de gêner et de faire causer. Pourtant, il saisissait les prétextes, apportait le linge, passait vingt fois sur le trottoir.

Il y avait un coin dans la boutique, au fond, où il aimait rester des heures, assis sans bouger, fumant sa courte pipe. Le soir, après son dîner, une fois tous les dix ou quinze jours, il se risquait, s’installait; et il n’était guère causeur, la bouche cousue, les yeux sur Gervaise, ôtant seulement sa pipe de la bouche pour rire de tout ce qu’elle disait. Quand l’atelier veillait, le samedi, il s’oubliait, paraissant s’amuser là plus que s’il était allé au spectacle. Des fois, les ouvrières repassaient jusqu’à trois heures du matin.
Une lampe pendait du plafond, à un fil de fer; l’abat-jour jetait un grand rond de clarté vive, dans lequel les linges prenaient des blancheurs molles de neige. L’apprentie mettait les volets de la boutique; mais, comme les nuits de juillet étaient brûlantes, on laissait la porte ouverte sur la rue. Et, à mesure que l’heure avançait, les ouvrières se dégrafaient, pour être à l’aise. Elles avaient une peau fine, toute dorée dans le coup de lumière de la lampe, Gervaise surtout, devenue grasse, les épaules blondes, luisantes comme une soie, avec un pli de bébé au cou, dont il aurait dessiné de souvenir la petite fossette, tant il le connaissait. Alors, il était pris par la grosse chaleur de la mécanique, par l’odeur des linges fumant sous les fers; il glissait à 33eun léger étourdissement, la pensée ralentie, les yeux occupés de ces femmes qui se hâtaient, balançant leurs bras nus, passant la nuit à endimancher le quartier. Autour de la boutique, les maisons voisines s’endormaient, le grand silence du sommeil tombait peu à peu.
Minuit sonnait, puis une heure, puis deux heures. Les voitures, les passants s’en étaient allés. Maintenant, dans la rue déserte et noire, la porte envoyait seulement une raie de jour, pareille à un bout d’étoffe jaune déroulé à terre. Par moments, un pas sonnait au loin, un homme approchait; et, lorsqu’il traversait la raie de jour, il allongeait la tête, surpris des coups de fer qu’il entendait, emportant la vision rapide des ouvrières dépoitraillées, dans une buée rousse.
Goujet, voyant Gervaise embarrassée d’Étienne, et voulant le sauver
du coup de pied au derrière de Coupeau, l’avait embauché pour tirer le soufflet, à sa fabrique de boulons. L’état de cloutier, s’il n’avait rien de flatteur en lui-même, à cause de la saleté de la forge et de l’embêtement de toujours taper sur les mêmes morceaux de fer, était un riche état, où l’on gagnait des dix et des douze francs par jour. Le petit, alors âgé de onze ans, pourrait s’y mettre bientôt, si le métier lui allait. Et Étienne était ainsi devenu un lien de plus entre la blanchisseuse et le forgeron. Celui-ci lui ramenait l’enfant, donnait des nouvelles de sa bonne conduite.
Tout le monde disait en riant à Gervaise que Goujet avait un béguin pour elle. Elle le savait bien, elle rougissait, comme une jeune fille, avec une fleur de pudeur, qui lui mettait aux joues des tons vifs de pomme d’api. Ah! le pauvre cher garçon, il n’était pas gênant; jamais il ne lui avait parlé de ça On n’en rencontrait pas beaucoup de cette honnête pâte. Et, sans vouloir l’avouer, elle goûtait une grande joie à être aimée ainsi, pareillement à une 33fsainte vierge. Quand il lui arrivait quelque ennui sérieux, elle songeait au forgeron; ça la consolait. Ensemble, s’ils restaient seuls, ils n’étaient pas gênés du tout; ils se regardaient avec des sourires, bien en face, sans se raconter ce qu’ils éprouvaient. C’était une tendresse raisonnable, parce qu’il faut encore mieux garder sa tranquillité, quand on peut s’arranger pour être heureux, tout en restant tranquille.
Cependant, Nana, vers la fin de l’été, bouleversa la maison. Elle avait six ans, elle s’annonçait comme une vaurienne finie. Sa mère la menait chaque matin, pour ne pas la rencontrer toujours sous ses pieds, dans une petite pension de la rue Polonceau, chez mademoiselle Josse. Elle y attachait par derrière les robes de ses camarades; elle emplissait de cendre la tabatière de la maîtresse, trouvait des inventions moins propres encore, qu’on ne pouvait pas raconter. Deux fois, mademoiselle Josse la mit à la porte, puis la reprit, pour ne pas perdre les six francs, chaque mois. Dès la sortie de la classe, Nana se vengeait d’avoir été enfermée, en faisant une vie d’enfer sous le porche et dans la cour, où les repasseuses, les oreilles cassées, lui disaient d’aller jouer. Elle retrouvait là Pauline, la fille des Boche,
moins âgée d’un an, et le fils de l’ancienne patronne de Gervaise, Victor Fauconnier, un grand dadais de dix ans, qui adorait galopiner avec les toutes petites filles; Mme Fauconnier ne s’était pas fâchée avec les Coupeau: elle envoyait elle-même son fils.

27 MAI 1876

V
– Suite –

34aD’ailleurs, dans la maison, il y avait un pullulement extraordinaire de mioches, des volées d’enfants qui dégringolaient les quatre escaliers à toutes les heures du jour, et s’abattaient sur le pavé, pareils à des bandes de moineaux criards et pillards. Mme Gaudron à elle seule en lâchait neuf, des blonds, des bruns, mal peignés, mal mouchés, avec des culottes jusqu’aux yeux, des bas tombés sur les souliers, des vestes fendues, montrant leur peau blanche sous la crasse. Une autre femme, une porteuse de pain, au cinquième, en lâchait sept. Il en sortait des tapées de toutes les chambres. Et, dans ce grouillement de vermines aux museaux roses, débarbouillés chaque fois qu’il pleuvait, on en voyait de grands, l’air ficelle, de gros, ventrus déjà comme des hommes, de petits, petits, échappés du berceau, mal d’aplomb encore, tout bêtes, marchant à quatre pattes quand ils voulaient courir.
Nana régnait sur ce tas de crapauds; elle faisait sa mademoiselle j’ordonne avec des 34bfilles deux fois plus grandes qu’elle et daignait seulement abandonner un peu de son pouvoir à Pauline et à Victor, des confidents intimes qui appuyaient ses volontés. Cette fichue gamine parlait sans cesse de jouer à la maman, déshabillait les plus petits pour les rhabiller, les tripotait, exerçait un despotisme fantasque de grande personne ayant du vice. C’était, sous sa conduite, des jeux à se faire gifler. La bande pataugeait dans les eaux de couleur de la teinturerie, sortait de là, les jambes teintes en bleu ou en rouge jusqu’aux genoux; puis elle s’envolait chez le serrurier, où elle chipait des clous et de la limaille, et repartait pour aller s’abattre au milieu des copeaux du menuisier, des tas de copeaux énormes, amusants tout plein, dans lesquels on se roulait.
La cour lui appartenait, retentissait du tapage des petits souliers se culbutant à la débandade, du cri des voix aiguës poussé à chaque course nouvelle. Certains jours même, la cour ne suffisait pas. Alors, la bande se jetait dans les caves, remontait, grimpait le long d’un escalier, enfilait un corridor, redescendait, reprenait un escalier, suivait un autre corridor, et cela sans se lasser, pendant des heures, gueulant toujours, ébranlant la maison géante d’un galop de bêtes nuisibles lâchées au fond de tous les coins.
– Sont-ils indignes, ces crapules-là! criait
Mme Boche. Vraiment, il faut que les gens aient bien peu de chose à faire, pour faire tant d’enfants… Et ça se plaint encore de n’avoir pas de pain!
Boche disait que les enfants poussaient sur la misère comme les champignons sur le fumier. La portière criait toute la journée, les menaçait de son balai. Elle finit par fermer la porte des caves, parce qu’elle apprit par Pauline, à laquelle elle allongea une paire de calottes, que Nana avait imaginé de jouer au médecin, là-bas dans l’obscurité
.
34cOr, une après-midi, il y eut une scène affreuse. Ça devait arriver, d’ailleurs. Nana s’avisa d’un petit jeu bien drôle. Elle avait volé, devant la loge, un sabot à madame Boche. Elle l’attacha avec une ficelle, se mit à le traîner, comme une voiture. De son côté, Victor eut l’idée d’emplir le sabot de pelures de pomme. Alors, un cortége s’organisa. Nana marchait la première, tirant le sabot. Pauline et Victor s’avançaient à sa droite et à sa gauche. Puis, toute la flopée des mioches suivait en ordre, les grands d’abord, les petits ensuite, se bousculant; un bébé en jupe, haut comme une botte, portant sur l’oreille un bourrelet défoncé, venait le dernier. Et le cortége chantait
sans s’arrêter quelque chose de triste, des oh! et des ah! Nana avait dit qu’on allait jouer à l’enterrement; les pelures de pomme, c’était le mort. Quand on eut fait le tour de la cour, on recommença. On trouvait ça joliment amusant.
– Qu’est-ce qu’ils font donc? murmura madame Boche, qui sortit de la loge pour voir, toujours méfiante et aux aguets.
Et lorsqu’elle eut compris:
– Mais c’est mon sabot! cria-t-elle furieuse. Ah! les gredins!
Elle distribua des taloches, souffleta Nana sur les deux joues, flanqua un coup de pied à Pauline, cette grande dinde qui laissait prendre le sabot de sa mère. Justement
Gervaise emplissait un seau à la fontaine. Quand elle aperçut Nana le nez en sang, étranglée de sanglots, elle faillit sauter au chignon de la concierge. Est-ce qu’on tapait sur un enfant comme sur un bœuf? Il fallait manquer de cœur, être la dernière des dernières. Naturellement, Mme Boche répliqua: Lorsqu’on avait une fille pareille, on la tenait sous clef. Enfin, Boche lui-même s’en mêla, parut sur le seuil de la loge, pour crier à sa femme de rentrer et de ne pas avoir tant 34dd’explications avec de la saleté. Ce fut une brouille complète.
À la vérité, ça n’allait pas du tout bien entre les Boche et les Coupeau depuis un mois. Gervaise, très donnante de sa nature, lâchait à chaque instant des litres de vin, des tasses de bouillon, des oranges, des parts de gâteau. Un soir, elle avait porté à la loge un fond de saladier, de la barbe de capucin avec de la betterave, sachant que la concierge aurait fait des bassesses pour la salade. Mais, le lendemain, elle devint toute blanche en entendant Mlle Remanjou raconter comment Mme Boche avait jeté la barbe de capucin devant du monde, d’un air dégoûté, sous prétexte que, Dieu merci! elle n’en était pas encore réduite à se nourrir de choses où les autres avaient pataugé. Et, dès lors, Gervaise coupa net à tous les cadeaux: plus de litres de vin, plus de tasses de bouillon, plus d’oranges, plus de parts de gâteaux, plus rien.
Il fallait voir le nez des Boche! Ça leur semblait comme un vol que les Coupeau leur faisaient, en ne plus rien leur donnant. Gervaise comprenait sa faute, car, enfin, si elle n’avait point eu la bêtise de tant leur fourrer, ils n’auraient pas pris de mauvaises habitudes et seraient restés gentils. Maintenant, la concierge disait d’elle pis que pendre. Au terme d’octobre, elle fit des ragots à n’en plus finir au propriétaire, M. Marescot, parce que la blanchisseuse, qui mangeait son saint–frusquin en gueulardises, se trouvait en retard d’un jour pour son loyer; et même M. Marescot, pas très poli non plus celui-là, entra dans la boutique, le chapeau sur la tête, demandant son argent, qu’on lui allongea tout de suite d’ailleurs. Naturellement, les Boche avaient tendu la main aux Lorilleux. C’était maintenant avec les Lorilleux qu’on godaillait dans la chambre, au milieu des attendrissements de la réconciliation. Jamais on ne se serait fâché sans cette Ban34eban, qui aurait fait battre des montagnes. Ah! les Boche la connaissaient maintenant, ils comprenaient combien les Lorilleux devaient souffrir. Et, quand elle passait, tous affectaient de ricaner, sous la porte.
Gervaise pourtant monta un jour chez les Lorilleux. Il s’agissait de maman Coupeau, qui avait alors soixante-sept ans. Les yeux de maman Coupeau étaient complétement perdus. Ses jambes non plus n’allaient pas du tout. Elle venait de renoncer à son dernier ménage par force, et menaçait de crever de faim, si on ne la secourait pas. Gervaise trouvait honteux qu’une femme de cet âge
ayant trois enfants, fût ainsi abandonnée du ciel et de la terre. Et comme Coupeau refusait de parler à sa sœur, en disant à Gervaise qu’elle pouvait bien monter, elle, celle-ci monta sous le coup d’une indignation, dont tout son cœur était gonflé.
En haut, elle entra sans frapper, comme une tempête. Rien n’était changé
, depuis le soir où les Lorilleux, pour la première fois, lui avaient fait un accueil si peu engageant. Le même lambeau de laine déteinte séparait la chambre de l’atelier, un logement en coup de fusil qui semblait bâti pour une anguille. Au fond, Lorilleux, penché sur son établi, pinçait un à un les maillons d’un bout de colonne, tandis que madame Lorilleux tirait un fil d’or à la filière, debout devant l’étau. La petite forge, sous le plein jour, avait un reflet rose.
– Oui, c’est moi! dit Gervaise. Ça vous étonne, parce que nous sommes à couteaux tirés? Mais je ne viens pas pour moi ni pour vous, vous pensez bien… C’est pour maman Coupeau que je viens. Oui, je viens voir si nous la laisserons attendre un morceau de pain de la charité des autres.
– Ah bien! en voilà une entrée! murmura
Mme Lorilleux. Il faut avoir un fier toupet.
Et elle tourna le dos
; elle se remit à ti34frer son fil d’or, en affectant d’ignorer la présence de sa belle-sœur. Mais Lorilleux avait levé sa face blême, criant:
– Qu’est-ce que vous dites?
Puis, comme il avait parfaitement entendu, il continua:
– Encore des potins, n’est-ce
pas? Elle est gentille, maman Coupeau, de pleurer misère partout!… Avant-hier pourtant, elle a mangé ici. Nous faisons ce que nous pouvons, nous autres. Nous n’avons pas le Pérou… Seulement, si elle va bavarder chez les autres, elle peut y rester, parce que nous n’aimons pas les espions.
Il reprit le bout de chaîne, tourna le dos à son tour, en ajoutant comme à regret:
– Quand tout le monde donnera cent sous par mois, nous donnerons cent sous.
Gervaise s’était calmée, toute refroidie par les figures en coin de rue des Lorilleux. Elle n’avait jamais mis les pieds chez eux sans éprouver un malaise. Les yeux à terre, sur les
traces de la claie de bois, où tombaient les déchets d’or, elle s’expliquait maintenant d’un air raisonnable. Maman Coupeau avait trois enfants: si chacun donnait cent sous, ça ne ferait que quinze francs, et vraiment ce n’était pas assez, on ne pouvait pas vivre avec ça; il fallait au moins tripler la somme. Mais Lorilleux se récriait. Où voulait-on qu’il volât quinze francs par mois? Les gens étaient drôles, on le croyait riche parce qu’il avait de l’or chez lui. Puis, il tapait sur maman Coupeau: elle ne voulait pas se passer de café le matin, elle buvait la goutte, elle montrait les exigences d’une personne qui aurait eu de la fortune. Parbleu! tout le monde aimait ses aises; mais, n’est-ce pas? quand on n’avait pas su mettre un sou de côté, on faisait comme les camarades, on se serrait le ventre.

28 MAI 1876

V
– Suite –

35aD’ailleurs, maman Coupeau n’était pas d’un âge à ne plus travailler; elle y voyait encore joliment clair quand il s’agissait de piquer un bon morceau au fond du plat; enfin, c’était une vieille rouée, elle rêvait de se dorloter. Lui même, s’il en avait eu les moyens, aurait cru mal agir en entretenant quelqu’un dans la paresse.
Cependant, Gervaise restait conciliante, discutait paisiblement ces mauvaises raisons. Elle tâchait d’attendrir les Lorilleux. Mais le mari finit par ne plus lui répondre. La femme maintenant était devant la forge, en train de dérocher un bout de chaîne, dans la petite casserole de cuivre à long manche, pleine d’eau seconde. Elle affectait toujours de tourner le dos, comme à cent lieues. Et Gervaise parlait encore, les regardant s’entêter au travail, au milieu de la poussière noire de l’atelier, le corps déjeté, les vêtements rapiécés et graisseux, devenus d’une dureté abêtie de vieux outils, dans leur besogne étroite de machine
, au fond de leur trou. Alors, 35bbrusquement, la colère remonta à sa gorge, elle cria:
– C’est ça, j’aime mieux ça, gardez votre argent!… Je prends maman Coupeau, entendez-vous! J’ai ramassé un chat l’autre soir, je peux bien ramasser votre mère. Et elle ne manquera de rien, et elle aura son café et sa goutte!… Mon Dieu! quelle sale famille!
Mme Lorilleux, du coup, s’était retournée. Elle brandissait la casserole, comme si elle allait jeter l’eau-seconde à la figure de sa belle-sœur. Elle bredouillait:
– Fichez le camp, ou je fais un malheur!… Et ne comptez pas sur les cent sous, parce que je ne donnerai pas un radis! non pas un radis!… Ah bien! oui, cent sous! Maman vous servirait de domestique, et vous vous gobergeriez avec mes cent sous! Si elle va chez vous, dites-lui ça, elle peut crever, je ne lui enverrai pas un verre d’eau… Allons, houp! débarrassez le plancher!
– Quel monstre de femme! dit Gervaise en refermant la porte avec violence.
Dès le lendemain, elle prit maman Coupeau chez elle. Elle mit son lit dans le grand cabinet où couchait
déjà Nana, et qui recevait le jour par une lucarne ronde, près du plafond. Le déménagement ne fut pas long, car maman Coupeau, pour tout mobilier, avait ce lit, une vieille armoire de noyer qu’on plaça dans la chambre au linge sale, une table et deux chaises; on vendit la table, on fit rempailler les deux chaises. Et maman Coupeau, le soir même de son installation, donnait un coup de balai, lavait la vaisselle, enfin se rendait utile, bien contente d’être tirée d’affaire. Les Lorilleux rageaient à crever, d’autant plus que madame Lerat venait de se remettre avec les Coupeau. Un beau jour, les deux sœurs, la fleuriste et la chaîniste, avaient échangé des torgnoles, au sujet de Gervaise; la première s’était risquée à approuver la conduite de celle-ci, vis-à-vis de 35cleur mère; puis, par un besoin de taquinerie, voyant l’autre exaspérée, elle en était arrivée à trouver les yeux de la blanchisseuse magnifiques, des yeux auxquels on aurait allumé des bouts de papier; et là-dessus toutes deux, après s’être giflées, avait juré de ne plus se revoir. Maintenant, Mme Lerat passait ses soirées dans la boutique, où elle s’amusait en dedans des plaisanteries de la grande Clémence.
Trois années se passèrent. On se fâcha et on se raccommoda encore plusieurs fois. Gervaise se moquait pas mal des Lorilleux, des Boche et de tous ceux qui ne disaient
pas comme elle. S’ils n’étaient pas contents, n’est-ce pas? ils pouvaient aller s’asseoir. Elle gagnait ce qu’elle voulait, c’était le principal. Dans le quartier, on avait fini par avoir pour elle beaucoup de considération, parce que, en somme, on ne trouvait pas des masses de pratiques aussi bonnes, payant recta, pas chipoteuse, pas râleuse. Elle prenait son pain chez Mme Coudeloup, rue des Poissonniers, sa viande chez le gros Charles, un boucher de la rue Palonceau, son épicerie chez Lehongre, rue de la Goutte-d’Or, presque en face de sa boutique. François, le mastroquet du coin de la rue, lui apportait son vin par paniers de vingt-cinq litres. Le voisin Vigouroux lui vendait son coke au prix de la Compagnie du gaz. Et, l’on pouvait le dire, ses fournisseurs la servaient en conscience, sachant bien qu’il y avait tout à gagner avec elle, en se montrant gentil. Aussi, quand elle sortait dans le quartier, en savates et en cheveux, recevait-elle des bonjours de tous les côtés; elle restait chez elle, les rues voisines étaient comme les dépendances naturelles de son logement, ouvert de plain-pied sur le trottoir. Il lui arrivait maintenant de faire traîner une commission, heureuse d’être dehors, au milieu de ses connaissances.
Les jours où elle n’avait pas le temps de 35dmettre quelque chose au feu, elle allait chercher des portions, elle bavardait chez le traiteur, qui occupait la boutique de l’autre côté de la maison, une vaste salle avec de grands vitrages poussiéreux, à travers la saleté desquels on apercevait le jour terni de la cour, au fond. Ou bien, elle s’arrêtait à causer, les mains chargées d’assiettes et de bols, devant quelque fenêtre ouverte du rez-de-chaussée, un intérieur de savetier entrevu, le lit défait, le plancher encombré de loques, de deux berceaux éclopés et de la terrine à la poix pleine d’eau noire.
Mais le voisin qu’elle respectait le plus était encore, en face, l’horloger, le monsieur en redingote, l’air propre, fouillant continuellement des montres avec des outils mignons; et souvent elle traversait la rue pour le saluer, riant d’aise à regarder dans la boutique étroite, comme une armoire, la gaieté des petits coucous, dont les balanciers se dépêchaient, battant l’heure à contre-temps, tous à la fois.

VI

Une après-midi d’automne, Gervaise, qui venait de reporter du linge chez une pratique, rue des Portes-Blanches, se trouva dans le bas de la rue des Poissonniers comme le jour tombait. Il avait plu le matin, le temps était très
doux, une odeur s’exhalait du pavé gras; et la blanchisseuse, embarrassée de son grand panier, étouffait un peu, la marche ralentie, le corps abandonné, remontant la rue avec la vague préoccupation d’un désir sensuel, grandi dans sa lassitude. Elle aurait volontiers mangé quelque chose de bon. Alors, en levant les yeux, elle aperçut la plaque de la rue Marcadet, elle eut tout d’un coup l’idée d’aller voir Goujet à sa forge. Vingt fois, il l’avait invitée à passer par là, un jour qu’elle serait curieuse 35ede regarder travailler le fer. D’ailleurs, devant les autres ouvriers, elle demanderait Étienne, elle semblerait s’être décidée à entrer uniquement pour le petit.
La fabrique de boulons et de rivets devait se trouver par là, dans ce bout de la rue Marcadet, elle ne savait pas bien où; d’autant plus que les numéros manquaient souvent, le long des masures espacées par des terrains vagues.

C’était une rue où elle n’aurait pas demeuré pour tout l’or du monde, une rue large, sale, noire de la poussière de charbon des manufactures voisines, avec des pavés défoncés et des ornières des flaques d’eau croupissaient. Aux deux bords il y avait un défilé de hangars, de grands ateliers vitrés, des constructions grises, comme inachevées, montrant leurs briques et leurs charpentes, une débandade de maçonneries branlantes, coupées par des trouées sur la campagne, flanquées de garnis borgnes et de gargottes louches. Elle se rappelait seulement que la fabrique était à côté d’un magasin de chiffons et de ferraille, une sorte de cloaque ouvert à ras de terre, dans lequel dormaient pour des centaines de mille francs de marchandises, à ce que racontait Goujet. Et elle cherchait à s’orienter, au milieu du tapage des usines; de minces tuyaux, sur les toits, soufflaient violemment des jets de vapeur; une scierie mécanique avait des grincements réguliers, pareils à de brusques déchirures dans une pièce de calicot; des manufactures de boutons secouaient le sol du roulement et du tic-tac de leurs machines.
Comme elle regardait vers Montmartre, indécise, ne sachant pas si elle devait pousser plus loin, un coup de vent rabattit la suie d’une haute cheminée, empesta la rue; et elle fermait les yeux, suffoquée, lorsqu’elle entendit un bruit cadencé de marteaux: elle était, sans le savoir, juste en face de la fabrique, ce qu’elle reconnut au trop plein de chiffons, à côté.
35fCependant, elle hésita encore, ne sachant par où entrer. Une palissade crevée ouvrait un passage qui semblait s’enfoncer au milieu des plâtras d’un chantier de démolitions. Comme une mare d’eau bourbeuse barrait le chemin, on avait jeté deux planches en travers. Elle finit par se risquer sur les planches, tourna à gauche, se trouva perdue dans une étrange forêt de vieilles
charpentes, de charrettes renversées les brancards en l’air, de masures en ruines dont les carcasses de poutres restaient debout. Au fond, trouant la nuit sale d’un reste de jour, un feu rouge luisait. Le bruit des marteaux avait cessé. Elle s’avançait prudemment, marchant vers la lueur, lorsqu’un ouvrier passa près d’elle, la figure noire de charbon, embroussaillée d’une barbe de bouc, avec un regard oblique de ses yeux pâles.
– Monsieur, demanda-t-elle, c’est ici, n’est-ce pas? que travaille un enfant du nom d’Étienne… C’est mon garçon.
– Étienne, Étienne, répétait l’ouvrier qui se dandinait, la voix enrouée; Étienne, non, connais pas.
La bouche ouverte, il exhalait cette odeur d’alcool des vieux tonneaux d’eau-de-vie, dont on a enlevé la bonde. Et, comme cette rencontre d’une femme dans ce coin d’ombre commençait à le rendre goguenard, Gervaise recula, en murmurant:
– C’est bien ici pourtant que
M. Goujet travaille?
– Ah! Goujet, oui! dit l’ouvrier, connu
, Goujet!… Si c’est pour Goujet, que vous venez… Allez au fond.
Et, se tournant, il cria de sa voix qui sonnait le cuivre fêlé:
– Dis donc, la Gueule-d’Or, voilà une dame pour toi!


29 MAI 1876

VI
– Suite –

36aMais un tapage de ferraille étouffa ce cri. Gervaise alla au fond. Elle arriva à une porte, allongea le cou. C’était une vaste salle, où elle ne distingua d’abord rien. La forge, comme morte, avait dans un coin une lueur pâlie d’étoile, qui reculait encore l’enfoncement des ténèbres. De larges ombres flottaient. Et
par moments des masses noires passaient devant le feu, bouchant cette dernière tache de clarté, des hommes démesurément grandis dont on devinait les gros membres. Gervaise, n’osant s’aventurer, appelait de la porte, à demi-voix:
– Monsieur Goujet, monsieur Goujet…
Brusquement, tout s’éclaira. Sous le ronflement du soufflet, un jet de flamme blanche avait jailli
de la forge. Le hangar apparut, fermé par des cloisons de planches, avec des trous maçonnés grossièrement, des coins cons